Mon beau grimoire

Mon beau grimoire
Chrysostome Gourio
Casterman (Hanté) 2021

La vengeance est un plat…

Par Michel Driol

Perséphone habite avec son père, fossoyeur, dans un cimetière. Elève timide, rousse, elle est harcelée par trois garçons de cinquième, les trois K, qui la traitent de sorcière et tentent de l’agresser. C’est alors qu’apparait une vieille femme, qui possède un grimoire étrange, et propose à Perséphone de se venger. Perséphone serait-elle vraiment une sorcière ?

Voilà un roman qui articule parfaitement deux genres : d’un côté le roman scolaire réaliste, de l’autre le roman d’épouvante. Réaliste, le roman l’est bien dans sa description du harcèlement dont sont victimes de nombreux ados, à cause de leurs vêtements, de la couleur de leurs cheveux ou de leur allure. Il est aussi le reflet de la domination qu’exercent certains garçons, en meute, contre des jeunes filles qu’ils transforment en victimes. Tout cela est bien vu et bien décrit, à travers le regard et les réactions de la jeune fille. Mais il donne aussi à lire un texte qui relève de l’épouvante : cimetière, nuit, orage, chat, messe noire, pacte. Il convoque tous les ingrédients de ce type de récit, pas seulement comme un jeu ou un cauchemar dont à la fin l’héroïne se réveillerait, mais donne à lire un vrai pacte permettant à l’héroïne d’éliminer ses harceleurs, tout en éprouvant des sentiments très contrastés entre empathie et désir de vengeance. La sorcière y est à la fois le personnage traditionnel, vouté, fumant la pipe, dotée de pouvoirs magiques, mais aussi est présentée comme étant la victime du pouvoir des hommes ou des puissants.

Un roman qui pose la question, au-delà de son aspect fantastique, des relations entre filles et garçons, et du harcèlement.

L’Ile

L’Ile
Lorenzo Palloni
Sarbacane, 2016

La liberté ou le crime

C’est bien connu, les lieux insulaires sont est un terreau fertile pour les utopies… ou pour les cauchemars (voir le film Shutter Island, par exemple, ou L’Ile du Dr Moreau…). Vu la couverture, on penche plutôt pour le deuxième : un soldat (si on regarde bien, on voit que c’est une femme) se tient debout au milieu d’un ruisseau, dans un décor de forêt tropicale où la lumière filtrée par les arbres répand une même couleur verte sur tous les éléments du paysage y compris l’uniforme, Kaki, du soldat.

Pourtant, le début de l’histoire fait croire à une utopie heureuse : cette ile est peuplée d’anciens prisonniers politiques qui ont pu se libérer de leurs geôliers. Ils les ont exterminés, fondant ainsi leur société par le sang. Pourtant, ils étaient pacifistes et avaient été emprisonnés et déportés sur l’île pour cela, parce qu’ils avaient refusé de participer à la guerre générale, sans doute mondiale, que se livraient le Nord et le Sud. Ils vivent en autarcie, en démocratie, depuis 40 ans ; deux nouvelles générations y ont grandi en paix et en ignorant la partie sanglante de l’histoire, développant les valeurs de paix, de tolérance.

Lorsqu’un soldat arrive sur l’île, c’est la panique : il se dit déserteur mais il pourrait être un espion des armées du Nord, il en sait trop, il cherche quelque chose. Très vite, l’île se divise entre ceux qui veulent suivre les valeurs de l’île et ceux qui ont peur d’une attaque. Une famille est au centre de l’intrigue et révèle les différentes façons d’accueillir ou non l’étranger.

Dans cette fable philosophique sur le poids de l’histoire, l’accueil et la cohésion sociale, le désir et l’amour jouent leur jeu. Mais c’est avant tout une belle BD où les couleurs paradisiaques du début virent au kaki et au noir ou à l’orangé dans les scènes violentes et où l’alternance des angles de vue mène la danse à un rythme endiablé. C’est un formidable récit plein de suspens et de rebondissements : les relations entre les êtres se dévoilent, en même temps que l’histoire cachée de l’île, faite de violence et de mensonge. Quant à la « morale », chaque lecteur se fera la sienne.

