Le Bateau de Grand-Père

Le Bateau de Grand-Père
Maylis Daufresne – Edwige de Lassus
Sarbacane 2025

La mémoire et la mer

Par Michel Driol

Premier retour printanier à la maison bretonne de Grand Père après sa mort, pour Joseph, sa petite sœur Iris et leur mère. Les souvenirs se mêlent aux objets, aux parties de plaisir avec les cousins. Qua faire du vieux bateau qui se dégrade dans la grange, dans lequel Joseph retrouve le vieux pull de son grand-père et son odeur ? L’emmener en mer, pour qu’il y coule dans son univers, et qu’on revienne le voir, à toutes les vacances.

Avec beaucoup de douceur et de poésie, cet album aborde la question de la mort, du deuil et du souvenir. Le texte, écrit à la 3ème personne, plutôt du point de vue de Joseph, mêle impressions subjectives et notations objectives : dès la première page, les herbes hautes, signe implicite d’une pelouse qui n’est plus entretenue, et la présence familière des objets que l’on retrouve, comme la cafetière cabossée.  Avec discrétion, le texte porte les traces du point de vue de Joseph, à travers des verbes comme s’étonne, guette, sait… L’album alterne aussi le récit du présent, des activités du printemps, avec les souvenirs des activités partagées avec le grand-père : l’observation de Sirius, la nuit, les sorties en mer sur le voilier, rendant ainsi la figure du grand-père extrêmement présente dans l’esprit de Joseph – et dans les illustrations. Le texte attache une importance particulière et sensible aux notations des bruits et des silences.  Silence de la maison, souvenir de la voix murmurée du grand père, de ses propos, chant de la mère pour endormir la sœur, trilles d’un oiseau… puis silence final, troué de rares paroles « il est temps » dit maman, au moment de lancer le bateau à l’eau pour la dernière fois, dans une sorte de solennité qui contraste avec les jeux auxquels se sont livrés les enfants sur la plage.

L’album réussit aussi à faire alterner les moments de joie, de jeux (la cueillette des fraises, la cabane dans l’arbre avec les cousins…) avec des moments où on se souvient avec nostalgie de celui qui n’est plus là. Sa force réside peut-être dans le fait d’immerger – et non d’enterrer –  une figure du grand-père à travers son grand-père, la plage, l’océan, devenant ainsi des lieux de mémoire pleins de vie, avec les algues qui s’accrochent au mat. Mais comment aussi ne pas penser à la barque des morts pour traverser le Styx, ou aux rites funèbres basés sur des bateaux sépultures ?

Edwige de Lassus propose des illustrations en grand format, représentant une Bretagne dans des couleurs qui évoquent Gauguin, avec des bleus profonds qu’on retrouve d’une page à l’autre, bleu du vase, bleu des feuillages, bleu due la nuit, bleu du bateau, et des jeunes éclatants, jaune de la plage, des champs, et de la lumière sur la mer. Deux couleurs qui disent à la fois la tristesse et l’espoir, symbolisant la mort et la vie.

Un album sensible qui parle de souvenir et de deuil, qui parvient à tisser le rêve et le quotidien, pour évoquer ces liens intergénérationnels entre un grand-père disparu et son petit-fils, un album dans lequel nombre de jeunes lecteurs reconnaitront leurs propres sentiments et émotions.

 

L’Echappée belle de Marta

L’Echappée belle de Marta
Delphine Roux – Gaëlle Duhazé
HongFei 2025

Grosse fatigue

Par Michel Driol

A Chouquette-sur-Merle, un village peuplé d’animaux, Marta est l’oie qui tient la pâtisserie. Tout semble aller bien jusqu’au jour où elle se sent de plus en plus fatiguée, où elle rate ses cuissons et ses crèmes. Pourtant tout le monde l’aime, et elle adore faire plaisir. Elle se décide alors à fermer boutique et partir sur une ile, dans un hôtel où elle a été heureuse avec ses parents. Et, petit à petit, Marta retrouve le sourire et le gout de vivre.

