La Brigade de l’oeil

La Brigade de l’oeil
Guillaume Guéraud
Rouergue, 2019

Le Fahrenheit 451 des images

Par Anne-Marie Mercier

L’univers décrit par Guillaume Guéraud en 2007 (il s’agit ici d’une réédition en grand format d’un poche de « doAdo noir ») ressemble à une inversion de celui que l’on trouve dans le roman célèbre de Bradbury, Fahrenheit 451 : ici, ce ne sont plus les livres qui sont traqués, mais les images, toutes les images. Elles sont soupçonnées d’asservir les esprits, de fausser les jugements, de faire l’apologie de la violence et d’être l’opium du peuple. On les brûle. Au contraire, la littérature est au centre de la culture (on parle un peu du théâtre, mais pas autant qu’on aurait pu) : les rues portent des noms d’écrivains, la faculté des lettres est l’objet de toutes les attentions…

Monde idyllique ? non : tout cela a été accompli à travers une répression sauvage menée contre les cinéphiles, les artistes, les amateurs de porno, les sentimentaux attachés à leur passé… Plusieurs scènes décrivant des massacres montrent la brutalité de la Brigade de l’oeil (un genre de police des mœurs, et notre présent rejoint le livre) qui lutte contre ceux-ci et l’acharnement des défenseurs d’images. L’impératrice Harmony veille sur tout, et l’on apprend qu’elle est même l’auteur des livres du philosophe qui dicte sa conduite à toute la société. Tout cela rappelle les pires moments des régimes totalitaires, notamment celui de Ceausescu, mais fait écho à d’autres récits comme 1984 qui montrent comment on peut guider par la propagande et la police de la pensée toute une société.

Lorsque l’histoire commence, le « mal » est quasiment éradiqué et l’on suit un lycéen réfractaire, Kao, qui entre en contact avec les derniers résistants, et un capitaine de la Brigade. L’alternance des points de vue donne à ce récit une épaisseur humaine intéressante (chacun a ses raisons et doute parfois). Tout cela se finit très mal, mais entre-temps on aura vu l’importance des images, leur force, leur capacité à témoigner de l’Histoire (belle évocation de Nuit et brouillard) et on aura pu lire un bel hommage à toute l’histoire du cinéma (Les Temps modernes de Chaplin joue un rôle de premier plan).

Ce texte est provocateur, tant il prend le contre-pied de toutes les condamnations du monde des images dans lequel nous vivons et fait le procès de la lamentation sur la perte d’influence de la littérature mais il fera consensus (ou du moins un certain consensus) sur un point : la télévision seule est condamnée par tous.

Le suspens est très bien mené, les personnages intéressants, l’univers futuriste est très proche du nôtre, de plus en plus proche… (que de mauvais chemin fait en quinze ans seulement !)  et convaincant et tout cela est combiné avec la question de la place des images poussée jusqu’à son paradoxe.

(reprise un peu modifiée de mon article de 2007)

 

 

Tous les chiens savent nager (ou presque)

Tous les chiens savent nager (ou presque)
Gauthier David
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand Papi jette la chienne à l’eau

Par Michel Driol

Mika dore passer ses vacances chez Papi Bouli, où il peut jouer avec Morille, la petite chienne. Jusqu’au jour où le grand père, pour prouver que tous les chiens savent nager, jette la petite chienne à l’eau. Celle-ci regagne bien la rive, mais ensuite boite et gémit. Et le grand père ne veut rien savoir, si bien que Mika se sauve avec Morille pour trouver un moyen de la guérir.

Voilà un roman qui tranche avec les représentations des relations grands-parents / petits-enfants en littérature pour la jeunesse. Le geste imbécile du grand-père, sa volonté de ne pas le reconnaitre, de ne pas s’excuser, conduisent son petit-fils à le voir autrement, comme un monstre d’abord, puis comme un homme qui a vécu et a, sans doute, son histoire à raconter. C’est là l’intérêt de ce petit roman de poser des questions d’ordre psychologique. Les adultes aussi peuvent se conduire comme des enfants. Il est bien difficile de reconnaitre ses torts. Mais, bien sûr, l’amour finit par tout arranger !

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui permet d’aborder la question du comportement de tous et de chacun, et la notion de responsabilité

Bearmouth

Bearmouth
Liz Hyder
La Martinière Jeunesse 2021

Mineur de fond…

Par Michel Driol

Le fond d’une mine, à une époque non définie (sans doute le XIXème siècle). C’est là que Crapouille pousse les wagonnets de charbon, sans jamais remonter à la surface. Il apprend aussi l’orthographe, grâce à son ami Thomas, ce qui lui permet d’écrire à sa mère, dont il ne reçoit jamais de réponse. Lorsque Desmond arrive au fond de la mine, il apporte avec lui des idées d’émancipation et de liberté.

