Par-delà les vagues
Catherine Grive Illustratrices Anouk Alliot et Seunhee Choi
Editions du pourquoi pas ? 2021
Sur la plage, abandonné
Par Michel Driol
Le personnage héros du récit est un enfant qui passe une journée à la plage avec sa famille. Quoi de plus banal, direz-vous… Sauf que le personnage est atteint de troubles bipolaires, et que le récit tente de faire éprouver par le lecteur ce qu’il ressent. Il passe ainsi par une période de peur panique devant la mer, ses dangers puis par une autre période d’exaltation incontrôlable.
La bipolarité est une maladie psychique qui se manifeste par des variations extrêmes de l’humeur : tristesse, profonde mélancolie (phase dépressive), agitation et exaltation (phase maniaque), avec répercussions graves sur la vie familiale et professionnelle, et qui peut résulter de facteurs génétiques, d’une hypersensibilité psychologique ou des évènements de la vie.
Bien qu’œuvre de commande, le texte a son autonomie littéraire propre, qui permet de le lire sans forcément être concerné a priori par le sujet traité. Le texte lui-même oscille entre deux pôles, un pôle poétique – la poésie étant une façon de faire percevoir le monde autrement – et un pôle clinique dans sa description précise du vécu, des pensées, des émotions du personnage. Ainsi, le personnage, anonyme, est-il toujours désigné par un « il » qui à la fois l’éloigne du lecteur, en fait un étrange étranger, et renvoie au mystère de sa personnalité diffractée et anonymée. Ce texte est entrecoupé, à la façon d’un refrain, par des groupes nominaux qui associent le mot « vagues » d’une part à un adjectif et d’autre part à un autre mot, de l’ordre de l’attitude ou du physique de personnage, comme une façon d’impulser un rythme en indiquant les états que traverse le personnage. Le lieu, la plage, et surtout l’image récurrente des vagues renvoient, bien sûr, aux hauts et aux bas qu’il traverse. Trois phénomènes récurrents traversent l’écriture. D’un côté, on est frappé par l’importance et le nombre des négations (il n’entre pas, il ne sait pas) comme autant de façons de marquer l’empêchement, l’impossibilité d’agir ou de se comprendre. D’un autre côté, reviennent régulièrement les notations psychologiques liées à la conscience de la souffrance et du tourment causés aux autres. Enfin, ce sont les conditionnels présents (il aimerait, il voudrait…) qui marquent le désir d’une autre vie. On le voit, toutes les ressources de la langue sont mobilisées et maitrisées pour rendre sensibles les états et les émotions qui envahissent le personnage, jusqu’à la dernière partie du texte, qui évoque, comme un espoir de sortie de crise, l’aide médicale possible, ou celle des autres, avec la nécessité de l’acquiescement du personnage.
Les deux illustratrices proposent un travail tout en finesse et en douceur, dans des couleurs froides (bleu) qui se réchauffent à la fin, pour culminer dans un arc en ciel porteur d’espoir.
Un ouvrage qui donnera envie d’en savoir plus sur les troubles bipolaires, et qui répond bien à l’une des fonctions majeures de la littérature, qu’elle soit de jeunesse ou pas, qui est de permettre, par l’imaginaire, à chacun de faire un pas vers l’Autre et de mieux le comprendre avec empathie dans sa diversité, comme une façon de faire connaitre des mondes différents.