Rares sont les ouvrages de littérature pour la jeunesse à aborder le thème du burn out. Celui-ci le fait sans écrire le mot, mais en décrivant tous les symptômes d’un mal lié au travail et à l’isolement. Le texte et les illustrations nous conduisent d’abord dans un univers enchanté, un village de carte postale, avec sa boutique, Les délices de Marta, et ce personnage d’oie pâtissière dans son laboratoire, sourire au bec, attachée à régaler ses clients. Bref, tout pour être heureuse. Toutefois, si l’illustration montre bien un client satisfait, le texte, centré sur Marta, ne parle pas de reconnaissance, de remerciements, comme pour souligner sa solitude. Arrivent alors les symptômes, la disparition de la joie de vivre, la fatigue, les accidents successifs, la perte de l’estime de soi, bien montrée dans l’image que le miroir lui renvoie, dans laquelle elle a du mal à se reconnaitre. La rencontre fortuite avec le docteur du village, qui évoque aussi sa fatigue passée, et comment il l’a surmontée, une nuit agitée où se mêlent chagrins et souvenirs passés la conduisent à enfin prendre des vacances et tout quitter.  La force du texte est de se situer toujours du point de vue de Marta, d’entrainer le lecteur à comprendre combien cette décision est difficile, mais à quel point il est nécessaire de faire une pause, de partir loin.  Evoquons brièvement les personnages qu’elle rencontre sur l’ile, avec lesquels elle a des discussions, des conversations, qui vont l’aider. Les deux renardeaux  qui évoquent l’héritage de leur Mémé pour faire disparaitre les chagrins en les écrivant sur le sable, et surtout le goéland hôtelier, à l’écoute, discret, et prévenant. L’île apparait alors comme le contrepoint du village : un lieu de repos, mais aussi d’attention aux autres, de sociabilité, de partage, façon de montrer la nécessité des autres pour retrouver équilibre et estime de soi, comme points d’appuis dans ce travail solitaire à faire sur soi pour s’en sortir.

On le voit, le propos est sérieux, mais l’album s’adresse bien à des enfants. D’abord par l’animalisation des personnages, animaux que les illustrations humanisent  avec leurs vêtements, leurs chaussures, dans un joyeux mélange de réalisme et de fantaisie. Ensuite par le texte, beau récit au passé simple, qui sait épouser le point de vue de Marta, dire ses émotions, ses sentiments, sans jamais s’appesantir sur ce qu’il pourrait y avoir de douloureux. Enfin, par la façon pleine de douceur, tant dans le texte que les illustrations, de présenter l’échappée belle sur l’ile, la plongée dans le souvenir des passé, l’évocation graphique bleutée des nuits, et la façon de représenter cet hôtel hors du temps, un peu désuet, mais si « cosy ».

Entre petit roman et gros album, un ouvrage qui présente un personnage touchant, fragile, trouvant la force de se ressourcer, de lâcher quelque peu prise dans son travail, pour briser son isolement et sa solitude, comme une façon de dire qu’il faut faire plus attention aux autres.

Nuit comme jour

Nuit comme jour
Sophie Grenaud- Anouck Boisrobert
Rouergue 2026

Berceuse pour enfant insomniaque

Par Michel Driol

Que peut dire une mère à son enfant pour qu’il s’endorme, alors qu’il a envie de tout autre chose ? Il veut jouer, dessiner, ou qu’on lui dessine quelque chose. Elle aimerait parler du temps qui passe.

Voilà un album qui évoque une expérience que tous les parents, sans exception, ont connue, celle des enfants qui ne veulent pas s’endormir, et trouvent tout un tas de choses à faire. L’album dit bien cette situation, et ce qu’il faut de patience pour parvenir à ce qu’un enfant glisse paisiblement dans le sommeil. Il dit aussi comment, au matin, on se réveille, après avoir dormi dans le même lit que l’enfant. Qui cavalera à la fin, toute la journée qui vient ? Non pas l’enfant, mais la mère après ce temps de repos écourté…

Si cette expérience est bien partagée par tous, ce qui l’est moins, c’est la poésie avec laquelle le texte évoque ce moment particulier, temps suspendu entre le réveil et le sommeil. Le texte dit l’opposition entre deux désirs. Celui de l’enfant, inscrit dans les  tu veux, tu voudrais. Celui de la mère, introduit par les j’aimerais, j’aimerais t’apprendre, te dire…Et, pour finir, le texte dit l’amour, avec ce cœur dessiné par les baisers et le pêlemêle des corps endormis.

