La Terre rouge a bu le sang

La Terre rouge a bu le sang
Jean-François Chabas
Éditions courtes et longues, 2024

L’Australie, des premiers jours jusqu’aux derniers

Par Anne-Marie Mercier

Pour fêter le début du salon de Montreuil 2024 (auquel je ne pourrai pas me rendre cette année, le Covid ayant encore frappé), je vous propose un texte étonnant et fascinant, beau et utile aussi.

Les romans de Jean-François Chabas provoquent toujours une surprise. C’est chaque fois la même qualité, le même beau style fluide, parfois discrètement poétique, le même attachement au vivant, les mêmes qualités d’intrigue, mais il y a toujours autre chose. La première surprise tient au nombre de page du volume : 390, je pense que c’est un record chez lui (mais je n’ai pas tout lu, tant il y a de titres, plus de 90 dit la quatrième de couverture). Une autre tient au changement d’éditeur : lui qui a tant publié à L’école des loisirs se trouve maintenant aux Éditions courtes et longues chez lesquelles il n’avait jamais rien publié jusqu’ici.
Il faut dire que ce texte étonnant avait sans doute besoin de marquer sa différence. L’auteur a déjà parcouru presque tous les genres, peut-être tous d’ailleurs (sur lietje vous trouverez des chroniques d’histoires de sorcières, d’histoires d’animaux, de romans de l’ouest sauvage…), et le voilà en train d’en rejoindre un autre ou plutôt d’en croiser plusieurs autres.  Cela tient à la SF car les deux personnages principaux sont des envoyés d’une autre planète ; cela tient du roman historique car ils arrivent sur terre au début du neuvième siècle, se font connaitre sous forme humaine au seizième, et accompagnent l’humanité jusqu’au vingt-deuxième siècle. C’est aussi un roman ethnologique et écologique : tout se passe en Australie ; on y apprend beaucoup sur le continent, son relief, son climat, sa flore, sa faune (du requin au crocodile en passant par la souris, les papillons et bien d’autres, sans oublier bien sûr les kangourous de toutes sortes) ; on découvre différents peuples, ceux que l’on nomme aborigènes pour simplifier, leurs langues leurs coutumes, leur histoire et surtout leur humanité. C’est enfin un roman politique qui dénonce les méfaits (le mot est faible) de la colonisation de ce continent et l’attitude des blancs encore et toujours à l’égard des descendants des peuples autochtones. Enfin, c’est un roman écologique : les deux personnages mystérieux que sont Minga (ce qui signifie fourmi en wajarri) et Bimbarlulu (pélican) prennent tour à tour la parole, s’adressant aux humains du futur, pour raconter la vie du peuple qui est devenu le leur et la lente dégradation de leur milieu de vie, jusqu’aux incendies gigantesque du vingt et unième siècle et au-delà, jusqu’au vingt-deuxième siècle… et pour maintenir le suspense je ne vous dis pas la fin.
Malgré cette allure un peu disparate, le roman reste un roman, une histoire humaine d’amour et de violence, de fidélités et de tensions : les deux envoyés de l’espace (on ignorera longtemps la raison de leur venue) racontent, chacun avec son tempérament. C’est celui qui s’est incarné en homme en ayant pris involontairement un peu de la fourmi, Minga, qui commence. Minga est calme, doux, il n’oublie jamais pour quoi il est là. Il est aimant aussi et se prend d’une affection immense pour un petit garçon un peu étrange. Bimbarlulu créée femme est imprévisible et violente, indisciplinée (une nouvelle Eve ? mais puissante). Elle commet plusieurs choses interdites : tuer pour le plaisir, tomber amoureuse et avoir un enfant d’un humain, massacrer les premiers blancs qui attaquent le peuple de celui qu’elle aime, et ce n’est qu’un début. Minga raconte les débuts : leur croissance en tant que graines semées dans le désert (sept siècles durant) et leur assimilation des connaissances et langues locales. C’est lent, passionnant et poétique. Les relations avec le peuple du Rêve qui les protège en ne révélant pas leur présence au long des siècles sont complexes : ils sont craints, on cherche à les utiliser, on ne comprend pas pourquoi ils n’ont pas renouvelé chaque fois que cela avait été nécessaire le grand massacre du début. Leur longévité et leur mémoire infinie tissent des relations riches avec tous les descendants d’aborigènes dont ils ont connu les ancêtres.
L’auteur parvient à mener de front intrigue romanesque et aspect encyclopédique, revendication et émerveillement. Chaque étape franchie dans la connaissance de ces êtres si humains que sont Minga et Bimbarlulu nous les rend attachants, jusqu’à ce que leur mission se dévoile peu à peu. L’intrigue parfaitement maitrisée soutient un roman extrêmement ambitieux qui mêle beaucoup de thèmes avec une grande cohérence. Il met au premier plan, sans didactisme mais sans voiler la vérité, le pillage et le massacre des peuples premiers d’Australie. En postface, on peut lire un texte du navigateur James Cook (1728-1779) en anglais et en français, généreux et lucide. Il est suivi par le texte de son commentaire par un auteur du XIXe siècle qui le trahit. On y voit les mensonges des colonisateurs du dix-neuvième siècle et les origines d’une culture installée sur une culture du mépris.

