Les mille Vies d’Ismaël et quelques saveurs en plus

Les mille Vies d’Ismaël et quelques saveurs en plus
Raphaëlle Calande
Roman Sarbacane 2024

Cuisine, graff et amour

Par Michel Driol

A 15 ans, en troisième, Ismaël est en plein décrochage scolaire. Même sa grand-mère ne parvient plus à lui venir en aide. Son père est en prison et sa mère déprime. La mort de sa grand-mère, après un cours de maths catastrophique, l’entraine dans une escalade de violence  au collège, et il doit passer dans un mois en conseil de discipline. Sa mère décide alors de l’envoyer, à Lyon, chez son oncle qui lui a trouvé un stage dans la cuisine d’un bouchon, auprès du Chef Francis. Là Ismaël fait la connaissance de toute la brigade, et, en particulier, de Céleste, une apprentie un peu plus âgée que lui,  dont il tombe amoureux.

Si le genre romanesque doit faire pénétrer le lecteur dans des milieux sociaux, les dépeindre, ce premier roman Raphaëlle Calande  y parvient remarquablement. C’est le milieu de la brigade d’un restaurant, avec ses relations,  ses hiérarchies, ses tâches, ses solidarités, son vocabulaire particulier, c’est aussi le milieu du graff, son lexique, ses codes, ses valeurs qu’il nous fait connaitre. Dans une langue souvent métissée et vivante, l’autrice réussit à mêler différentes techniques de narration. Le récit à la première personne, des extraits de carnet de correspondance, un QCM, un bulletin scolaire, des SMS… et même un relai de narration très polyphonique dans le chapitre le plus mouvementé. Tout cela s’inscrit dans le paysage d’une France qui va mal, raciste (Ismaël a un père polynésien), où les enseignants sont peu empathiques envers ce garçon aux dreadlocks, où des skinheads agressent des immigrés qu’on chasse de leur squat. Dans ce pays qui va mal, des personnages dépriment, deviennent boulimiques. Ismaël est ravagé par un sentiment de culpabilité, persuadé d’avoir entrainé le geste fatal de son père, persuadé aussi d’avoir causé la mort de sa grand-mère. Mais ce n’est pas un roman déprimant, c’est au contraire un formidable roman sur l’entraide et la solidarité, avec des personnages remarquables pour leurs qualités. L’oncle et la tante, qui élèvent un enfant atteint d’autisme Asperger, le Chef Francis, bougon et grande gueule comme il se doit, mais attentif à transmettre des savoirs, des attitudes, et soucieux du respect et du bien-être de tous ses apprentis dans son restaurant. Céleste, fille de profs engagés et bobo bohèmes, qui, à l’image des établis des années 68-70, préfère apprendre la cuisine et renonce à  fréquenter la bourgeoisie d’un lycée d’élite. Avec sa langue bien pendue, son don de la répartie et des relations sociales, elle défend une certaine conception du féminisme dans des milieux très masculins, entend se faire respecter, et rêve de graffer, elle aussi. Tous les membres de la brigade sont intéressants, bien dessinés par l’autrice, en particulier Katal, qui devra choisir entre la cuisine et le graff… Les nombreux personnages d’adultes bienveillants, le chef Francis, Mado, accueillants, cherchant à donner leur chance aux jeunes d’origine populaire montrent que l’on peut réparer, à son échelle, la société qui va mal. Au bout du compte, Ismaël, balourd, en surpoids, empoté, que rien n’intéresse dans le premier chapitre, découvre la solidarité au travail, le sens de l’entraide, et trouve enfin l’estime de soi qui lui faisait défaut. Autant qu’un page turner, c’est un vrai feel good roman qui réussit aussi à rester dans la légèreté sans chercher à approfondir ou à théoriser les problèmes que rencontrent les personnages : l’autisme, le surpoids, le racisme. Au lecteur de comprendre ces arrière-plans sociaux, psychologiques, l’important étant la dynamique du récit et les valeurs dont il est porteur. Un récit qui fait aussi la part belle à la cuisine lyonnaise, du tablier de sapeur aux tartes à la praline !