Meilleur roman jeune adulte selon de nombreux journaux anglais, cette Gueule d’Ours ne laisse pas indifférent. D’abord par l’écriture, qui respecte l’orthographe phonétique du narrateur. Le Seigneur devient ainsi le Saigneur… Ensuite par ce qu’il dit de la violence du monde dépeint : violence du Maitre de la mine et de la hiérarchie, toute puissante, violence  des rapports entre les ouvriers, violence de l’abrutissement dans la bière les jours de paie ou le dimanche, violence du travail forcé des enfants au fond des couloirs sombres, violence de l’univers concentrationnaire ainsi raconté par un narrateur d’une dizaine d’années qui n’a que de lointains souvenirs du soleil et de la ferme natale. C’est aussi un roman d’apprentissage dans lequel le héros se révèle à lui-même dans son identité et dans ses capacités, passant, sous l’influence de Desmond, de sa soumission à l’ordre « normal » des choses à la révolte, en découvrant la réalité de l’exploitation à travers quelques expériences. L’ordre social, la religion qui le fait perdurer sont ainsi remis en cause dans ce roman dont les personnages ne sont pas épargnés par l’autrice : beaucoup meurent dans des accidents ou sont tués. Si l’histoire est censée se passer au XIXème siècle (conditions de travail dans les mines, habillement du Maitre de la mine…), elle parle de notre époque : du travail des enfants dans d’autres mines de métaux rares, soumission à la religion qui préserve l’ordre social, attouchements sur les enfants, capacité à se révolter, question du genre aussi.

Un roman fort qui s’ancre dans le passé pour décrire notre univers, à la façon des dystopies.

Old soul, Nancy Guilbert

Old soul
Nancy Guilbert,
Editions courtes et longues, 2021

 

 « La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents » Boris Cyrulnick

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Ce roman choral a une unité de lieux :  une région du Canada, sauvage, boisée, qui est encore traversée par des loups, des orignaux, et qui conserve la mémoire des Nations premières.

Les personnages, Brindille, Will, Emâ et Mahikan ont en commun un abîme de souffrance. Ils s’expriment tour à tour.  Brindille vit dans une famille recomposée, avec sa mère, son petit frère aveugle, son beau-père et son demi-frère. Elle et son petit frère sont humiliés, frappés par leur beau-père et leur demi-frère. Elle tente de protéger son petit frère aveugle, comme elle peut.  Sa mère, qui a épousé sur un coup de tête, cet homme cruel et est venue habiter avec lui et son fils, fait semblant de ne rien voir, et même quand Brindille se plaint, refuse d’intervenir. Will est un jeune infirmier dans un service pédiatrique où les enfants malades ou grands-prématurés sont pris en charge.  Emâ vient de France, elle est soignante dans un parc animalier qui protège les loups, elle est passionnée de ces animaux élégants, solidaires et fidèles. Elle tient un blog où elle raconte sa vie avec eux, on ne sait pas pourquoi elle est venue de si loin.  Mahikan est un jeune Amérindien, qui, pour ne pas aller à la pension des Blancs, des centres de redressement qui inculquent aux Amérindiens la honte de leur culture, a fui sa famille et vit dans la forêt.  Il a aménagé une grotte et rencontre parfois un loup solitaire qu’il nourrit.

Vous comprenez donc que le thème est la fuite et la quête de l’amour pour tous ces jeunes malmenés, frappés par des adultes violents ou abandonnés par leurs parents, en effet, aucun ne se laisse détruire. Tous sont passionnés par la nature, les animaux ou encore les tout petits êtres qu’on croit incapables de communiquer, comme les bébés.  Brindille et son petit frère connaissent très bien les oiseaux, leur chant, leurs couleurs, leur habitat, Emâ est une spécialiste des loups et Mahikan a hérité de son grand-père la connaissance des animaux, de leur mode de vie et un certain animisme, une façon de communiquer avec eux.  Will est passionné par son métier, les enfants malades et se prend d’une immense affection pour un bébé abandonné. Lui aussi, à sa manière,  prouve qu’on peut communiquer avec les tout petits bébés, même très prématurés et que, dès cet âge, l’amour  est nécessaire à leur survie.

Ces passions les aident à vivre, à prendre des décisions et les consolent de leurs souffrances.  Dans leur quête, ils ont parfois des personnages tutélaires, grands-pères, pères, souvenirs vagues d’une mère ou des esprits qui les protègent.

