Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? et autres questions piquantes pour profs de lettres
Sarah Alami
Tsarines (« c’est comme ça qu’on s’en sort »), 2021
« Questions piquantes pour profs de lettres »
Par Anne-Marie Mercier
Malgré le titre, il ne s’agit pas de littérature de jeunesse – à moins de considérer comme Anne-Marie Chartier que toute œuvre lue essentiellement par des jeunes peut être considérée comme telle. Les jeunes lecteurs en question sont des élèves de seconde. Les textes sont pour l’essentiel Phèdre, de Racine, des poèmes de la Renaissance (des blasons), Madame Bovary et Les Lettres persanes. Mais il est question tout au long de faire lire des jeunes gens qui lisent peu et de savoir comment rendre des classiques accessibles.
L’initiative des éditions Tsarine avec leur collection au nom évocateur (« c’est comme ça qu’on s’en sort ») est bien venue : il s’agit de proposer aux enseignants un lieu d’échanges et un support pour pérenniser leurs réussites, donner une seconde vie à ce qui pourrait, sinon, n’être une « performance » éphémère, née de nombreuses heures de réflexion et de travail, et condamnée à ne durer que quelques semaines. Certes, on peut dire qu’un cours réussi a une durée longue s’il arrive à semer chez les élèves quelque chose, mais comment savoir ?
L’ouvrage développe toutes ces questions.
Comment étudier un classique sans s’ennuyer en classe ?
Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ?
Comment lire de gros livres ?
Comment se mettre dans la peau d’un auteur ?
Comment enseigner l’autonomie ?
Le livre est élégant, joliment mis en page et illustré de manière originale avec des vignettes évoquant la technique des bois gravés. Il se présente un peu comme un manuel, avec des encadrés, des prolongements. On aurait cependant tort de le prendre comme tel et de proposer à une même classe toutes les séquences proposées : la présence insistante du féminin et de la question de l’adultère ainsi que la hardiesse de certaines propositions (comme l’analyse de la scène du fiacre de Flaubert qui semble avoir quelque peu secoué les élèves) sont à prendre avec un peu de distance. De manière générale, un bon cours (à mon avis) n’est jamais issu d’un cours élaboré par quelqu’un d’autre, mais il est bon de chercher des idées et de voir ce que des collègues qui se sont heurtés aux mêmes difficultés ont inventé, car il s’agit bien ici de création.
Toutes les idées sont intéressantes et ambitieuses et proposent des réponses subtiles à des questions complexes, comme celles de l’enseignement (ou pas) de l’histoire littéraire, de la lecture (ou pas) des œuvres intégrales, du chemin de l’élève vers l’autonomie, etc. On voit d’ailleurs incidemment que l’auteure ne se contente pas de « vieux » textes, mais fait découvrir de nombreuses œuvres contemporaines à ses élèves et qu’elle associe les textes aux autres arts. Elle met en pratique ce qu’on appelle des « dispositifs » intéressants, invite ses élèves à participer à des ateliers, à des débats littéraires, à mettre en scène et en voix.
Ce livre fourmille d’idées et a le grand mérite de ne pas s’abriter derrière des faux-semblants (j’ai beaucoup aimé ce qui concerne l’œuvre intégrale et l’hypocrisie fréquente qui consiste à faire comme si tous les élèves allaient vraiment lire le texte en entier ou avaient lu le texte en entier). Il est aussi bien écrit, alerte, souvent « piquant » comme l’indique le titre, drôle, bien informé et savant, et surtout et très honnête. On a le plaisir de suivre les tâtonnements d’une enseignante passionnée par la littérature qui tente, avec succès semble-t-il, de faire partager cette passion.
Si vous allez sur le site, un conseil: faites descendre un peu l’ascenseur pour accéder au contenu et ne pas rester bloqué sur l’image, fort jolie au demeurant.