.A voir ces jeunes, dans ce quartier de la Croix Rousse, on se surprend à penser aux compagnons de la Croix Rousse de Paul-Jacques Bonson, des compagnons qui auraient un peu vieilli, porteraient désormais des noms issus de toute une diversité, mais n’auraient rien perdu de leurs origines populaires, de leurs valeurs de solidarité et de bienveillance autour d’un personnage, Mado, qui, âgée, serait devenue patronne de bistro. C’est un roman qui met en avant la générosité pour aider chacun à grandir, et à faire ses choix par lui-même. On est très loin de Top Chef, et du principe d’élimination. Il s’agit au contraire de tout faire pour accueillir chacun dans la communauté humaine, une communauté faite de métissages ethniques, culturels… même si la cuisine du Chef Francis est fortement héritière de la tradition des mères lyonnaise !

Le roman se termine par un gâteau, le Céleste, dont l’autrice donne la recette et nomme la conceptrice, ainsi que par un petit lexique des termes culinaires pour prolonger par la pratique la lecture de ce roman à déguster sans modération ! Comme l’écrivait Brecht dans l’Opéra de Quat’sous, d’abord vient la bouffe ! la morale ensuite !

Chasseur de glace

Chasseur de glace
Séraphine Menu – Marion Duval
La Partie 2024

On y nait et on y vit, ou bien on s’enfuit

Par Michel Driol

Youri vit avec son père sur les bords du lac Baïkal, en pleine Sibérie. Il constate que la plupart des habitants sont partis, vers des terres plus hospitalières. Parfois il aide son père à découper des blocs de glace, qui fournissent l’eau potable en hiver. Pas loin, il y a, sous des yourtes, dans une communauté bouriate, une petite fille avec laquelle il rêve de s’installer, quand il sera plus grand, que la vie reviendra autour du lac.

Voilà un album aussi beau que difficile à classer. Documentaire, certes, par certaines pages qui présentent la faune, la flore du lac Baïkal, ou donnent des informations précises. Portrait d’un enfant, dont la mère est morte à sa naissance, élevé par son père. Rêverie autour de la Sibérie, du froid, de l’immensité glacée magnifiée par les métaphores d’un texte d’une grande fluidité qui fait passer, sans accroc, de la poésie la plus pure aux listes documentaires, assumant ainsi un double discours, scientifique et littéraire. Les illustrations de Marion Duval, réalisées à l’acrylique, jouent aussi  sur un double registre. D’une part, certaines planches documentaires permettent d’identifier végétaux ou animaux, d’autre part d’autres doubles pages font pénétrer dans l’intimité de l’isba où grandit Youri. Ce qui frappe et émerveille avant tout, c’est le jeu avec la lumière, les irisations bleues, roses, jaunes dans le ciel, les hommes perdus dans cette immensité blanche, comme féérique et magique.

Un album particulièrement réussi, qui donne à voir ce pays de chamans, pays où se croisent différentes communautés, pays riche d’un écosystème original,  avec poésie et rêve d’avenir… à hauteur d’enfant. Comme une histoire que le père de Youri raconterait pour lutter contre le froid mordant.

Rêveries

Rêveries
Sandrine Kao
Grasset jeunesse, 2024

 

Par Anne-Marie Mercier

Rêveries, comme Émerveillements et Après les vagues, de même format haut et étroit, sont autant d’albums ou leur auteure développe une philosophie heureuse. À mi-chemin entre la BD et l’album pour enfants, dans un style japonisant, elle égrène les situations simples dans lesquelles une émotion peut surgir et être partagée : l’écoute d’un son, la perception d’un souffle de vent, la contemplation de la lune ou de la mer…
Bien sûr il y a quelques moments sombres, des orages, une perte de confiance, mais toujours accompagnés de l’affirmation que l’on vient à bout de tout en étant à l’écoute de ses émotions.
Depuis longtemps, l’équipe de Lietje suit Sandrine Kao, d’abord comme illustratrice puis comme autreure-illustratrice (Le banc, Comme un oiseau dans les nuages). Elle mêle réflexion sociale et travail sur les émotions de manière délicate, avec des images inspirées par l’art oriental : ses petits personnages très stylisés (des mini pandas ?) traversent de charmants paysages.
On peut le découvrir sur le site de l’auteure.

