Le Dragon de glace
Mikael Engström
Traduit (suédois) par Anna Marek
La joie de lire (Encrage), 2010
Fugue givrée
par Anne-Marie Mercier
Le début du roman pourrait faire croire à un énième livre racontant l’histoire d’un enfant malheureux : sa mère est morte, mais il n’est hélas pas tout à fait orphelin : son père est alcoolique, son frère glisse vers la délinquance, et en plus il n’est pas beau, avec de trop grandes oreilles qui l’ont fait surnommer « Dumbo ». Il a peu d’amis,et se sait méprisé par la plupart des élèves de sa classe. L’histoire commence avec son premier acte de violence, son premier interrogatoire, la présentation de son goût pour l’horrible et le macabre… Donc tout est mal parti.
Et d’une certaine manière, ça se poursuit encore plus mal lorsque les services sociaux interviennent : Engström dresse un portrait caustique de leurs fonctionnaires et de leurs décisions. La vie triste de Mike devient un enfer grâce à eux et tout le roman est porté par un suspens très efficace autour de la fuite de Mike, de son horrible séjour comme employé de chenil dans sa famille d’accueil, et d’une descente en radeau dramatique, qui rappelle celle de Huck Finn. Ce n’est pas la seule allusion à la littérature : le livre est truffé de références au livre d’Astrid Lindgren, Les Frères cœur-de-lion (Bröderna Lejonhjärta), dont il partage la noirceur ; le traducteur a choisi de les rendre accessibles aux jeunes lecteurs en les transposant dans l’univers des films de La Guerre des étoiles. L’écart est si grand qu’on reste parfois perplexe, mais le souci est louable.
Ce livre dépasse largement un thème rebattu et parvient à être original. Il n’est pas noir. Il est fait de contrastes qu’unifie le regard très particulier de Mik. Très vite, voyant à travers ses yeux, on découvre à travers une banlieue triste de Stockholm un univers urbain plein de surprises et de poésie, de belles rencontres, le chant des baleines… Lorsque tout va encore plus mal que d’ordinaire, les émotions de Mik se présentent sous la forme d’un dragon de glace qui le dévore de l’intérieur jusqu’au bord de la folie. La suite du roman dans laquelle il se trouve dans une autre région de la Suède, plus au nord, au milieu de neiges et de glaces bien réelles, est drôle et tendre, avec des personnages loufoques et sympathiques, de belles amitiés, de l’énergie à revendre.
Tout cela est très bien écrit, en phrases courtes et en touches successives, adoptant le point de vue de Mik avec un juste peu de distance, n’explicitant que ce qui peut l’être, laissant beaucoup de questions en suspensL Le texte est tout en discrétion et légèreté, extrêmement drôle au milieu du drame, et plein d’optimisme. L’univers de neige et de glace, de population rare et rude, de peu de choses, est brillamment rendu.
Apre, tonique, lumineux et frais.