La poésie de l’album vient d’abord du type de lien créé entre le texte et les images. Le texte évoque tout ce que l’enfant voudrait que la mère dessine, et les illustrations montrent comment ces dessins sont créés avec les étoiles ou avec la lune. Cette complémentarité est déjà une façon de construire un imaginaire partagé, dans lequel le réel, les désirs et le cosmos s’entremêlent tendrement  Mais elle vient aussi en particulier au cœur de l’album avec les paroles non dites de la mère, dans lesquelles se développe une belle métaphore entre les courses de la grande et de la petite aiguille de l’horloge et la mère et l’enfant, dans une rêverie autour du temps. Illustration et texte se fondent alors en un calligramme disant la fuite du temps, dans un travail syntaxique jouant des reprises, des répétitions, particulièrement réussi.

Les illustrations font la part belle au ciel, qu’il soit de nuit ou de jour, ciel sur lequel se détachent en bas le lit de l’enfant et les deux personnages, dans des couleurs pleines de douceur et de lumière.

Un bel album plein de délicatesse, pour dire avec une poésie touchante  tout l’amour qui se glisse dans l’anodin, dans le quotidien, le banal, pour dire aussi notre rapport à la perception du temps, et ce désir profond de transmission. Pour évoquer enfin ce sentiment complexe éprouvé entre un temps qui passe trop vite et le désir de voir s’endormir un enfant.

Vents de mémoire

Vents de mémoire
Yves Nadon – Nathalie Novi
D’eux 2025

52 drapeaux pour se souvenir

Par Michel Driol

A Dharamsala, un jeune garçon voit des drapeaux de prière flotter au vent. Cela lui donne l’idée de peindre sur des drapeaux les souvenirs de sa grand-mère, amnésique, et de les entendre sur des cordes dans le jardin de la résidence où elle habite. Des souvenirs que le vent lui porte.

Ecrit à la première personne, l’album articule trois dimensions complémentaires. Il y a d’abord l’amour de ce petit fils pour sa grand-mère, la sollicitude dont il fait preuve, et le désir de lui venir en aide pour qu’elle retrouve ses souvenirs. Il y a le présent de la grand-mère, au milieu d’autres personnes âgées comme elle, certes entourées de soignants qui prennent soin d’elles, mais  coupées de leurs racines. Et il y a enfin l’évocation de la vie extraordinaire de cette grand-mère, russe d’origine, émigrée au Canada.  De façon fine et intelligente, l’album fait alors la part belle aux illustrations de Nathalie Novi, le plus souvent sans texte, pour donner à voir les drapeaux peints illustrant la vie de la grand-mère, à travers des reproductions de photos, des objets  dans des tons pastels, comme s’ils étaient déjà à moitié effacés, ténus.

Yves Nadon propose un texte qui, dès les premières lignes, s’inscrit dans la thématique du souvenir, car le narrateur évoque l’été de ses dix ans comme époque de l’histoire racontée. Dans une belle mise en abyme, il évoque à travers ses souvenirs ceux de sa grand-mère, inscrivant ainsi une sorte de filiation, d’émouvante  transmission mémorielle intergénérationnelle. L’album prend aussi le contrepied du rôle que l’imaginaire fait habituellement jouer au vent, celui qui fait disparaitre le présent. Autant en emporte le vent… Ici, le vent rapporte le passé, l’anime, le fait revenir à la surface de la conscience, de façon à la fois magique et mystique. Cette magie, le texte la souligne, signalant bien le côté inexplicable du phénomène.