Comme un oiseau dans les nuages

La folle Evasion

La folle Evasion
Sandrine Bonini – Merwan Chabane
Seuil jeunesse 2024

Escape game grandeur nature

Par Michel Driol

Tessa va avoir 11 ans. Elle est une fillette au caractère bien trempé, fine, intelligente, coquette, et couvée par ses parents. Dans sa classe il y a Matéo, cheveux trop longs, débraillé, qui a toujours oublié ses affaires, un vocabulaire limité et une passion pour le skate. Ce matin-là, Tessa ramasse la carte tombée de la poche de sa mère, une carte avec l’adresse de « la folle évasion ». Ce n’est pas très loin de chez Matéo, et les deux enfants, un peu en cachette, s’y rendent, et acceptent de participer à l’escape game proposé par le gérant.  Mais lorsqu’ils en sortent, les voilà menacés par des bandits, aidés par une policière, prisonniers dans un supermarché où on se livre à de drôles de trafics… Bref, courses poursuites et aventures hors du commun !

La folle Evasion se présente d’abord comme un thriller pour enfants à la première personne. Les aventures s’y enchainent, toujours plus angoissantes, toujours plus folles, toujours plus dangereuses pour les deux héros, entrainés à un rythme d’enfer par les circonstances dont ils ne sont que le jouet. Mais surtout c’est drôle, d’abord  à cause du contraste entre les deux personnages, la première de la classe toujours tirée à quatre épingles, le cancre accro au skate. Ce contraste, Tessa, la narratrice, n’hésite pas à la souligner, soulignant les stéréotypes langagiers de Matéo, commentant ses actions sans aménité.  Mais c’est aussi drôle en raison des personnages secondaires que l’on rencontre, l’animatrice du rayon sushi qu’on croirait sortie d’un manga par sa tenue, le pépé grincheux et ses chats…. Enfin, c’est drôle par les commentaires que fait Tessa sur les situations, les personnages, commentaires imprimés en italique et qui établissent une sorte de métadiscours plein d’humour.  On laissera bien sûr le lecteur savourer jusqu’à la fin cette folle évasion urbaine, et en découvrir la chute aussi surprenante que réjouissante ! C’est un roman premières lectures longues (il fait près de 160 pages), dans une typographie agréable et aérée, et superbement illustré. Des personnages pleins de vie, souvent saisis en action, facilement reconnaissables à leurs tenues, aux longues jambes de Tessa, aux cheveux trop longs de Matéo, avec un graphisme très coloré, qui font penser à ce que le film d’animation peut avoir de meilleur.

Deux enfants que tout oppose obligés de collaborer pour se tirer d’un mauvais pas, pour la plus grande joie des lecteurs, dans une aventure pleine de sel et de piquant que Roald Dahl ne renierait sans doute pas !

Youpi Youpla

Youpi Youpla
Aurelia Gaud
Sarbacane (sarbabb), 2024

Par Anne-Marie Mercier

Deux poupées se font face de part et d’autre de la pliure. L’une a la peau claire, l’autre noire ; l’une est en bleu, l’autre en jaune ; l’une monte et descend, l’autre se balance… petit à petit les personnages brisent la frontière invisible qui les séparait, l’un va retrouver l’autre dans sa page, ils d’une page à l’autre, se mélangent.
On découvre progressivement que les images fonctionnent avec le même nombre d’éléments graphiques dans des combinaisons différentes : les éléments verticaux de la poupée bleu deviennent un chapeau, des agrès… Les éléments ronds de la poupée jaune également : c’est un peu comme de travailler avec le même paquet de gommettes pour réaliser différentes images. C’est aussi comme jouer à la poupée, échanger les vêtements, les détourner, et mélanger cela avec des cubes, c’est un jeu.
C’est aussi une belle illustration du plaisir du mélange, de l’échange et de la rencontre avec l’autre. L’album est cartonné, à destination des petits, comme l’indique la collection, mais il est de ceux qui pourraient accompagner longtemps l’enfant.
Sur le site de l’auteur on peut retrouver ces belles images acidulées

Vivantes !

Vivantes !
Stéphane Bientz
Editions espaces 34 – 2024

BC-BG : Béton –ciment, bitume-goudron

Par Michel Driol

Trois enfants, deux gamines, Nil et Ursula, et un gamin Griotte, dans une cité où ne survit qu’un seul arbre, sous serre, protégé par la Fondation Vitalenergies d’Hugo Formenton, dont en entend la voix et les discours à la radio. Nil aimerait bien préparer une chorégraphie pour la gagner le premier prix à la fête des 300 ans de l’arbre, bientôt. Mais survient Ursula, qui, bravant les interdits, pénètre dans la serre et y verse de l’eau.