 

 

Les affreusement sombres histoires de Sinistreville

Les affreusement sombres histoires de Sinistreville
Hubert très très méchant
Christopher William Hill
Flammarion

Fais aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse.

Par Michel Driol

sinistrevilleSinisitreville… rien que le nom fait frémir ! Sur le plan de la ville, à l’ouverture du roman, on relève l’Allée de l’Empoisonneur ou la maison de redressement pour enfants inadaptés… Hubert a la chance d’être admis à l’Institut tant convoité, dont les méthodes d’éducation semblent sorties d’un roman de Dickens… Alors qu’il est brillant élève, le directeur, par brimade, l’accuse de tricherie, lui interdit d’avoir le violon de prestige, et le renvoie. Du coup, toute la famille entre en dépression, car elle est chassée de son logis et de son emploi par le tout puissant Institut. Cela suffit pour déclencher une envie de vengeance chez Hubert, qui ligote un des professeurs… lequel sera retrouvé mort quelques jours plus tard. Puis Hubert décide de supprimer, par des méthodes de plus en plus sophistiquées, les autres professeurs, avant d’être capturé par la trahison de la seule fille sympathique…

Le décor décrit est particulièrement  sinistre : on y travaille dans des usines de colle pestilentielles,  Les officiers aimés par la gouvernante sont tous morts tragiquement,  on boit de la bière tiède…, et le cimetière est bien sûr un des hauts lieux du roman.  Hubert trouve du travail chez un volailler et y apprend à tuer les poulets… Bref, on assiste à un summum du sombre, du glauque et du gothique, dans la lignée de certains romans ou dessins animés qui peignent aussi un univers sans gaité. Mais le tout est raconté avec un humour particulier, noir et grinçant.

Certes, mais faire d’un enfant de douze ans un meurtrier  ingénieux, sans remords, cela pose problème. Les professeurs de l’Institut, à l’exception d’un qui se fait renvoyer, sont certes des notables tout puissants, usant de leur pouvoir pour terroriser et martyriser les enfants qui leur sont confiés. Mais est-ce suffisant pour justifier le désir de vengeance personnelle à travers des meurtres perpétrés de sang-froid, avec préméditation, et un certain sadisme ? La question morale mériterait au moins d’être posée. Le personnage féminin d’Isabella s’avoue à la fin tout aussi amoral que celui d’Hubert, pour avoir le violon en sa possession. Seul le professeur Lomm et, dans une moindre mesure, les parents d’Hubert apparaissent comme positifs.

L’imaginaire, la légèreté du ton, l’humour, permettent-ils de subvertir les valeurs ?

 

La vie est belle

La Vie est belle
Christophe Léon
La joie de lire, Encrage   2013

  Souffrance au travail

Par Maryse Vuillermet

la vie ets  belle image J’avais été frappée par  la force et l’horreur d’un des romans précédents de Christophe Léon Silence, on irradie, publié chez Thierry Magnier en 2009 qui se situait dans des territoires dévastés par une explosion nucléaire. Celui-ci se déroule dans une famille dévastée  par  une explosion sociale. L’histoire commence par le récit fait par plusieurs passants de la défenestration  d’un homme sur  son lieu travail.

Puis, le récit se poursuit à la première personne du singulier. Lewis,  le narrateur,  quinze ans, fils de la victime du suicide, nous explique sa stratégie très réfléchie,  presque diabolique pour rencontrer et devenir l’ami de Julia,  une fille de son lycée. Or, il ne l’aime pas, et elle n’est pas jolie. Peu à peu, grâce à des retours en arrière, on comprend que son unique projet est la vengeance. En effet, son père a été harcelé par son chef,  humilié et conduit à la dépression et au suicide ; son sentiment d’échec, ses souffrances l’ont détruit,  lui et sa famille et le responsable, son patron, est le père de Julia.

Mais la mère de Lewis, elle,  a décidé de tourner la page, elle rencontre un homme simple et joyeux et veut refaire sa vie. Evidemment, Lewis le déteste mais accepte de l’accompagner au stand  de tir où il apprend à manier une arme. Les travaux d’approche fonctionnent,  il devient ami avec Julia qui, contre toute attente, se révèle être une fille intéressante.

