Tobie Lolness

Tobie Lolness (T.1)
Timotée de Fombelle
Gallimard jeunesse, 2006

par Catherine Gentile (septembre 2006)

Tobie Lolness (t. 2)
Timotée de Fombelle
Gallimard jeunesse, 2007

par Anne-Marie Mercier (juin 2007)

A dévorer, de la cime aux racines… 

Lorsqu’un chêne, majestueux bien sûr, devient un univers immense peuplé de toutes sortes d’êtres qui en prennent la mesure ou la démesure… Une branche est une avenue, une feuille une place, une goutte d’eau une belle averse et la moindre larve prend une dimension monstrueuse !
Telle est l’idée maîtresse de ce très beau livre que l’on dévore de la cime aux racines.
Quand on fait la connaissance de Tobie, notre héros minuscule de treize ans qui ne mesure que quelques millimètres, on le trouve en fâcheuse posture : «Tobie était dans un trou d’écorce noire, une jambe abîmée, des coupures à chaque épaule et les cheveux trempés de sang. Il avait les mains bouillies par le feu des épines et ne sentait plus le reste de son petit corps endormi de douleur et de fatigue.» Il est poursuivi par une horde vociférante et ne parvient à échapper de justesse à ses poursuivants qu’en quittant les beaux quartiers du sommet de l’arbre où il a toujours vécu avec ses parents pour se réfugier vers les terres d’en bas, mal connues, mal définies, sur lesquelles on dit bien des choses, où rien ne serait sûr y compris la vie.

On comprend peu à peu pourquoi Tobie a dû s’expatrier : son père, Sim Lolness, un scientifique de grand renom, vient de faire une découverte d’importance qui pourrait modifier la conception du monde de l’arbre et contrecarrer les projets du Grand Conseil qui dirige la communauté sylvestre. En refusant de communiquer sa découverte, le père de Tobie devient un paria et la vie de sa famille est menacée. Voilà pourquoi l’adolescent se retrouve projeté du jour au lendemain et sans préparation aucune dans un univers rude, loin du cocon douillet dans lequel il a grandi : un bel appartement creusé par les charançons dans une branche élégante du sommet. Il se retrouve seul, pris dans un tourbillon d’aventures qui le dépassent parfois, au contact de personnages singuliers, fascinants ou mauvais. Il fait ainsi l’apprentissage de la vraie vie et élargit considérablement son horizon.

Timothée de Fombelle écrit ici son premier roman qui est un vrai bonheur de lecture. On est très rapidement séduit par l’univers qu’il met en place et par la manière dont il l’installe avec beaucoup de soin, de précisions et de poésie aussi. Il transforme un arbre banal en monde organisé, hiérarchisé, injuste aussi, avec des lois et des rebondissements qui ont à voir avec notre réalité. Au sommet de ce monde vivent les puissants, les riches, les dirigeants qui composent le peuple des cimes, tandis que les racines de l’arbre abritent les parias, les pauvres, les laissés pour compte de cette société. Cela lui permet d’aborder des sujets sensibles, qui sont ceux qui traversent notre société : immigration, injustice sociale, environnent, arbitraire de certaines décisions… L’arbre recèle aussi des territoires encore vierges, propices aux divagations et aux racontars de ceux qui n’ont pas le courage de les affronter. Le jeune héros, adolescent de toute petite taille, est un personnage fort, attachant, qui trouve en lui de véritables ressources et qui puise son courage et son énergie dans une volonté inébranlable de faire triompher le bien et la justice. Il est aidé et encouragé par Elisha, une jeune fille de son âge qu’il a rencontrée dans les Basses Terres.
Roman d’aventures, récit initiatique, réflexion écologique, chronique sociale, il y a de tout cela dans Tobie Lolness, texte foisonnant et riche, servi par une langue précise et élégante, qu’enfants et adultes peuvent également apprécier et dont on connaîtra le dénouement en 2007 (dans Les Yeux d’Elisha) si l’arbre est toujours debout d’ici là !
En attendant, il ne nous reste plus qu’à explorer les arbres de nos parcs et nos jardins, afin d’en scruter les moindres recoins à la recherche d’êtres fascinants dont on avait totalement ignoré l’existence jusque là ! Précisons enfin que le livre est illustré par François Place, ce qui ne gâte rien.

Auprès de mon arbre, je vivais heureux….

Le premier tome de Tobie Lolness, premier roman d’un auteur connu auparavant surtout pour ses œuvres théâtrales, avait eu un grand succès (prix Tam tam, prix Sorcières, grand prix de l’Imaginaire, prix Lire au collège, etc.). Le second est fort heureusement à la hauteur du premier, même s’il n’offre plus la même surprise de la découverte d’un univers très particulier.

Le monde de Tobie Lolness, c’est un arbre. Il se divise en zones plus ou moins explorées, celui des hautes branches, privilégié, et celui des basses branches où Tobie est envoyé en exil avec sa famille. Il s’y adapte, y vit heureux et tombe amoureux de la belle et étrange Elisha, tout cela se déroule jusqu’à la fin du premier tome qui le voit menacé de mort tandis que ses parents sont emprisonnés et s’enfuyant à travers l’arbre, pour aboutir chez les Pelés, le peuple de l’herbe (il faut préciser que les êtres humains qui peuplent toutes ces zones ne dépassent pas 2 millimètres).

C’est un monde en miniature, où l’on découvre d’énormes monstres terrifiants comme des charançons, des araignées, des fourmis et où la moindre goutte d’eau est une cataracte. L’arbre est en danger dans ce deuxième tome, très orienté en direction de la dénonciation de la destruction de l’environnement : des profiteurs horribles l’entaillent pour parquer ses habitants dans des logements sordides ; lichens et mousses le menacent d’étouffement. D’autres mènent une guerre contre leurs concitoyens, ou contre les « étrangers » des herbes, sur lesquels on raconte des horreurs absurdes pour mieux convaincre les habitants de la nécessité de leur esclavage et de leur future extermination.

C’est donc un roman « engagé » dans lequel les différents camps, celui des méchants et celui des bons, sont bien identifiés. Beaucoup de manichéisme, les méchants sont horribles, répugnants (on sent l’influence de Roald Dahl) et font l’objet de scènes ou le grotesque est un peu excessif, ce qui fera rire les plus jeunes lecteurs. Cette noirceur est mise au service de scènes ou de situations qui évoquent les totalitarismes du XXe siècle (même si tout parallèle excessif serait réducteur) : savants emprisonnés et condamnés aux travaux forcés, peuples déplacés et utilisés comme manœuvres dans des grands ouvrages de construction, exploitation des masses, propagandes mensongères, régimes de terreur et de délation….

Mais c’est surtout un roman d’aventures qui combine les éléments les plus efficaces du genre : poursuites, suspens (la composition, qui fait alterner les histoires de différents personnages en les interrompant à un moment  crucial, imite les ressorts du feuilleton), amour, jalousie, trahison, vengeance, reconnaissances finales, etc. Les scènes d’action sont intercalées avec des scènes de bonheur pleines de poésie : la fête de Noël dans les bois d’Amen, le concert d’oloncelle dans la nuit, les rêves d’Elisha et de Tobie lorsqu’ils sont séparés, la rencontre amoureuse et silencieuse de Nils et Maï… le quotidien et le bonheur simple et paisible apparaissent comme ce à quoi tous les héros aspirent. Ainsi, c’est un récit d’action très bien menée qui fait en même temps l’apologie de la contemplation, de la science, de la peinture, de la musique et de l’écriture, ce qui est une belle prouesse. Enfin, l’amour et l’amitié sont au-dessus de toutes les conquêtes.

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