 C’est un texte de théâtre contemporain à plus d’un titre. D’abord par sa forme, mêlant le récit au dialogue, dans des scènes brèves et percutantes campant bien les personnages et leurs relations dans une langue très vivante. Ensuite par la thématique qu’il aborde, celle de la sauvegarde de la planète. Nous sommes dans un monde dont la nature est absente, et où la canicule règne. Dans un monde où seront dévoilées les véritables intentions de Vitalenergies, la fondation dont il suffit de changer une lettre pour trouver – peut-être – son modèle hors du théâtre. Ce qui se joue sur le plateau est donc très politique, et montre en quoi, pour certains grands groupes, l’écologie est un frein plus qu’un moteur. Mais c’est aussi un texte très imagé et très poétique, avec un symbole fort, celui du lierre, qui pousse à cause des actions d’Ursula, actions de désobéissance propres à faire revivre la nature.

Vivantes, dernier mot du texte, exprime bien une vision de notre monde, propose une façon de faire renaitre la joie dans un monde gris, et montre le pouvoir des enfants de pouvoir régénérer la nature, en s’affranchissant des interdits, dans un univers très poétique.

Choco train

Choco train
Adrien Albert
L’école des loisirs, 2024

Combat de mamies

Par Anne-Marie Mercier

Deux mamies voyagent séparément pour assister au gouter d’anniversaire déguisé de leur petite fille. L’enfant raconte leur voyage en fonction de ce qu’elles lui ont dit : elles ont enfilé leur déguisement dans le train (clown pour mamie Georges), suivant ses instructions, et se sont rendues à la voiture bar pour lui acheter ses biscuits préférés, des Choco train, que l’on ne trouve qu’à bord des trains. Jusqu’ici tout va bien.
Mais mamie Georges, déguisée en clown, découvrant un babouin en train de voler tous les gâteaux, attaque celui-ci : poursuites, dans le train, sur le toit (comme dans un western), sur les pentes d’une montagne, en hélicoptère… jusqu’à la chute des deux mamies enfin démasquées (le babouin était mémé Lucie), en plein milieu de la fête et sous une pluie de choco train.
Les dessins sont très drôles, rendant le voyage de mamie Georges absolument épique (on suit son point de vue). Le ton de la narration, naïve, est celui d’un enfant qui ne sait ce qu’il doit croire mais sait bien qu’il est infiniment aimé. Chouchou était le personnage de Chantier Chouchou debout,  album dans lequel sa mamie Georges l’entrainait dans un grand nettoyage
Jolies images très expressives, couleurs franches, rythme endiablé, tout est drôle et charmant.

 

 

Et si ma mère était une sorcière ?

Et si ma mère était une sorcière ?
Myriam Bendhif-Syllas, illustrations de Mayana Iltoïz
Saltimbanque 2024

Une sorcière comme les autres…

Par Michel Driol

Une petite fille est persuadée que sa mère est une sorcière. N’y a-t-il pas 10 signes qui le prouvent, depuis les tisanes qui sont en fait des potions magiques jusqu’aux déguisements qu’elle porte lors des anniversaires, qui sont en fait sa vraie tenue… Sans compter qu’elle parle avec le chat et que ses gâteaux orange-pois chiche sont de vraies recettes de sorcières. Malgré cela, restent des doutes, l’absence de nez crochu ou de verrue par exemple… Serait-elle une gentille sorcière, si cela existe ?

Voilà un album tendre et amusant pour célébrer l’amour entre une fillette et sa mère. Chaque double page est consacrée à un signe, un indice, avec un texte récurrent. Page de gauche, elle expose les circonstances, le comportement étrange de sa mère, et page de droite elle tire sa conclusion : Moi, je sais bien que… Les illustrations, pleines de gaité et d’humour, représentent cette mère sorcière dans des poses et avec des vêtements tantôt très connotés, tantôt d’une grande banalité. Une constante néanmoins, les grandes boucles d’oreilles en or, stéréotypant une bohémienne autant qu’une sorcière… On s’amuse beaucoup à découvrir la relation entre les indices – montrant le comportement habituel d’une mère – et les conclusions que la fillette en tire, qui montrent l’obsession de cette dernière, et ce mélange de crainte et d’admiration pour sa mère. On apprécie aussi les indices épars montrant que la fillette a peut-être aussi quelque chose d’une sorcière : sa familiarité avec le chat – noir comme il se doit, avec lequel elle parle (alors qu’on le sait bien, le chats ne parlent pas, c’est de la télépathie de sorcière) ou encore ce rituel matinal auquel elle se livre pour saluer la nuit et faire revenir le soleil… Telle mère, telle fille ? Ces stéréotypes, cet humour, cette gaité disent qu’au fond toutes les mères ont un pouvoir magique aux yeux de leurs enfants, au-delà de leurs bizarreries, de leurs manies, de leurs obsessions, de leurs chagrins et de leurs peurs aussi. Pouvoir de guérir, pouvoir de chasser les cauchemars, pouvoir de célébrer les anniversaires et de faire naitre une atmosphère de joie dans la maison, pouvoir de détendre aussi. Ce sont toutes ces situations bien quotidiennes, dirait-on bien ordinaires, dans lesquelles se manifeste l’amour d’une mère que met en lumière cet album.