Nathalie Novi propose des illustrations en pleine page, pleinement en harmonie avec la poésie du texte. Elles dessinent plusieurs univers : celui de l’Inde, qu’elle connait bien, celui des drapeaux qui flottent ou qu’on fabrique, celui, déjà évoqué dans cette chronique, du passé de la grand-mère avant de faire flotter et danses ses personnages dans un mouvement plein de vie.

Les deux auteurs proposent ici un album poétique et sensible autour de la question des souvenirs, de l’oubli, et du lien intergénérationnel.

Merci mille fois

Merci mille fois
Didier Jean – Joséphine Onteniente
Utopique 2025

Gracias a la vida que me ha dado tanto

Par Michel Driol

Tout au long de l’album, la narratrice évoque certaines circonstances de sa vie dans lesquelles elle a dit merci. En pleine forêt, au milieu d’un orage, lorsque sa maman la console… Au garçon qui lui a envoyé son premier mot d’amour…. A celle qui l’a sauvée de la noyade… Au personnel de l’hôpital après une opération. Ce qu’elle évoque aussi, ce sont les mercis reçus, tant d’un garçon dans la cour de récréation que de celui à qui on tient la porte.

La première originalité de l’album est de montrer un personnage tout au long de sa vie, de son plus jeune âge, à table avec ses parents, à un âge avancé, se promenant avec  son bien-aimé, ses enfants et petits-enfants. Façon de prouver que dire merci, ce n’est pas réservé aux enfants, pour montrer qu’on est bien élevé, pas seulement un automatisme de politesse dénué de sens, mais que c’est un acte profond de gratitude envers l’autre. Ce qui se joue à travers ce mot, c’est une forme de lien interpersonnel  de reconnaissance, dans différentes circonstances. Les situations illustrées dans l’album vont du plus quotidien, le repas à table, le cadeau d’anniversaire aux situations les plus dramatiques, dans lesquelles la vie est en jeu. C’est bien là la seconde originalité de l’album, de redonner son sens plein et entier à ce petit mot qui entre dans le système du contre don après un don, à la condition qu’il soit humain, engageant, authentique. Ce que souligne aussi l’album, c’est qu’il n’est pas toujours facile de recevoir un merci, qu’on peut oublier de remercier, et que ce mot a pris un sens dévoyé, celui de licenciement.

En pleine page, pleines de vie et de douceur, les illustrations mettent l’accent sur le regard de la narratrice, un regard bleu, intense, profond, donnant une belle épaisseur à ce personnage et aux différentes étapes e sa vie. Une vie banale, ordinaire, avec des hauts et des bas de plaisirs et des deuils, un de ce vies minuscules, mais si proche de celle du lecteur ou de la lectrice. Un carnet de gratitude à remplir, en fin d’ouvrage, permet de garder trace des bons moments passés.

Donner un sens plus pur aux mots de la tribu, écrivait Mallarmé. C’est bien ce à quoi nous invite cet ouvrage, afin que des rapports de fraternité, authentiques, puissent se tisser entre nous.  Un ouvrage loin des ouvrages traditionnels de morale ou de politesse, mais qui milite pour plus d’humanité, pour plus d’attention les uns envers les autres. Un grand merci à l’auteur et à l’illustratrice pour nous le rappeler.

Ma maison jaune

Ma maison jaune
Catherine Girouard – Clémentine Pochon
D’eux 2025

Déménager – Partir – Reconstruire

Par Michel Driol

La narratrice habite une maison jaune, entre mare et forêt, près d’un magasin, à 83 pas de la maison bleue d’Eloi, son ami. Mais un jour elle doit déménager, et va habiter en ville, dans une maison blanche, entre un parc et une ruelle, entourée de maisons de toutes les couleurs.