Enfin, ce gros livre est aussi un beau livre. Sa couverture reprend les motifs de l’art premier de ce pays, motifs et couleurs que l’on retrouve sur la tranche : un peu de désert entre les mains…

 

Mille nuits plus une

Mille nuits plus une
Victor Pouchet
L’école des loisirs, 2021

Shéhérazade en baskets

Par Anne-Marie Mercier

« C’était à Vaishali, faubourg de Jaipur, dans les jardins de Sheyhavan »… La référence à Flaubert n’est pas tout à fait gratuite : ce petit livre qui multiplie bien des genres est aussi un manifeste qui célèbre les pouvoirs du conte, aussi bien de l’histoire racontée (à l’exemple de celles de la Shéhérazade des Mille et nuits) que de l’histoire écrite : l’héroïne devra son salut au texte qu’elle a écrit sur son aventure, texte qui commence par la même phrase que le roman, avec un bel effet de mise en abyme.
On est cependant plus proche encore des récits populaires : la nouvelle Shéhérazade, Shakti, est la fille du jardinier du maharadja Sheyhavan. Par un hasard digne de Pretty Woman (ou d’histoires de bergères et de prince), elle épouse le prince, son fils. Shakti s’ennuie dans sa prison dorée et conquiert une certaine liberté en racontant ce qu’elle voit et ce qu’elle entend, la cour et ses alentours, les vices cachés, les ridicules et les petitesses ; elle poste le tout jour après jour sur internet. Tout maharadja ayant un méchant vizir, celui-ci ne manque pas d’en être informé et d’organiser l’assassinat de la princesse, ainsi Shéhérazade rejoint le monde contemporain, coupable du crime de la liberté d’expression. Elle le rejoint aussi en captivant ses assassins désignés successifs avec des histoires qui ressemblent aux grands récits populaires de notre temps : Peter Pan, Batman, Le Seigneur des anneaux, etc.
Enfin, elle le rejoint à travers l’évocation de monde des lettres actuel, de l’édition et d’une maison d’édition en particulier, l’école des loisirs qui en publiant son histoire sauve la vie de Shakti, autre mise en abyme…
De belles illustrations en pleine page, comme la couverture, mêlent imaginaire indien et conte noir, tradition et modernité.
Seule ombre au tableau, le personnage du prince, très absent et distrait, dirait-on.

 

Ulysse. 1. Prince d’Ithaque

Ulysse. 1. Prince d’Ithaque
Pierre-Marie Beaude
Gallimard jeunesse, 2022

Enfance de héros

Par Anne-Marie Mercier

Même les héros ont une enfance, quand on cherche à développer le fil de leur histoire. Ainsi, le personnage d’Ulysse devient un peu plus accessible aux jeunes lecteurs qui pour le connaitre n’ont pas à attendre de pouvoir lire l’Odyssée.
Pour les lecteurs qui le connaissent déjà, ils découvriront avec plaisir des étapes nouvelles : la naissance, accompagnée de ses inévitables prophéties, l’amitié avec Achille, la conquête de Pénélope, et l’ombre grandissante de la guerre de Troie qui s’annonce.
Comme toujours dans les récits de Pierre-Marie Beaude, le style est fluide, la narration claire. En somme l’épopée ici se lit comme un roman. Elle tourne aussi parfois au récit de chevalerie (avec une scène proche du tournoi médiéval). C’est un joli mélange intemporel dans lequel la veine du roman d’initiation domine.

