Cuisine de nuit
Maurice Sendak
L’école des loisirs, 2015
Classique de la censure
Par Anne-Marie Mercier
Publié en 1972 par L’école des loisirs, deux ans après la parution américaine qui avait fait scandale, ce grand classique ressort chez le même éditeur, la définition d’un classique venant, entre autres, de ses rééditions et de sa stabilité dans le paysage littéraire.
Cuisine de nuit est un album important en littérature de jeunesse, non seulement parce qu’il est l’œuvre d’un auteur majeur mais aussi parce qu’il a fait l’objet de censure, comme le célèbre Max et les maximonstres. Ce qui est en cause ici, c’est la nudité du personnage, le jeune Mickey qui, réveillé par un bruit, « plonge dans la nuit et perd son pyjama ». Il s’envole, tombe dans la pâte à pain que brassent trois cuisiniers jumeaux (qui ressemblent à Oliver Hardy – Stan Laurel n’aurait pas le physique de l’emploi, qui veut des rondeurs): Mickey, pour venir en aide au trio, fabrique un avion en pâte, prend du lait dans la Voie lactée au-dessus d’immeubles – boites de céréales ou de sucre qui donnent à la ville une image de cuisine géante, leur apporte l’ingrédient manquant et, mission accomplie, retrouve enfin son lit (et son pyjama).
Ce déroulé qui imite celui des épisodes de Little Nemo – on retrouve le même lit dans les premières et dernières vignettes – est donc un épisode de rêve orienté autour des plaisirs des sens, celui du goût bien sûr avec la présence obsédante de la nourriture, mais aussi du toucher avec le pétrissage, de l’odorat, de l’ouïe avec le vacarme et les cris, et bien sûr de la vue avec les ciels étoilés, la blancheur des vêtements, des ingrédients et du corps de l’enfant, et les couleurs des carrelages, emballages, confitures. Par dessus tout cela, le dynamisme des mouvements, associé à celui de la tourne de page, qui permet au lecteur de s’envoler avec Mickey, en plein rêve d’envol…