Brindille va avoir le courage de fuir avec son petit frère.  Mohikan s’est échappé dans la forêt mais rôde autour de la pension pour Amérindiens en veillant de loin sur ses plus jeunes frères et sœurs qui y sont enfermés.  Emma en soignant les loups, en parcourant leur domaine, en tentant de les protéger des braconniers et des chasseurs stupides, se répare aussi. On comprend que Will, en veillant sur le bébé, revit son propre passé mais il en change la perception aussi.

L’ensemble est très vivant, parce qu’on a les points de vue des quatre personnages, donc leurs quatre univers, mais aussi une grande variété d’énoncés : des extraits de blog avec commentaires d’Emâ, des extraits de chansons, des extraits du journal de naissance que Will écrit pour que le bébé, pour qu’elle garde la mémoire de ses premiers jours, des extraits de prières et des mots du lexique Atikamekw avec leur traduction…

A la fin, les histoires des quatre personnages se relient, et c’est encore une belle surprise.

La Folle Rencontre de Flora et Max

La Folle Rencontre de Flora et Max
Martin Page, Coline Pierré
L’école des loisirs (médium + poche), 2018

Prisons – écrire pour s’échapper

Par Anne-Marie Mercier

Ce petit roman épistolaire déjà publié en 2015 méritait une réédition en poche, tant l’hisotire de Max et Flora est à la fois singulière et commune et tant elle est abordée avec délicatesse. Flora est en prison pur avoir blessé gravement une fille de sa classe qui la harcelait. Max lui écrit pour lui dire qu’il la connait de loin et qu’il a eu envie de lui écrire parce que leur situation est à la fois lointaine et semblable : il est lui aussi prisonnier.

L’histoire de l’un et de l’autre est distillée peu à peu, avec pudeur et sensibilité. L’humour de Max et l’énergie de Flora sont touchants, tout cela est parfaitement agencé, percutant, mais en douceur. Les lettres sont brèves et proches de ce qu’on pourrait attendre d’adolescents d’aujourd’hui, même si l’auteure préférée de Flora est Sylvia Plath…).

Halte à la bagarre !

Halte à la bagarre !
Caroline Pelissier – Virginie Aladjidi  – Illustrations de Kei Lam
Casterman 2020

La communication pacifiste expliquée aux enfants

Par Michel Driol

A qui appartient l’acacia majestueux de la savane ? Il abrite trois amis : un chacal, Nico, un zèbre, Alfred, et un singe, Johnny. Mais un jour, parce qu’il est gêné par les deux autres dans son sommeil, l’un prétend en être l’unique propriétaire. Et les deux autres de revendiquer l’arbre eux-aussi pour eux seuls. Le ton monte, la bagarre éclate, dévastant quelque peu l’arbre. Arrive alors la girafe au grand cœur, Thérésa, qui réfléchit au lieu de parler, et leur propose d’expliquer les raisons de leur colère. Chacun découvre alors pourquoi l’autre tient à l’acacia, et la paix revient.

Voilà une fable qui montre, en action, la communication non violente appliquée à un cas concret. L’album fait le choix de la distanciation, avec des animaux, l’Afrique, une situation bien loin des conflits de cour de récréation ou dans la famille. Les illustrations sont particulièrement expressives pour montrer la montée de la violence. On voit bien qu’il est question de revendiquer pour soi seul un coin de territoire, de ne pas accepter de partager quelque chose. Prendre le temps de réfléchir, apprendre à verbaliser ses émotions, ses sentiments, à mettre des mots sur ce qu’on ressent, voilà une façon d’apprendre à gérer les conflits. Trois pages explicatives, à destination des enfants pour les unes des parents ou des éducateurs pour l’autre, permettent d’aller plus loin.

Un album didactique pour apprendre à gérer les conflits.

 

La Plus Grande Peur de ma vie

La Plus Grande Peur de ma vie
Eric Pessan
L’école des loisirs (« Médium »), 2017

Massacre au collège ?