Ce n’est pas le premier album jeunesse à parler de déménagement, de transition, de déracinement et d’enracinement, mais celui –ci le fait avec une grande originalité qui tient aux couleurs. L’album raconte en effet comment on passe d’un monde en deux couleurs – le jaune et le bleu – à un monde arc-en-ciel, comment, symboliquement, on passe d’un univers protégé, un peu clos, refermé sur lui-même, sur ce qu’on a toujours connu, à un univers dans lequel le blanc de la maison ne demande qu’à se parer des couleurs de la diversité du monde. Le texte parvient à créer une atmosphère poétique, liée au travail sur les sonorités (rimes ou assonances), liée aux répétitions, répétitions de quatre qualificatifs associés aux couleurs – le jaune, le bleu, le blanc -, mais aussi répétition des structures initiées par « il y a »  afin d’évoquer les alentours des maisons, répétition aussi des motifs en écho, celui du parc en écho à la forêt, celui du boulanger en écho au magasin. Cette construction en échos pleinement maitrisée est une manière de rassurer en trouvant du semblable dans le différent, donc d’aller de l’avant sans perdre ses repères.

L’album commence un peu comme une énigme, l’illustration et le texte confrontant le lecteur à un caillou jaune, dont la narratrice prétend qu’il est sa maison. Caillou transitionnel, souvenir emporté pour ne pas oublier, que l’on retrouve ensuite dans la main du personnage, lorsqu’elle se retrouve en ville. Autre énigme, celle de l’âge de ce personnage, enfant solitaire dans la maison, dont on ne voit jamais les parents, allant seule dans les magasins, mais cherchant la compagnie d’enfants. Façon de dire que les déracinements peuvent arriver à tout âge, surtout lorsqu’on n’en est pas responsable.

Les illustrations, encre noire, encre aquarelle et crayons de couleur sont d’une grande douceur. Elles jouent finement sur  les cadrages, la composition, les couleurs bien sûr pour rendre sensibles les sentiments éprouvés par la narratrice, toujours paisible, toujours calme, toujours revêtue de la même robe jaune, jusqu’à l’explosion de couleurs finale.

Se tenant toujours sur la ligne de crête entre nostalgie et nouveauté, l’album offre des perspectives intéressantes et touchantes sur la fidélité au passé, aux souvenirs, et sur l’ouverture nécessaire au futur, aux autres.

La Nuit est notre amie

La Nuit est notre amie

Zina Modiano – Caroline Péron

Gallimard Jeunesse 2025

Si, par une nuit d’hiver, deux enfants…

Par Michel Driol

Deux enfants malicieux refusent que la nuit entre dans leur chambre, et l’accusent d’être noire, froide, et méchante. Attristée, la nuit se met à pleurer des larmes qui se transforment en flocons de neige. Emerveillés par ce spectacle, les deux enfants demandent à la nuit d’entrer.

 Cet album poétique entend rassurer les enfants qui ont souvent peur de la nuit, d’abord en la personnifiant. Elle devient un personnage à part entière, dotée de sentiments, au milieu d’un monde dans lequel le jour, la lune deviennent des entités mythologiques, qui ont leur propre sociabilité. Si elle est bien noire et froide, car elle vit dehors, la nuit n’est pas méchante. Elle s’avère sensible et désireuse d’être l’amie des enfants, à qui elle promet de beaux rêves. Poète, la nuit sublime sa tristesse pour en faire le plus beau des spectacles, celui de la neige luisant sous les étoiles. Avec beaucoup de douceur et de légèreté, le texte évoque cet instant de basculement entre le jour et la nuit, entre le noir de la nuit et le blanc de la neige, entre le refus de la nuit et son acceptation.

Les illustrations, toutes en ondulations, en courbes, contribuent à créer cette atmosphère de douceur. Réalisées au crayon de couleur, dans des dominantes bleues réchauffées par des touches de rose et d’oranger, elles donnent à voir une nuit calme, mais pleine de la vie d’animaux sauvages. Il s’en dégage une grande sérénité propre à lutter contre la peur du noir et de l’inconnu.

Longtemps, je me suis couché de bonne heure… Un album qui revisite l’instant du coucher, inscrivant celui-ci dans un cycle immuable, celui de l’alternance entre le jour et la nuit, comme pour dire qu’il faut accepter ce moment, ne pas en avoir peur, mais l’accueillir avec confiance pour laisser place aux rêves.