Haut les cœurs, Christophe Léon

 Haut les cœurs
Christophe Léon, Ill. Elsa Oriol
Deux, 2022

 Sujet hautement sensible

 Maryse Vuillermet

Christophe Léon nous a habitués aux sujets hautement radioactifs avec Silence on irradie par exemple chroniqué ici: http://www.lietje.fr/2010/09/08/silence-on-irradie/
Dans ce court roman illustré en noir et blanc par Elsa Oriol, il aborde avec délicatesse et une grande tendresse la question du deuil. Cyprien, jeune garçon, va en vacances, comme chaque année, chez ses grands-parents mais, cette année-là, tout est différent, sa grand-mère Annette vient de mourir et son grand-père se retrouve seul. Cyprien se demande comment grand-père va faire le ménage et la cuisine, lui qui ne se livrait jamais à ces tâches. Cyprien est alors surpris de découvrir la maison très propre en arrivant et il pense que son grand-père a fait appel à une femme de ménage (comme si un homme ne savait pas tenir une maison !)
D’autres surprises l’attendent, par exemple, la nuit, il croit rencontrer le fantôme de sa grand-mère. Et enfin, il croise, toujours en pleine nuit, son grand-père déguisé en sa grand-mère en train de faire le ménage!
Il comprend alors avec une très grande maturité et beaucoup d’amour que son grand-père gère à sa façon un deuil cruel. Il lui promet de garder le secret.

On admire la tolérance du petit fils et son respect du secret. Le sujet du deuil est ainsi abordé d’une façon originale, troublante, les limites entre chagrin et folie douce sont perméables et acceptées. La tendresse baigne et illumine ce bref récit ainsi que les illustrations très douces d’Elsa Curiol.

Ce soir, je le fais, ce soir, je le quitte

Ce soir, je le fais, ce soir, je le quitte
Cathy Ytak
Rouergue, doado 2019

Une soirée pas comme les autres !

Maryse Vuillermet

 

Un titre accrocheur et double mais une exploration sensible et juste des tourments de l’adolescence.
La disposition des deux textes en recto-verso permet de suivre l’un,  Simon qui pense qu’il va faire l’amour pour la première fois avec Maline et l’autre,  Emma;  qui,  elle,  fait l’amour depuis quelques mois avec Loïc mais veut le quitter.
Et la même soirée est racontée alternativement par les deux jeunes, et bien entendu elle va réserver des surprises, les corps ont parfois leurs mots à dire.
C’est un monde adolescent assez rude, qui malgré ses airs de fête et d’amours assez libres noie dans l’alcool ses peines et ses désillusions. La fin est ambigüe et un peu inquiétante.

Colère d’amour, Ahmed Kalouaz

Colère d’amour
Ahmed Kalouaz
Rouergue 2019.

Aimer et détester à la fois

Par Maryse Vuillermet

Sa mère est partie, a quitté mari et enfant et Chloé n’arrive ni à l’accepter, ni à lui pardonner d’avoir brisé la famille. Elle refuse de la voir depuis dix mois.
Les points de vue de la mère et de la fille alternent et on comprend chacune, on comprend qu’on peut aimer et détester, aimer et ne pas céder. L’été, la mère part en randonnée, et la fille chez ses grands-parents mais le hasard fera peut être dévier le cours des choses.
Ce roman, dans sa justesse, fera certainement écho chez tous les enfants de parents divorcés et la difficulté du sujet n’enlève en rien la force poétique d’une prose irriguée d’images puissantes.

Prix Li&je BU Education 2017 – 2018

Prix BU Education SCD Lyon 1 / ESPE de l’Université Lyon1- PRALIJE

2017-2018

Prolongation des votes jusqu’au 4 mai !

Membres de PRALIJE (Pratiques de la littérature de jeunesse), nous souhaitons faire partager nos coups de cœur et faire découvrir des éditeurs, des auteurs, ou des styles nouveaux.