Le grand jour arrive, il est invité  par les parents de Julia qui est même devenue jolie avec un peu de maquillage. Son frère Oscar a compris qui est Lewis, mais c’est un rebelle dans sa famille, il déteste son père et veut assister au règlement de compte.Tout semble se passer bien, le père de Julia, l’odieux patron qui a harcelé son employé, s’intéresse à Lewis, se montre prévenant. Que  va faire Lewis ? Va-t-il accomplir sa vengeance ?

Atmosphère étouffante et cruelle.  Suspens jusqu’à la fin.

Et récit d’une actualité poignante. L’entreprise s’appelle Violet Telecom, elle pourrait être n’importe laquelle des grandes sociétés de service qui maltraitent leurs employés et dont les suicides font régulièrement la une de la presse.Tous les protagonistes de l’histoire sont les victimes collatérales de ce nouveau fléau social mené au nom de la rentabilité,  appelé  harcèlement  au travail.

Le Pirate de l’Au-delà – Un livre dont vous êtes le héros

Le Pirate de l’Au-delà – Un livre dont vous êtes le héros
Steve Jackson, Ian Livingstone
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]

Je ne suis pas un héros ?

Par Matthieu Freyheit

lepiratedelaudelaAttention : vous avez affaire à un fan. Après une jeunesse passée à explorer les manoirs, les ports et les cimetières, à se prendre au jeu d’écrire des aventures dont quelqu’un serait le héros, quel plaisir, oui, quelle joie de voir réédités les classiques de ces fameux Livres dont vous êtes le héros. Pour les nostalgiques de mon espèce et de ma génération, les titres sont autant d’appels à renouer avec d’anciennes sensations de quête, intime, filée au cours des pages. C’est également, pour tous, l’occasion d’observer le travail du temps sur des textes incroyablement marqués par l’esprit des années 1980…

C’est malheureusement l’un des écueils de cette (nouvelle) collection : replonger dans les Livres dont vous êtes le héros, c’est un peu comme re-regarder Conan le Barbare, on se demande si ça peut vraiment fonctionner avec ceux qui n’ont pas grandi à leur contact. Pour nous autres, en revanche, c’est un mélange d’amusement, d’affection, et, peut-être, une part d’ennui. C’est que, il faut bien le dire, Le Pirate de l’au-delà ne constitue pas le sommet du genre. L’écriture est certainement dépassée et, plus étonnant, le rythme lui-même semble appartenir à un autre temps.

Mais enfin, je brûle des étapes. Pour les nouveau-nés au genre, le Livre dont vous êtes le héros est un livre, un vrai, dont VOUS êtes le héros. Certes, je joue un peu sur la répétition, mais il est bon d’insister. Après une introduction (plutôt courte), sorte de scène d’exposition, il vous faudra effectuer une succession de choix qui vous renverront à chaque fois à un numéro. Ainsi, le livre dont vous êtes le héros est constitué d’une suite de paragraphes numérotés, et se lit dans un ordre tout-à-fait aléatoire d’un lecteur à l’autre et, plus encore, d’une lecture à l’autre. Car ne croyez vous en sortir du premier coup : vous affronterez la mort, et elle n’est pas sans conséquence, comme dans certains jeux vidéo. Pas de sauvegarde, il faut recommencer du début, et reprendre sa feuille de route. Feuille de route ? C’est un tableau situé au début du livre, avant que l’aventure ne commence, et sur lequel vous aurez à noter vos points d’endurance, d’habileté, de chance, éventuellement de magie, ainsi que l’ensemble des objets que vous transportez, les codes et mots de passe découverts, les pièces de monnaie récoltées… tant de choses, tant de choses ! Usage aléatoire, lectures multiples, prise de notes : Mac Orlan n’a qu’à bien se tenir, ici il n’est pas question de distinguer aventuriers passifs et actifs, car l’aventure est au coin de la page ! Simplement fascinant.

