Noël

Noël
Cecilia Cavallini
D’eux 2025

L’ours qui n’avait jamais vu la neige

Par Michel Driol

Cette année, comme il fait encore doux, Ours n’a pas encore hiberné. Tous ces amis attendent avec impatience Noël. Noël, cela ne dit rien à Ours, qui décide de mener l’enquête avant de découvrir un arbre décoré, la neige, et une fête entre amis.

Reprenant le principe du récit en randonnée, Ours rencontrant successivement chacun de ses amis qui lui donne son regard sur Noël, voici un album qui est d’abord une tendre ode à l’amitié et à la découverte des coutumes inconnues. Amitié bien sûr entre tous ces habitants de la forêt, ours au naturel, les autres souvent affublés d’un bonnet ou d’une écharpe, animaux de toutes espèces et de toutes tailles. On est dans un entre-deux, entre une nature représentée avec réalisme (l’ours qui hiberne, en boule, sous terre) et le merveilleux du conte dans lequel les animaux parlent et ont des coutumes très humaines. Le texte construit progressivement, à travers le questionnement d’Ours, une représentation du Noël : quelque chose qui met de bonne humeur, associé à la neige, à un arbre décoré, et, au final, surtout, à une fête entre amis. Un Noël laïc donc.  Les illustrations, aquarelle et crayons de couleur, sont pleines de douceur, de tendresse, mais aussi d’humour dans la façon de montrer l’excitation des animaux à l’approche de Noël… Toute ressemblance avec des enfants ne serait que pure coïncidence ! L’ensemble respire la joie de vivre et la bonne humeur, l’acceptation de l’autre, des changements dans ses habitudes.

Pour autant, c’est sur un arrière-plan de réchauffement climatique que s’inscrit l’album. Si Ours n’a pas encore hiberné, c’est qu’il ne fait pas encore froid. Voilà qui modifie les habitudes de certains animaux, devine-t-on. Et quant à la neige de Noël, si elle tombe, miraculeusement, à point nommé dans cet album, on sait bien qu’elle risque de n’être qu’un souvenir, conduisant à modifier les représentations et le vécu de chacun. Tout ceci n’est pas dit brutalement, mais reste comme une toile de fond posant un fond réaliste sur cette histoire pleine de fantaisie et de bons sentiments.

Qu’est ce que Noël pour chacun d’entre nous ? Voilà une des questions que cet album nous incite à nous poser, sur fond d’amitié, de sapin décoré, de cadeaux, d’hiver. Et si Noël c’était avant tout l’occasion de faire la fête ensemble ? Voilà une belle leçon pleine d’humanité portée par les animaux !

L’énigme de Bletchley Park

L’Énigme de Bletchley Park
Ruta Sepetys, Steve Sheinkin
Traduit (anglais, USA), par Faustina Fiore
Gallimard, jeunesse, 2025

Contre-espionnage, guerre et adolescence

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve avec plaisir le talent de la lithuano-américaine Ruta Sepetys, qui excelle à plonger des adolescences dans des histoires tourmentées (on avait bien aimé Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre chroniqué par Maryse Vuillermet et moi-même) et Si je dois te trahir, par Michel Driol. Elle s’est associée à un autre auteur pour jeunes adultes, Steve Sheinkin, spécialisé dans le genre de la « non-fiction » historique, et sans doute bien informé sur le contexte des événement, dans la période où l’Allemagne de Hitler envisage d’envahir la Grande-Bretagne après la reddition de la France, le moment du « Blitz » (1940-1941), ou de la « Bataille d’Angleterre ».
Roman historique, roman d’espionnage, exploration des émois de l’adolescence, des liens entre frères et sœurs ou entre amis, roman de formation, il y a un peu de tout cela dans l’histoire qui nous est racontée, tantôt avec le point de vue d’Elisabeth, dite Lizzie, 14 ans, tantôt du point de vue de son frère aîné Jakob. Jakob a disparu mystérieusement, ne laissant qu’une adresse vague à sa sœur. Leur mère a été déclarée morte en Pologne, au moment de l’annexion, sous les bombardements. Lizzie est donc seule dans cette période troublée ; il ne lui reste que sa grand-mère, à Cleveland, qui a organisé son voyage pour la faire venir auprès d’elle, aux USA. Mais Lizzie est une rebelle, elle refuse le plan de sa grand-mère, échappe à l’homme désigné pour l’accompagner dans ce voyage. Elle refuse de croire que sa mère est morte et veut enquêter sur sa disparition et retrouver son frère.
Celui-ci a été recruté dans un centre de cryptologie, dans le domaine de Bletchley Park, et n’a ni le temps ni l’envie de suivre les idées de sa sœur, qu’il est cependant obligé d’accueillir tout en la maintenant dans l’ignorance de sa mission, au nom du « Secret Défense ». Au cœur de l’histoire, il y a cette question du secret qui a entouré ce domaine et cette opération, un secret extrêmement bien gardé pendant longtemps, même après la fin de la guerre, tous les participants au projet, ayant juré solennellement de n’en parler à personne. Effectivement, le secret était crucial : les cryptologues tentaient de déchiffrer les messages codés des Allemands et travaillaient jour et nuit sur cette tâche immense. Pendant un certain temps ils ont travaillé sans succès, avec l’angoisse d’aboutir trop tard. On les voit obtenir des résultats juste au moment où le débarquement allemand est imminent. Tout ce qui présente la machine à coder allemande, Enigma, est passionnant, comme les explications sur les méthodes employées pour tenter de casser les codes ou les procédés employés par les personnages pour communiquer discrètement –  les auteurs invitent à prolonger le jeu à la fin en proposant au lecteur de résoudre certaines des énigmes proposées dans le roman. Enfin, on se déguise, on se dissimule, on cache des choses, on les enterre, ou échange les identités, tout bouge.
On voit aussi monter l’angoisse de la population, notamment de ceux qui, comme Colin, l’ami de Lizzie, ont un proche recruté dans l’aviation (une postface à l’ouvrage reprend des éléments historiques et souligne que les jeunes pilotes de la RAF n’avait que quatre semaines d’espérance de vie). La défense passive, l’entraînement des populations dans la perspective d’une invasion, les précautions prises qui n’empêchent pas les bombardements destructeurs sur Londres, et ses environs, tout cela apparaît en arrière-fond et est parfois mis en avant.
Les tribulations de Lizzie, les inquiétudes de Jakob, harcelé par les services secrets qui soupçonnent sa mère d’avoir été une espionne, la vie de tout un peuple qui continue à vaquer à ses occupations en attendant l’enfer, tout cela est fort, bien mené et le roman est passionnant de bout en bout. Il est drôle aussi, malgré ce contexte dramatique, la personnalité de Lizzie et l’inventivité de ses amis étant souvent cocasses, comme son esprit de répartie et son insolence.
C’est un joli portrait de fille, indépendante, extrêmement douée. Elle dame le pion à cet entourage militaire par son esprit d’observation et ses talents de déduction. C’est aussi le portrait d’une adolescente qui ressent des émotions sans toujours pouvoir les identifier et avance vers la maturité avec beaucoup de générosité et de sensibilité. Son frère comme les autres personnages sont à la fois énigmatiques et attachants. Du suspens, du sang et des larmes, du rire et de l’amour, cela fait un beau cocktail.