Pour cela, nous proposons aux usagers de la BU de voter sur une liste d’ouvrages de littérature de jeunesse et d’attribuer différents prix (il est possible de voter deux fois ou plus sur le même ouvrage). Le vote se fera jusqu’au 20 avril 2018 – Proclamation le 25 avril). Il y a 6 prix possibles à attribuer :

A-   Pour les petits
B-   Pour rire
C-   Pour rêver
D-   Pour l’aspect non-sexiste (prix Aspasie)
E-   Pour penser le monde
F-    Pour le graphisme et la mise en page

Albums et BD (petits éditeurs)

1 – Les Sauvages, Mélanie Rutten, MeMo, 2015
2 – Peut-être que le monde, Alain Serres, Chloé Fraser, Rue du monde, 2015
3 – Le Mensonge, Catherine Grive, Le Rouergue, 2016
4 – Les Ogres, Jean Gourounas, Rouergue, 2017
5 – Le Petit Bourreau de Montfleury, Marty Planchais, Sarbacane, 2016
6 – Te souviens-u de Wei ? Gwenaëlle Abolivier, Zaü, HongFei cultures, 2016
7 – Les Aventures de Dolores Wilson (hypnose au château), Mathis, Aurore Petit, Les fourmis rouges, 2014
8 – La Roue de Tarek, Mathilde Chèvre (bilingue : traduit en arabe par Georges Daaboul), Le Port A Jauni, 2014.
9 – Avril, le poisson rouge, Marjolaine Leray, Actes sud junior, 2013
10 – Nuage, Alice Brière-Haquet, Monica Barengo, Passe partout, 2016

Romans et romans graphiques

11 – Les Zarnaks, Julian Clary et David Roberts (ill.), ABC Melody, édition melokids plus, 2016
12 – A la poursuite du grand chien noir, Roddy Doyle, Chris Judge (ill.), Flammarion jeunesse (« « grand format »), 2015
13 – Théo, Chasseur de baignoires en Laponie, Pascal Prévot et Gaspard Sumère (ill.), Rouergue (“dacodac”), 2016
14 – Entre les lignes, Emmanuel Bourdier, Gallimard jeunesse (« folio junior »), 201 15 Vingt et une heure, Hélène Duffau, L’école des loisirs (« Médium »), 2015

Poésie

16 – Le livre des petits étonnements du sage Tao Li Fu, Jean-Pierre Siméon et Ming Meng, Cheyne (« Poèmes pour grandir »), 2016
17 – Les Moustiques, Maram al-Masri, Centre de création pour l’enfance (« Petit VA ! »), 2015
18 – Il y a, Jean-Claude Pirotte, Motus (« Pommes Pirates Papillons »), 2016

Théâtre

19 – Les Discours de Rose-Marie, Dominique Richard, Théâtrales Jeunesse, 2016
20 – Il était une deuxième fois, ouvrage collectif, éditions Espaces 34, 2015
21 – Souliers rouges, Aurélie Namur, Lansman (collection « Théâtre à vif), 2015
22 – Paris/Dakar Le grand voyage de petit Mouss, Lucie Depauw, Koïné éditions, 2016

Pour voter : https://clarolineconnect.univ-lyon1.fr/survey/survey/6744/answer/form

Histoire du chien qui avait une ombre d’enfant

Histoire du chien qui avait une ombre d’enfant
Hervé Walbecq
L’école des loisirs, 2015

Formules magiques[1]

par François Quet

Les pêcheurs de larmes « vivent au fond de nos yeux et sortent seulement quand on pleure » ; un soir, un étranger « avale une tempête » ; pendant la récréation, un groupe d’enfant joue à mélanger et échanger ses doigts ; un jour, les ongles décident de se révolter et d’envahir le corps des hommes qui se couvre d’écailles ; « mes cheveux parlent » (et se disputent).

Dans ce nouveau recueil de contes (après Histoires d’enfants à lire aux animaux, Histoires du loup qui habite dans ma chambre, Histoires de la maison qui voulait déménager), Hervé Walbecq réinvente le corps humain, partie après partie. On a l’impression que l’auteur s’inspire du binôme imaginatif de Gianni Rodari (Grammaire de l’imagination, réédité chez Rue du Monde) : on associe deux mots, par exemple troupeau et genou ou jardin et tête, postillons et multicolores, ride et vagabond, on agite dans tous les sens et on invente une histoire.

Les récits d’Hervé Walbecq sont à la fois farfelus et tendres. Comme les troupeaux de genoux, ils peuvent impressionner, mais « il ne faut pas avoir peur. Ils ne sont pas méchants. Ils ne font de mal à personne ». Ils nous laisseront un peu perdus, « c’est tout ». Un peu émerveillés, aussi. Un peu amusés. Enchantés.

