Rêves de chercheurs

Rêves de chercheurs
Alexandra Zaba – Claore Czajkowski
Editions du Pourquoi pas ?? 2024

Quelque chose à changer

Par Michel Driol

Dans l’immeuble, il y a la gardienne, Mme Turpin, dévouée, aimant la propreté et l’ordre, prête à rendre service. Il y a aussi cinq chercheurs : Monsieur Blop qui rêve d’un aspirateur nettoyeur de mer, Madame Flac qui rêve d’un parapluie récupérant l’eau de pluie, les Lebon qui rêvent d’un autocuiseur solaire,  les Archi qui rêvent d’un vélo sèche-linge, et monsieur Lainard qui rêve d’un vêtement qui s’adapterait à la température de la peau. Tous ces géniaux ingénieurs ne s’occupent guère de l’entretien de la maison. Et lorsque Madame Turpin s’absence plusieurs jours, la maison est dans un tel état qu’ils doivent se mettre ensemble pour accueillir leur gardienne…

Voilà un album à la fois drôle et incitant à réfléchir.  Drôle, il l’est, par les noms de personnages, par les inventions toute plus farfelues les unes que les autres dont ils rêvent pour améliorer la prise en compte de la transition écologique… Drôle par le texte, qui ne ménage pas ses surprises, et charge le portrait des inventeurs. Drôle enfin par les illustrations dont il faut examiner chaque détail, et qui jouent de la surenchère et de la caricature.

Pour autant le texte aborde des problématiques bien sérieuses. Il est question du rapport entre le rêve et la réalité, des grands projets ambitieux et du quotidien ordinaire, bref, quelque chose comme l’opposition entre le souci de la fin du monde et celui de la fin du mois… Les grands penseurs n’ont cure des détails de la vie domestique, tout absorbés qu’ils sont par leur projet, aussi dément fût-il ! Ils ont bien besoin d’une petite main… Il est question aussi de la  conformité entre les valeurs que nous souhaitons défendre et notre mode de vie. En effet ces grands chercheurs, absorbés par un projet de nature écologique, ne voient pas leurs propres contradictions. Prétendant nettoyer les océans, Monsieur Blop lance ses brouillons à côté de la poubelle. Les Lebon, loin de leur autocuiseur solaire, se font livrer des plats tout préparés. Madame Flac, qui veut récupérer l’eau de pluie, oublie systématiquement de couper l’arrosage. Les Archi lavent du linge propre, et Monsieur Lainard vit dans un appartement si surchauffé qu’il doit ouvrir les fenêtres… Ces contradictions sont, bien sûr, abordées de façon bien humoristique, mais elles sont réelles et invitent à réfléchir au rapport entre la fin et les moyens. Enfin l’album aborde la question même du changement. Avant de penser à changer la planète, peut-être faut-il commencer par se changer soi-même, dans ses rapports avec les autres, dans cette façon de faire société au sein de cet immeuble, ici. Plutôt que de vivre les uns à côté de autres, en comptant sur la gardienne pour tout arranger, ne faut-il pas se prendre en main ensemble ? Plutôt que d’envisager de grands projets révolutionnaires, l’album plaide pour des petites actions responsables et collectives. Je fais ma part, dit le colibri…

Un album sous forme de comédie piquante pour corriger les mœurs par le rire… et nous conduire à nous interroger, sans moralisme, sur nos propres pratiques.

Le dernier des loups

Le dernier des loups
Mini Grey
Rue du Monde 2020

Une version verte du Petit Chaperon Rouge

Par Michel Driol

Munie de son fusil à bouchon, Rouge part chasser le loup dans la forêt, ce qui n’inquiète pas sa mère, puisqu’il y a bien cent ans que les loups y ont disparu. Mais, après avoir pris un sac poubelle et une souche pour l’animal tant désiré, elle se perd, et se trouve face à une porte derrière laquelle vivent confortablement et misérablement le dernier ours, le dernier lynx et le dernier loup. Tout en buvant le thé, ils lui racontent la vie d’avant, partagent son gouter, et la raccompagnent chez elle. Et Rouge décide de replanter des arbres pour qu’ils retrouvent leur vie naturelle.

Conçu comme une réécriture du Petit Chaperon Rouge et de Pierre et le loup (voir en particulier l’illustration de l’héroïne avec son fusil à bouchon), avec humour, l’album évoque la conversion écologique à échelle d’enfant, et notre rapport aux animaux. Réfugiés dans un logement qui semble confortable, les animaux sauvages souffrent d’avoir du mal à trouver leur nourriture (dans les poubelles) et regrettent l’époque où ils chassaient pour vivre. Pas de mièvrerie ou de sentimentalisme donc : les animaux sauvages sont faits pour en chasser d’autres, même s’ils vivent dans une maison civilisée où l’on croise aux murs des portraits de loups célèbres. La forêt primitive est réduite à un mince square dans la ville : l’album se clôt sur la notion du temps long qu’il faudra pour la restaurer. Texte et illustrations sont intimement imbriqués. L’image est foisonnante de détails croustillants (vêtements des animaux pour aller en ville, portraits sur les murs). Les décors sont particulièrement  soignés, et les cadrages expressifs.

Un album plein d’action, de surprises, pour nous conduire, non sans malice, à revoir notre rapport aux animaux sauvages