Un album qui épouse le regard d’une enfant pour renouveler avec originalité et charme la question des relations mère-fille…

Le Doudou partagé

Le Doudou partagé
Yves-Marie Clément, Anne-Isabelle Lucas
Sarbacane, 2024

Pour accueillir un bébé

Par Anne-Marie Mercier

Un « doudou partagé », quelle drôle d’idée !
Un bébé nait dans une famille qui a décidé de vivre de manière éco-responsable. On évite les achats inutiles et on réutilise les vêtements de l’enfant précédent, la narratrice, qui s’enthousiasme de la bonne idée : les pyjamas mille fois lavés sont plus doux, les livres qu’on a lus mille fois et gardés sont les meilleurs… elle va jusqu’à offrir d’elle-même son doudou lapin, revenant sur tous les beaux moments qu’elle a passés avec lui.
Si on peut avoir des doutes sur l’excellence de l’idée (on ne choisit pas un doudou, c’est l’enfant qui le choisit), la joie de la petite fille est charmante. Les images sont simples et belles, en bichromie sur le fond blanc qui ressort parfois dans la couleur : des pages jaunes, rouges ou vertes soulignées de tracés noirs (une page, celle qui évoque la transmission des jouets, est en quadrichromie). Les formes sont simples, et font voir tout un univers enfantin. Le texte, en cursive, semble porter la voix de l’enfant.
Il reste que malgré sa simplicité apparente, une ambiguïté demeure dans cet album. On peut supposer que ce partage est davantage une idée qu’une réalité, une projection sur une relation future plutôt qu’un accord réciproque : ce doudou est, d’après la narratrice, un « cadeau ». Mais l’image de couverture et une page à l’intérieur de l’album semblent montrer que le cadeau n’en serait pas un mais qu’il serait bien un « partage », un cadeau à la mode enfantine (je garde mais tu peux en profiter si je veux), en attendant le moment hypothétique ou le doudou serait véritablement transmis .

Le Livre qui peut lire dans ton esprit

Le Livre qui peut lire dans ton esprit
Marianna Coppo
Traduit (italien) par Christian Demilly
Grasset jeunesse, 2024

Ta-dam ! un livre pour faire de la magie

Par Anne-Marie Mercier

Lady Rabbit, lapin blanc vêtu d’un costume noir, fait le prestidigitateur, non pas en fiction comme c’est souvent le cas dans les livres, mais en VRAI ! Oui, ce livre est un spectacle de magie à lui tout seul, à la manière des tours de cartes : le lecteur est invité à choisir en secret un personnage parmi les spectateurs de la performance de Lady Rabbit et à donner la rangée dans laquelle il se trouve. Selon celle qu’il aura donnée, il doit se rendre dans une section particulière de l’album. Il découvre alors une autre disposition des personnages et doit à nouveau choisir la rangée où se trouve celui qu’il a mémorisé pour se reporter enfin à la page qui lui dit ce qu’il a choisi (ta-da !).
On peut refaire le jeu à l’infini, épater ses ami/es, ou tout simplement se régaler des illustrations qui jouent parfaitement le jeu de l’attente et de la merveille.
Les dernières pages révèlent l’origine de ce jeu, bolzone en italien. Ce mot désigne les tours de magie utilisant des nombres, notamment ceux de frère Luca Paciolo qui, dit-on fascinaient Léonard de Vinci. Elles montrent quels ouvrages ont progressivement conduit à l’idée de transcrire ce jeu en livre puis en images, de La Pensée gracieuse de Pietro Millioni au Passe-temps d’Andrea Ghisi (1603).