On ne peut qu’encourager à la découverte du monde décalé de Walbecq. Le dépaysement incite à la rêverie et à la poésie. Et pourquoi pas, à l’écriture.

[1] Les rides de mon grand-père sont « comme des petites formules magiques pour comprendre sa vie » (p.72).

Mes vacances à Pétaouchnok

Mes vacances à Pétaouchnok
Olivier Pouteau
Le Rouergue, 2016

Marcello

Par François Quet

Au départ c’est une histoire policière : on est à la recherche d’une femme dont on n’a plus de nouvelles depuis des années. Il y a des rencontres, des interrogatoires, une sorte d’enquête, il y a un voyage Paris-Province et un retour vers le passé.  Mais tout le monde sait bien que, dans les bons romans policiers, l’objet de la quête, ce n’est pas tant le coupable ou le magot caché, que la connaissance de soi. Mes vacances à Pétaouchnok est justement un bon roman policier, c’est-à-dire que le héros, en pleine crise sentimentale et d’adolescence, fait un sacré plongeon qui lui fera découvrir quelques secrets de famille, oublier Léa et rencontrer Ève.

Reprenons. Le jeune héros n’est pas très en forme. Son grand-père est malade, sa copine vient de le plaquer et voilà que Richard, le meilleur ami de son père l’embarque dans une drôle d’aventure : retrouver son premier amour dont il vient de rêver qu’elle lui avait jeté un sort. Un mot de ce Richard : c’est manifestement un double du père mais un double inversé, un double de fantaisie ou de comédie, un être instable et farfelu, amusant parfois, lassant le plus souvent, assez fou en tout cas pour entraîner le jeune garçon dans un petit village de montagne près de l’Italie (« On est partis de Paris sur un coup de tête sans prévenir personne, juste pour retrouver son premier amour. Un truc comme ça pour mon père, c’est de la science-fiction ». p.120). La quête subit ainsi un premier déplacement parodique. Tout cela ne paraît pas très sérieux. Richard est un peu fou, la fille n’existe peut-être pas ou plus, les rencontres sont plutôt comiques.

Mais un jour, Richard disparaît et le père du narrateur apparaît. À ce moment, la quête prend un tour plus mélancolique. Le village est celui de l’enfance fraternelle des deux hommes : « On écoute les bruits de la montagne. Il y a un peu de vent. Autour de nous, les sapins grincent en se balançant » (p. 152). On comprendra peu à peu que ce retour au source est une odyssée réparatrice à des degrés divers pour chacun des personnages engagés dans l’aventure.

L’hommage final à la comédie italienne des années 70 donne une autre couleur à ce roman à la fois léger et doux-amer. En reconnaissant sa dette à la drôlerie parfois un peu triste des films de Dino Risi ou de Luigi Comencini, Olivier Pouteau, par la seule évocation de Marcello Mastroianni, ressuscite un cinéma et un monde disparus. Le jeu excessif de Richard, la silhouette de Cruella, la beauté pure d’Ève, le retour mélancolique des quadragénaires vers leur jeunesse : pas de doute, derrière ces montagnes, il y a l’Italie d’Amarcord.

Noirs et Blancs

Noirs et Blancs
David McKee
Traduit (anglais) par Christine Mayer
Gallimard jeunesse (l’heure des histoires),2016

Guerre ethnique

Par Anne-Marie Mercier

noirs-et-blancsDans le vaste champ des albums sur la tolérance comme acceptation de l’autre et de la différence, cette petite fable mérite d’être signalée même si elle est déjà bien connue. La plupart des autres, comme le fameux Elmer du même auteur, font croire que tout s’arrange à la fin et que le monde est habitable, avec de la bonne volonté et de la chance. C’est une plus cruelle image que propose David McKee.

Les éléphants à l’origine étaient noirs ou blancs et se haïssaient au point de se faire une guerre qui conduisit à l’extinction de l’espèce. Des années plus tard, les descendants de quelques individus pacifiques qui s’étaient réfugiés loin des combats apparaissent, gris.

L’histoire pourrait s’arrêter là et être un message d’espoir fondé sur un métissage mettant fin aux discriminations raciales, mais non : les éléphants gris se divisent en éléphants à petites oreilles et à grandes oreilles… La « distinction » est le moteur permanent des conflits. L’humour et la beauté des images, comme l’accent mis sur le schématisme de la fable, en font néanmoins un album heureux : merveille de l’art.