Sympathie pour le destin

Sympathie pour le destin
Alain Ulysse Tremblay
Coups de tête, Les 400 coups, 2009

 « Ça te replace l’humilité dans son gars »

Par Christine Moulin

 Sympathie pour le destin n’est pas un livre pour enfants. La citation mise en exergue suffirait à le prouver : « Comme les genoux du cadavre dépassaient un peu la bière Séraphin pesa dessus et un craquement d’os se fit entendre » (Claude-Henri Grignon, 1933), ainsi que les toutes premières lignes : « Seuls les prophètes, les fous et les saints marchent en souriant dans l’enfer. Les autres geignent, pleurent ou crient, selon la Géhenne qu’ils habitent ».

Sympathie pour le destin n’est pas un livre français, mais canadien. Les dialogues suffiraient à le prouver : « On est-tu cave pas à peu près, hein, des fois ? » ou « Parce que même juste avec un bras, je t’étampe drette là ». Le narrateur avoue d’ailleurs ce goût pour le « franc parler », « avec cet accent charlevoisien très fort et très coloré, un accent qui chante ».

Mais Sympathie pour le destin est pourtant un livre « universel », si ce mot a un sens, parce qu’il aborde les problèmes existentiels auxquels tout un chacun est confronté à la faveur de n’importe quel séjour dans un hôpital.

Tout est parfaitement décrit, de façon à la fois précise et humoristique (même si, bien sûr, il ne s’agit que d’humour noir) : les urgences, apocalyptiques, qui rappellent un peu les scènes de mal de mer dans Mort à crédit. L’attente, indéfiniment reconduite, d’un diagnostic, d’une information, d’un événement, rythmée par les repas, toujours les mêmes (ici, en l’occurrence, il s’agit de « cibole de poulet »), les rares examens qui s’étirent sur des jours et des jours, et l’alternance entre la chambre surchauffée, surnommée « Cuba neuvième » et le « fumoir aux quatre vents », dans le froid glacial, surnommé « le mur des Lamentations ». Et les insomnies : « Je pensais à tout ça dans mon lit, aux petites heures ».

Mais ce qui frappe aussi, c’est la précision des portraits : le héros, peintre de son état, Carl Hébert, et le romancier, Alain Ulysse Tremblay, croquent des personnages et en font œuvre d’art en les rassemblant, l’un dans un tableau, l’autre dans son roman. Si bien que l’on retrouve parfaitement ce qui fait la spécificité des rencontres dans les hôpitaux : l’intensité, augmentée par la proximité de la douleur et de l’angoisse, voire de la mort, et la brièveté, auxquelles il faut ajouter l’indifférence totale à l’égard des usages et des barrières sociales.

Seulement, le roman n’est pas seulement une peinture réaliste d’un séjour en clinique : c’est aussi une réflexion sur le destin, comme le titre l’indique, et sur la réévaluation de sa propre existence, à laquelle vous obligent, parfois, la vie et ses hasards.

Un livre qui se lit très vite, mais que l’on n’oublie pas.

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