De moi à toi

De moi à toi
Julia Billet – Nadège Baumann
Editions du pourquoi pas ?? 2025

C’est un jardin extraordinaire…

Par Michel Driol

Un après-midi de pluie au jardin, au milieu ders bruits de la pluie ou de la poule, une petite fille entend quelque chose. Le bruit de la chute d’une girafe, qu’elle s’empresse de consoler. Commence alors un jeu de cache cache, puis un gouter qu’on partage.

L’ouvrage s’adresse aux plus jeunes. On retrouve ici un enchainement de schèmes d’action bien connus dès l’enfance : jouer, consoler, faire un câlin, gouter. A ceci près qu’on passe vite dans l’imaginaire avec la rencontre avec la girafe, animal assez incongru dans un jardin. Mais qu’à cela ne tienne ! Dans les albums, tout est possible ! Le texte est particulièrement travaillé : assonances et allitérations bien marquées, rimes, onomatopées donnent à entendre une langue à la poésie simple et accessible. Une autre de ses particularités est d’être écrit à la seconde personne du singulier. Ce n’est pas la fillette qui parle, c’est à elle que l’on parle, à elle, mais aussi, forcément, au lecteur à qui un adulte lit le livre, façon d’identifier le personnage et le destinataire de l’album.  Dès lors, le texte se fait invitation, invitation à écouter les bruits de la nature, invitation à regarder,  invitation à consoler par les mots, invitation à jouer, invitation enfin à gouter, et surtout à partager son gouter.  Au plaisir de sens (l’ouïe, la vue, le toucher, le gout) s’ajoute le plaisir du partage et de la convivialité.

Chaque page de texte est suivie de deux pages d’illustrations. La première pleine page, tandis que la seconde, découpée en 7 ou 8 vignettes, attire l’attention sur des détails de la page précédente, qu’elle reproduit. Cela peut ainsi devenir un jeu de cherche et trouve. Si le texte n’évoque qu’une enfant et une girafe, les illustrations montrent un jardin peuplé d’enfants qui jouent, observent, de jeux, des dominos aux quilles, et surtout d’animaux, de la girafe du texte au serpent en passant par les poissons, ce jardin devient un véritable paradis dans lequel le soleil succède à la pluie.

Un album qui, à partir de situations simples, d’illustrations pleines de vie et de couleur, est une invitation à aller de soi vers l’autre, pour tout partager, bananes et cornichons, dans un grand mélange de plaisirs et de saveurs !

Ouvre la porte de ta maison

Ouvre la porte de ta maison
Nathalie et Yves Marie Clément – Hélène Humbert
Editions du Pourquoi pas 2025

Pour accueillir l’autre

Par Michel Driol

Il faut les protéger, leur donner à manger, les réchauffer,  les réconforter, les dorloter… Qui donc ? des animaux qui cherchent un abri et, pour cela, le texte invite le lecteur –représenté par un oiseau –  à ouvrir la porte de sa maison, bien humaine.

On retrouve ici le thème de l’hospitalité, cher aux Editions du Pourquoi pas ??, mais à destination des plus petits à qui s’adresse cet album. D’abord par un univers animal, et c’est bien toute une ménagerie qui accueille les animaux cherchant un abri. Animaux marins, comme le beluga, animaux de la jungle, comme le singe, gros comme l’éléphant, ou petits comme la souris, les enfants prendront plaisir à retrouver ici les animaux qu’ils sont en train de découvrir dans la grande diversité de leurs espèces.  Le texte, le plus souvent rimé, répète la même structure autour des verbes d’action liés à l’accueil, en une sorte de randonnée poétique. Chacun fait quelque chose à sa mesure pour venir en aide à l’autre. De façon parfois cocasse : l’orang-outang cuisine un flan géant, de façon « réaliste », la souris donne des souliers riquiqui… Bref, le texte dans sa répétition sait ménager de drôles de surprises bien adaptés dans le ton et aux plus jeunes enfants. On songe ici aux nombreuses comptines animalières.