Revenons à celui qui nous intéresse. Six pages suffisent à dresser le tableau de votre nouvelle existence de héros du Pirate de l’au-delà. Les ingrédients ne sont pas follement originaux : un pirate terrible et maléfique, le massacre de votre famille, l’avènement de votre désir de vengeance. Inutile de vous en dire plus, si ce n’est que ce n’est pas parce que tout le monde raconte que le fameux pirate est mort qu’il a pour autant cessé ses méfaits. L’infâme ! Comme je le disais plus haut, ce n’est sans doute pas le plus inoubliable de la collection. Le texte est relativement simpliste et convenu, même attendu, et l’enchaînement qui devait nous faire haleter demeure un peu mou, et pas toujours savoureux. Ceci dit, l’actuelle veine des pirates offrira peut-être à ce volume plus de succès qu’il n’en mérite, tandis que d’autres volumes de la collection, plus réussis, passeront inaperçus. Mon désir profond étant, bien sûr, que les éditions Gallimard parviennent à travers cette collection à susciter quelques nouvelles vocations, et que des auteurs contemporains se lancent à leur tour dans l’aventure que constitue l’écriture de genre si particulier, si potentiellement riche.

Pour ma part, les autres classiques de Steve Jackson, Ian Livingstone et Joe Dever occupent ma table basse, et attendent que je m’y plonge pour vous en rendre compte. C’est que ce n’est pas désagréable, d’être un héros.

Yakoubwé

Yakoubwé
Thierry Dedieu
Seuil jeunesse, 2012

Je suis mon lion 

Par Christine Moulin

YakoubwéOn se souvient sûrement de Yakouba, ce jeune homme dont le courage avait consisté  à refuser de paraître courageux,  à braver l’opprobre, pour rester juste et généreux. Le revoici. Il lui arrive quelque chose de terrible: Kibwé, son ami lion, est tué par les hommes de sa tribu (Kibwé qui avait eu, lui aussi, droit  à son album).

Sa souffrance est de celles dont on ne peut pas donner la mesure: c’est pourtant ce que Thierry Dedieu parvient à faire, par les mots et les traits qu’il crache sur la feuille. L’histoire, sauvage, se contente, au fond, d’expliquer le titre, qui unit Yakouba et Kibwé. Elle a la simplicité d’une tragédie et parle pour toutes les douleurs injustifiables que provoque l’esprit de vengeance. C’est un conte de désolation et de mort, mais aussi d’apaisement, qui nous ramène aux premières lignes de la première histoire, celle de Yakouba, nous signifiant que derrière l’impression d’éternel recommencement, gît peut-être la possibilité de refuser la fatalité de la violence.

Et l’on emporte en soi le magnifique regard de l’ami lion.

 

Mets pas ton nez dans ta bouche

Lulu mets pas ton nez dans ta bouche
Cécile Van Hille, Amélie Girard
L’Atelier du Poisson Soluble, 2010

C’est pas de la purée de raviolis bouillis !

par Christine Moulin

cécile van hille,amélie girard,atelier du poisson soluble,maltraitance,vengeance,tabou,christine moulinLa chauve-souris sur la couverture a l’air très mignonne et gentille. Et elle l’est, vous verrez pourquoi. Mais passée la page de garde (où l’on trouvera la dédicace qui a donné son titre à cette chronique), le cauchemar commence. Les illustrations se répandent, fascinantes et obsédantes et le texte distille son fiel.

Donc, c’est l’histoire d’un petit garçon qui a une apparence tellement repoussante que tout le monde le repousse, y compris ses parents, qui le cantonnent au grenier. Jusqu’au jour où le père s’attaque à Scope, le poste de télévision…

Quand on referme l’album, on croit à peine avoir lu ce qu’on a lu : on retrouve le coup à l’estomac du mythique Le géranium sur la fenêtre vient de mourir mais toi maitresse tu ne t’en es pas aperçue (Albert Cullum ; trad. de l’américain Marie-Ange Guillaume, adaptation de François Ruy-Vidal, Quis/Ruy Vidal) dans la version de 1972, et non dans celle de 1978, scandaleusement édulcorée. La famille, la société, les bons sentiments, la vision « bisounours » de l’enfance, les valeurs « universellement » reconnues comme la nécessité du pardon, tout cela vole en éclats. Même si, à y bien réfléchir, on comprend que le besoin d’amour peut prendre des voies bien détournées, comme le laisse à penser la dernière image. Mais, bref, on en reste tout pantois, et content de l’être.
Une adresse où l’on peut se faire une idée des illustrations, un peu dans le style des années 70