Les Petites Voleuses

Les Petites Voleuses
Claire Renaud
Roman Sarbacane 2024

Fracture sociale

Par Michel Driol

Héloïse et Pauline sont cousines. La première vit dans les beaux quartiers de Neuilly, la seconde en lointaine banlieue est, au milieu des champs. Tout les oppose, mais elles volent ensemble dans les magasins de luxe. Jusqu’au jour où Pauline se fait prendre, et où un commissaire à la retraite, ainsi que l’irrésistible Charles, alias Boubou, entendent lui faire admettre que la responsable est Héloïse qui le méprise et la manipule.

Héloïse et Pauline… Hélo et Popo…  D’un côté, une fille de chirurgien, une fille snob, superficielle, riche, égoïste, lâche, hypocrite, sûre d’elle-même, ne vivant que pour l’apparence. Bref, on cherchera longtemps dans la littérature de jeunesse un personnage d’adolescente aussi négatif et insupportable qu’elle. De l’autre, la fille d’un plombier et d’une institutrice, en admiration devant sa cousine et les fêtes auxquelles elle la traine, sans avoir conscience qu’elle ne lui sert que de faire valoir. Comme dans La Vie mode n’est pas un long fleuve tranquille, sauf que là, l’autrice pousse le manichéisme à l’extrême. Peut-être trop… Selon les chapitres, on a, en alternance, les points de vue des deux héroïnes, ce qui permet de montrer les deux perceptions du monde bien différentes qu’elles ont.  Les chapitres pris en charge par Héloïse peuvent laisser le lecteur mal à l’aise, à cause de sa méchanceté, de sa mauvaise foi, de son autosuffisance…  A côté de la mère d’Héloïse, imbue de son corps et de sa minceur, de son père assez absent du roman comme de sa vie, toute une galaxie de personnages sympathiques ou originaux. Les parents de Pauline, dévoués et prêts à rendre service, un groupe de mamies dont certaines ont la langue bien pendue, un général  bien particulier, et un commissaire qui emprunte à Maigret son sens psychologique, son humanité autant que son surnom…

C’est un roman sur l’emprise et la façon de s’en débarrasser, emprise d’autant plus violente qu’elle se situe dans l’univers familial. Il faudra toute la sollicitude de Boubou, toute sa psychologie, pour que Pauline ouvre les yeux sur ce qu’a d’odieux envers elle le comportement de sa cousine. Pourtant Pauline se souvient avec bonheur, dans de belles pages, de leurs trois ans, des histoires racontées par la grand-mère, d’une époque où les différences de classe n’étaient pas marquées. Tout se passe comme si les enfants naissaient bon, et que la société les dépravait, au contact des adultes dont ils singent les comportements dans une quête de distinction très bourdieusienne, quand ce n’est pas dans une rupture-révolte adolescente. C’est là aussi que le roman prend une autre dimension, cette de la critique sociale de la bourgeoisie. Dans des passages consacrés au logement, à la nourriture, aux relations sociales, on découvre un monde où l’apparence vaut plus que l’être, où l’argent est le seul moteur, un monde de l’entre soi où on se connait et se fréquente depuis la naissance. Les analyses des Pinçon-Charlot ne sont pas loin… De fait le roman présente deux milieux sociaux bien opposés, dans lesquels même certains mots n’ont pas le même sens.

Une vision cruelle d’une certaine adolescence, un roman auquel on pourra peut-être reprocher le manichéisme, mais qui dépeint avec beaucoup d’empathie un milieu social populaire pour en dénigrer un autre, bourgeois et superficiel. On laissera le lecteur s’interroger sur la vraisemblance et le réalisme de certaines scènes, notamment celles avec le commissaire Magret, mais on appréciera la façon dont l’autrice, à travers ses personnages, ses situations, incite à s’interroger sur la valeur des choses et des êtres, notamment à travers la façon dont Pauline revoit son jugement sur ses parents. Un dernier mot : Pauline joue du basson, un instrument rare en littérature, et très symbolique ici tant il est parfois difficile d’en faire entendre les notes, comme la voix de l’héroïne..

Le Ballon d’Achille

Le Ballon d’Achille
Marie Dorléans
Sarbacane, 2020

Souffler, jouer, voler

Par Anne-Marie Mercier

Sur un jeu de mot qui évoque le personnage d’Achille Talon, nous voilà loin du héros grec, avec un tout jeune garçon qui essaie en vain de gonfler un ballon dans une fête d’anniversaire.
Entre deux souffles, il se passe quelque chose de magique : Achille s’envole avec son ballon, rejoint les avions et les montgolfières, survole un château, retombe, remonte en regonflant son ballon, puis repart vers le nord, au pays des ours blancs, puis vers le sud, au pays des jonques, et ensuite dans la forêt des lions, et enfin rejoint la fête d’anniversaire. Il s’y retrouve, toujours avec son ballon vide à la main, exactement au point où il était au milieu d’amies narquoises qui ignorent tout de son « voyage ».

Le lecteur fait un beau voyage lui aussi, dans ces vastes pages au format haut, dans lesquelles le blanc domine et où les décors au crayon esquissent des idées de paysages plus que des paysages. Les couleurs, limitées à trois dans le voyage (gris-bleu et rouge ou brun et vert) ajoutent à l’aspect épuré et mettent en valeur le jaune éclatant du ballon et la multiplication des couleurs de la jungle et des oiseaux exotiques, anticipant le retour dans la scène d’anniversaire.
Achille a-t-il rêvé ? il semblerait que non, vu le cadeau qu’il apporte.

La vie cachée des poupées

La vie cachée des poupées
Gisèle Bienne
L’école des loisirs (Médium), 2012

Petits larcins et thérapie

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce très joli roman, porté par la poésie des poupées mises au rebut et par la voix de l’héroïne, légère d’abord puis qui s’affole, on voit naître et se développer une pulsion étrange.

Dans un premier temps, on découvre une enfant qui « adopte » des poupées mal aimées. D’abord une, puis une autre… Chipées au passage dans des lieux où elles semblent être abandonnées puis prises de façons plus problématiques. Elle les cache dans le grenier, s’inquiète de ce que pourront dire les autres devant ses mensonges et ses vols : ses parents, ses amies…

Dans un deuxième temps, on s’interroge, comme elle, sur la logique de ces « emprunts » : chaque poupée est différente, et pourtant toutes ont un point commun. Celui-ci conduit à la découverte d’un secret…

Amélie déménage ; On a volé mon sac

Amélie déménage ; On a volé mon sac
Dr Eric Englebert, Claude K. Dubois
Syros, 2010

par Frédérique Mattès

Un parti pris pour cette collection : aider les enfants et les parents à surmonter les difficultés de la vie grâce à de petits livres qui s’appuient sur le quotidien. Certains diront que ces « livres  médicaments » ne méritent pas de figurer dans la littérature. Il faut reconnaître ici que les textes sont simples mais qu’ils sonnent juste. La collaboration entre le texte et les illustrations délicates de Claude. K. Dubois est également réussie. Ces petits opus paraissent donc remplir leur mission : fournir un support à la discussion-réflexion pour aider les enfants à mieux grandir, ce qui paraît bien être une des missions de la littérature de jeunesse.