L’éditeur a pris le parti de séparer les pages de texte des pages d’illustrations, deux fois plus nombreuses, qui donnent à voir le texte précédent. Cela permet à la fois à l’enfant de se construire le film de l’histoire, puis de chercher, dans l’image, tous les animaux et toutes les actions évoquées. Pas d’anthropologisation à outrance. Les animaux sont représentés au naturel avec un accessoire humain : écharpe pour porter ses bébés pour maman ourse, instrument de musique, bonnet rendant bien compte de cet entre-deux imaginaire, entre animalité et humanité. Des illustrations très colorées, capables d’attirer l’œil, mais aussi montrant un joyeux pêle-mêle d’animaux fraternellement réunis autour d’une table bien garnie, ou tendrement enlacés pour dormir.

Parler des animaux pour parler des hommes, donner une belle leçon d’hospitalité et de solidarité, voilà des graines semées qui ne demandent qu’à germer pour apprendre, dès l’enfance, à ne pas stigmatiser l’autre.

Zouki et moi

Zouki et moi
Anjuna Boutan
Casterman 2025

Du pouvoir des doudous…

Par Michel Driol

Alors que tout va bien à la maison pour la narratrice, à l’école elle est seule, harcelée par les autres. Dans sa poche, son doudou, Zouki, que sa maman lui conseille de caresser lorsque cela ne va pas. Ce jour là, Zouki devenu géant l’emmène dans une forêt, magiquement sortie des graines qu’elle met dans sa poche. Elle découvre alors que celles qui la persécutent aussi peuvent être malheureuses.

Comment parler du harcèlement scolaire, de la cruauté des enfants les uns envers les autres, de leurs souffrances intimes, et leur permettre de mieux se comprendre, de mieux vivre ensemble ? Cet album participe à cette entreprise, en plaçant le lecteur dans le corps d’une fillette, au ventre noué. Cela passe bien sûr par le récit à la première personne, mais passe surtout par les illustrations, qui montrent, sous forme de caméra subjective, ce que voit la fillette, c’est-à-dire, pour la moitié de l’album, ses genoux, revêtus d’un pantalon de velours côtelé marron.  On l’image ainsi, tête baissée, prostrée, alors que les autres lui parlent, se moquant d’elle. Ce dispositif, permettant l’empathie par l’identification du lecteur à la fillette, est d’une grande efficacité, d’autant que le texte, incrusté dans l’image, sous forme de cadres, conforte avec force cette impression de doute, de peur, de dévalorisation, d’inquiétude.

La seconde partie de l’album conduit la fillette dans un monde enchanté, coloré, dans lequel elle livre à Zouki ses émotions, ses sentiments de façon très intime. En réponse, ce dernier l’invite surtout à regarder le monde qui l’entoure, c’est-à-dire à lever la tête, à ne pas seulement se regarder elle. Thérapeute, Zouki explique aussi que l’une des harceleuses est aussi malheureuse, et que cela est l’origine de sa cruauté, ce qui entrainera le mouvement de la narratrice vers elle.

Les illustrations proposent un monde aux couleurs très vives et expressives qui contrastent avec le noir de Zouki. Alors que le décor est planté, l’arrière-plan derrière les persécutrices est uni, dans des couleurs variées exprimant, avec finesse, les émotions de la narratrice.

Cet album très personnel sur le harcèlement scolaire a la sagesse de ne pas être donneur de leçons. Il suggère l’importance d’une vie intérieure, de l’imaginaire, la nécessité de se construire des univers dans lesquels on se sente à l’abri. Il montre la nécessité de sortir de soi, de sa poche, pour s’ouvrir au monde dans sa splendeur. Il dit aussi que la souffrance et le malheur sont souvent sources de violence. Mais il ne donne pas les clefs pour lutter contre ce mal être et cette violence. Dans une scène très forte, il oppose bien la cruauté et les remarques désobligeantes des harceleuses face au geste amical de la narratrice, soulignant ainsi ce qu’il faut de force mentale pour y résister.

Un album construit autour d’une héroïne touchante, qui trouve en elle les ressources pour oser résister à la cruauté des autres, et prendre conscience de la beauté du monde et de la vie.