Par Anne-Marie Mercier

Un roman court, une illustration pleine page en couverture, un titre qui semble pasticher un sujet de rédaction à l’ancienne… tout cela pourrait faire penser à un ouvrage pour les très jeunes lecteurs. Mais non, c’est un titre de la collection « Médium », qui est donc destiné à des adolescents.
La peur dont il est question est effectivement une grande peur, et elle est partagée par beaucoup : il y est question de massacre possible en établissement scolaire, d’un désir de vengeance chez un adolescent harcelé par d’autres, de secrets partagés, et de responsabilités de groupe, donc de questions lourdes. Elles sont traitées ici sans pesanteur, avec le point de vue d’un adolescent qui raconte ce dont il a été témoin. Il le fait de manière empathique : le manipulateur d’explosif est d’abord son ami, un élève fragile un peu perdu, un être pris par un engrenage de circonstances. Chacun pourrait occuper l’un ou l’autre des rôles dans cette histoire.
C’est aussi une réflexion sur la passivité qui nous empêche parfois d’agir quand on le devrait : « quand on est témoin […] on est contaminé par la honte et la colère. On s’en veut de ne pas savoir comment réagir. On aimerait se lever […] Et je ferais mieux d’arrêter d‘écrire « on » pour oser écrire « je », parce que ces pensées sont les miennes. Norbert a beau être mon ami, je ne l’aide pas. Je me dis qu’il doit trouver la solution tout seul. Je me dis que si je l’aide […] Alexandre me harcèlera toute l’année »

Le récit ménage le suspens, commencé avec un prologue dans lequel le narrateur se présente : un garçon ordinaire, avec juste une touche d’originalité par le fait qu’il aime écrire des histoires.  Il a une histoire à raconter, mais comme elle est vraie, il peine à la dramatiser et il cherche ses mots, il les pèse. Chaque étape semble rapprocher du drame ; des retours en arrière ralentissent la réponse à cette attente. La description de la montée de l’angoisse  chez les quatre amis, élèves de cinquième est très réussie et illustrée par des effets typographiques originaux et éloquents.

La rédaction est réussie, elle obtient une note maximale pour son art du récit et sa vérité, pour ses personnages très caractérisés, pour la peinture fine de leurs relations, avec le portrait d’une vie scolaire et la mise en scène de questions très contemporaines, et pour l’évocation de questions difficiles comme la prise de responsabilité, la demande d’aide aux adultes, et le prix – et le coût – de la solidarité.

Lire le début

La fille quelques heures avant l’impact

La fille quelques heures avant l’impact
Hubert Ben Kemoun
Flammarion Jeunesse, 2016

Montée des périls

Par Christine Moulin

Voilà un livre qui a pour mérite premier et non négligeable de maintenir le lecteur en haleine. Tel est l’effet produit par les multiples voix qui se succèdent, que l’on peut repérer grâce à la typographie: le premier « je », on l’apprendra très vite, est celui de l’héroïne, Annabelle, collégienne de troisième. Elle semble en grand danger mais évidemment, on ne sait pas pourquoi et commence un flash back haletant. Le deuxième chapitre laisse sa place à un narrateur extérieur à l’histoire, même si les événements sont vus à travers le regard épuisé d’une prof, Isabelle, qui tente d’intéresser une classe de troisième à son cours de français (« Les intéresser? Les réveiller lui suffirait. »). Les personnages principaux sont campés à travers des dialogues vigoureux et drôles: Fatoumata, la meilleure amie, pleine de vie, d’Annabelle; Mokhtar, dit Momo, particulièrement « bon en invectives »; flanqué de son servile alter ego, Fabien, le fils d’un riche gérant d’hôtels aux sympathies d’extrême droite, qui veut se présenter aux élections municipales; Ethan Atkine, discret et peu populaire; Sébastien, le bourreau des coeurs avec qui « sort » Annabelle, pour de mauvaises raisons. De réplique en réplique, la tension monte et trois élèves sont exclus. Mais à la fin du chapitre, une nouvelle scène est mise en place: un jeune homme agonise, fou de douleur. Annabelle prend alors la parole, le temps de nous parler de son amitié avec Fatou. L’atmosphère est révélatrice: « La chaleur était trop pesante. Elle ressemblait à une erreur, un mensonge qu’on aurait aimé voir rectifié par un gros orage ou, au minimum, un chouïa de vent ». Les éléments principaux de la tragédie sont mis en place et on va assister à la montée des périls: tout converge vers le concert qui est prévu le soir même, pour protester contre la candidature du père de Fabien, en une alternance de chapitres plutôt courts et haletants (selon le procédé bien connu mais efficace qui consiste à interrompre le récit de chaque « branche » du roman à un moment palpitant). Chaque personnage est soumis à une trop forte pression et semble prêt à « péter les plombs ». Jusqu’au drame.

