Grandeur nature

Grandeur nature
Anne Herbauts
L’école des loisirs (Pastel), 2024

Matin Minet et son mètre

Par Anne-Marie Mercier

Matin Minet est de retour, pour la plus grande joie des amateurs des albums d’Anne Herbauts, légers en apparence mais pouvant emporter vers de profondes méditations.
La situation de départ est comme toujours extrêmement simple : Matin minet (un chat, bien sûr, toujours matinal) prend son petit-déjeuner dans sa cabane perchée avec son ami Hadek, un charançon. Ils parlent de leur promenade de la veille, en haut du grand chêne.
Matin Minet a le point de vue d’un enfant : le chêne était immense, « au moins 800 mètres de haut », dit-il, et le lac au loin tout petit. Le charançon, pourtant plus petit, joue le rôle du précepteur : tout ça c’était une impression, due au vertige pour le chêne (qui ne fait que 15 à 20 mètres), à l’éloignement pour le lac. Mais comment faire pour aller au-delà d’une impression et connaitre la taille réelle des choses ? Il faut mesurer, et le faire avec un outil adéquat, un mètre.
Armés d’un mètre ruban et d’un mètre pliant, les deux amis mesurent tout ce qu’ils trouvent : un insecte, une branche, et ceux qui le leur demandent : le corbeau, le bâton préféré de l’écureuil, l’ombre du loriot, mais ils hésitent au moment de mesurer la taille de l’ennui de Cousin Chafouin, et l’amour des libellules Pas-du-tout et Tout-à-Fait : ça ne se mesure pas. Quant à ce qui est très petit, difficile : la petite voix du minuscule Midori les alerte sur une autre question : ils ont mesuré de toutes petites pousses qui vont grandir, alors comment donner la taille de ce qui va changer de taille ?
Dans l’univers d’Anne Herbauts (et dans la vie aussi), quand un problème est insoluble, la solution est l’action : « Puisqu’on ne peut pas tout mesurer, alors plantons ! Plantons ! Sans mesure ! ». Profusion, jouissance, refus de l’attente patiente : les plantes pousseront grâce à la danse de nuit et à la chanson magique, et l’on sera passé des couleurs acidulées du début, lumineuses, à la verdure douce de la nuit. Ou bien, cela n’aura été qu’un rêve. Le retour à la réalité est celui qui ramène à la « grandeur nature », expression féconde qui semble avoir généré toute l’histoire. Au passage, on aura rêvé à la grandeur effective du vivant, à sa variété et à la vanité de nos tentatives de classement.

Pour d’autres non aventures de Matin Minet voir sur lietje Les cailloux  et A l’intérieur.