Plaine obscure (Mécaniques infernales, t. 4)

Plaine obscure (Mécaniques infernales, t. 4)
Philip Reeve
Traduit (anglais) par Luc Rigoureau
Gallimard (folio junior), 2010

Villes mouvantes

par Anne-Marie Mercier

Quatrième volet d’un cycle commencé avec Mécaniques infernales (Mortal engines), Plaine obscure tient toutes les promesses du premier volume : les destins y sont scellés, les mystères résolus et un certain ordre rétabli. Il fallait bien quatre volumes pour cela, tant la situation de la planète (la Terre) et des individus était confuse et complexe.

Le couple londonien du premier volume a vieilli, a explosé. Tom et Hester se haïssent, ils sont devenus faibles, aigris et laids, du moins au début de ce volume (la situation s’arrangera sur certains points !). Hester a disparu. Les héros sont ceux de la génération suivante : leur fille Wren et un jeune africain, Theo. Ceux-ci se chercheront et se perdront pendant bien des pages, à la manière du roman antique. On retrouve également des personnages plus curieux, ressuscités ou maintenus en vie par des coups de théâtre, des morts ramenés à la vie artificielle dans un corps de métal et gardant des bribes de souvenirs des temps anciens, des gamins des rues prêts à tout, de vieux archéologues gardiens du temple, des pirates, des officiers prussiens et enfin un journaliste-explorateur-écrivain ridicule et opportuniste qui surgit à chaque étape comme un diable hors de sa boite et qui ajoute ainsi des traits d’humour et de distance à une trame assez sombre.

La planète Terre est livrée au « darwinisme municipal » : à la suite de catastrophes, les villes sont devenues mobiles et se chassent les unes les autres, les grosses se nourrissant des petites, à la manière de pirates des mers. Ce conflit permanent se double d’un autre, celui des locomopoles avec les « Assaillants verts », partisans d’un retour à la terre et à la sédentarisation, tout aussi violents et sans scrupules. Ecologises et tenants de la technologie sont ainsi mis à égalité : même sauvagerie, même intolérance, même méfiance à l’égard des paroles de paix de part et d’autre. Entre ces deux forces principales se jouent encore d’autres guerres, plus ou moins organisées, piraterie, trahisons, complots internes. Mais tous ces camps qui croient connaître et maîtriser leur destin sont aveugles devant la montée d’une autre puissance qui risque d’anéantir toute l’humanité et que l’on ne découvre qu’avec les héros, presque trop tard.

Ce monde dévasté et muni d’une technologie arriérée a besoin autant d’ingénieurs, d’archéologues pour dénicher des instruments du passé (le XXe siècle, en gros) qu’il pourra réutiliser que d’espions et d’hommes de main pour les voler aux autres villes. Londres a été détruite par la folie de sa Guilde des ingénieurs qui a cru pouvoir contrôler des armes trop puissantes pour elle. Mais la ville renaît dans ce volume, dominée cette fois par la Guilde des archéologues à laquelle appartenait Tom, le héros du premier volume. Les jeunes Théo et Wren servent d’intermédiaires entre les différents camps et sont des modèles de courage, de diplomatie et d’habileté stratégique, tout en restant très humains, pleins de doutes, de terreurs et de sentiment d’abandon, capables eux aussi de trahison et d’injustice. Malgré cela ils restent assez flous et n’ont pas une épaisseur remarquable.

Rebondissements multiples, mystères, alternance de points de vue et d’atmosphères font de cette série un modèle du genre qui arrive à combiner de nombreux thèmes de la SF : l’apocalypse, la destruction de la nature, le choc des empires, l’émergence de nouvelles religions, l’intelligence et les humains artificiels, les villes-mondes…

Grâce à ce cycle, Philip Reeve (également auteur de Arthur, l’autre légende) a gagné de nombreux prix, notamment pour Plaine obscure le Guardian Children’s Fiction Prize and the Los Angeles Times Book Award. Depuis, Philip Reeve est revenu à l’univers de Mortal engines avec Fever Crumb, suivi de A Web of air.

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