Mais cet art du suspens n’est pas le seul attrait du livre: les personnages en sont attachants, à commencer par la courageuse Annabelle, qui prend soin de sa mère dépressive pendant que son père est en prison. Certes, on pourrait reprocher à l’auteur de n’avoir pas toujours fait dans la nuance, d’avoir forcé le trait mais pour une fois, on sent que les classes sociales existent et qu’elles influent sur les vies des adolescents, qu’il serait difficile de rassembler sous l’étiquette trop générale de « jeunes ». D’ailleurs, tout n’est pas caricatural et l’on sent que certaines prises de conscience ont eu lieu.

Enfin, c’est l’écriture qui réserve les meilleurs surprises: les dialogues claquent, la prose d’Hubert Ben Kemoun est dense et en quelques mots, on capte une image, on ressent une émotion, on comprend un personnage. Un exemple ? Dès les premières pages: « A présent, c’est moi qui livrais ma dernière bataille dans l’incandescent de ce qui allait devenir ma tombe » ou bien vers la fin: « Est-ce qu’on commence à mourir par les yeux? ».

Tous ces atouts sont au service d’un message de tolérance relayé par la postface de l’auteur: « Ma fiction est-elle rattrapée par l’immonde réalité? Je ne sais pas. J’ai plutôt tendance à penser que les auteurs d’aujourd’hui éclairent des réalités de demain… »

PS: qui fait lire Le diable au corps en troisième?

 

Dans le désordre

Dans le désordre
Marion Brunet
Sarbacane 2016,

Vivre en communauté et croire à ses rêves
Par Maryse Vuillermet

Sept jeunes se rencontrent en plein cœur d’une manif, ils s’entraident, se soutiennent. S’apprivoisent et continuent à se voir. Puis ils décident de vivre ensemble dans un squat. Grâce aux dialogues très animés et aux points de vue qui alternent,  on les suit au plus près. Certains sont étudiants, Jeanne, Ali, Jules et Lucie, certains travaillent,  Basile est cordiste, d’autres essayent de travailler et vivent de tout petits boulots comme Marco déjà bien cabossé mais expérimenté dans les luttes. Tous veulent échapper à leur famille trop bourgeoise ou trop bête ou trop triste, certains veulent fuir un passé déjà douloureux mais tous veulent changer le monde et construire une autre vie plus libre, plus dans le présent,  une vie où l’on ne possède rien, où l’ on partage tout et où l’on s’aime sans compte à rendre.
Mais les contradictions sont tyranniques, comment changer le monde ? Par la lutte armée, la violence ou la non-violence, être libre mais qui fait le ménage dans le squat, ne pas travailler mais qui vole au supermarché pour manger, ne plus aller à la fac et se retrouver plongeuse à la merci d’un patron immonde?
Ce portrait de groupe va à l’encontre des idées reçues sur la jeunesse d’aujourd’hui, il nous montre des jeunes qui n’ont pas renoncé à leurs rêves, qui se battent, qui ne sont ni individualistes ni résignés mais au contraire inventifs et généreux. Ils vont cependant en payer le prix et le récit commencé dans l’enthousiasme s’achemine vers une tragédie.

Détroit

Détroit
Fabien Fernandez,

Gulf Stream, 2017

Le roman d’une ville à l’agonie

Par Maryse Vuillermet

Detroit, motor city, la ville de Ford et de l’opulence américaine, désormais à l’agonie, sert de décor à ce roman urbain. L’extrême misère sociale, les zones de non-droit, les gangs ultraviolents, les combats de chiens, la prostitution des gamines…
Trois narrateurs s’expriment tour à tour, Ethan, journaliste photographe, fasciné par le passé industriel et les immenses friches de Détroit, Tyrell, jeune lycéen black, qui attend avec impatience la fin du lycée pour fuir l’endroit, et peut-être oublier ses accès incontrôlés de rage. Et, une curiosité narratologique, la ville de Détroit elle-même, narratrice, observe, commente le destin de ses habitants et espère malgré tout en sa propre résurrection.
D’autres personnages sont attachants, Sonya lycéenne, que Tyrrell aime, mais qui se prostitue pour faire vivre sa famille et qui est terrifiée par le chef du gang des Crisps, la mère de Tyrrell, infirmière de nuit dont on découvrira le drame à la fin, la policière, le clodo, ex chanteur déchu, ils hantent cette ville,  impuissants à la quitter, désespérés et ils nous restent en tête.
L’ambiance est ultra violente, l’univers romanesque inédit, le style intéressant, qui se déploie parfois en images très puissantes mais les interventions de la ville-narratrice tournent parfois au procédé, en tout cas,  ralentissent l’intrigue qui est peut-être un peu vite résolue.
C’est le seul bémol à ce roman trash mais audacieux et attachant.