Esprits d’enfance

Esprits d’enfance
Stéphane Servant, Gaya Wisniewski (ill.)
Rouergue, 2025

Invitation à « retrouver ses esprits »

Par Anne-Marie Mercier

Ces esprits d’enfance, ce sont d’abord des souvenirs : deux enfants, un garçon et une fille (c’est le garçon le narrateur), une grand-mère et son chat, une maison avec une salle de bains à l’extérieur, un potager, un verger, un étang… Cette maison est loin de tout mais proche d’un lac et de petits bois où il y a parfois des champignons. C’est le décor idéal, posé avec une carte crayonnée dès les premières pages, pour faire surgir ces «esprits». Certains sont nés des expressions de la grand-mère ou des enfants : Soukapat (alias Foulbazar, etc.), croque-chaussette, le Cépamoi (ou cépamoiki), mais ils peuvent aussi désigner des découvertes liées aux diverses activités ordinaires et aux jeux inventés : Chante marmite, Dessin-le-ciel, chuchoteurs d’histoires, Boud’bois… Le placard grinçant, l’ombre des toilettes, l’arbre qui pleure… évoquent les peurs des coins sombres et des bruits bizarres qui font le caractère de toute vieille maison, et de la nature même. Chaque chapitre raconte comment l’esprit a été découvert, nommé, et a occupé un temps la vie de ces personnages.
Les illustrations en pleine page, au pastel gras, saturées de couleurs, sont très belles lorsqu’elles illustrent les décors. Les personnages et les monstres sont tracés à gros traits, de manière enfantine. D’autres pages sont en noir et blanc, crayonnées à grands traits au fusain ou au crayon de bois
Un chapitre final, « la vieille maison », montre les deux enfants devenus adultes entrant dans la maison. Elle est désormais inhabitée mais elle reste pleine des odeurs, des histoires du passé et de la présence de celle qu’ils appelaient Mémé. La dernière page, intitulée « retrouver ses esprits » invite à conserver la capacité des enfants à rêver et à inventer, et à se souvenir aussi, au-delà de la nostalgie, pour faire revivre les temps heureux.
Ce beau livre illustré semble s’adresser davantage aux adultes ou du moins à des enfants qui auraient déjà des souvenirs d’étés passés et seraient sensibles au deuil d’une enfance envolée et à la perte d’un ou d’une aïeule disparue.

 

 

L’Étoile de Mo

L’Étoile de Mo
Jeonju Chai
Traduit (coréen) par Elvire Beaule
hélium, 2025

Des Lumières

Par Anne-Marie Mercier

C’est d’abord un charmant petit livre, cartonné, à l’allure un peu ancienne, avec en couverture une image centrale qui reprend un peu tous les éléments de l’histoire, tout cela dans de jolies teintes pastels.
Mo est un chaton qui, un peu comme celui d’Ivan Pommaux, part seul dans la nuit. Il est en quête d’une lumière, du moins le croit-t-il. Il découvrira une nouvelle indépendance, mais aussi la force des amitiés, la richesse, des rencontres, le plaisir de l’exploration, le courage des épreuves surmontées.
Le sous-titre de l’histoire la désigne comme des « aventure forestières », et c’est bien dans ce contexte que tout se déroule : la nuit, l’automne, tout dort, sauf notre petit chaton. Réveillé, il voit par la fenêtre, une lumière « qui semble lui sourire. On dirait presque qu’elle l’appelle ». Après avoir laissé un mot à ses parents (lettres, bâton, formidable), et avoir pris son écharpe – tout cela est dans un contexte très anthropomorphique : les animaux de la forêt ont des maisons creusées dans les arbres, des bibelots et quelques vêtements ou accessoires (une touche de Beatrix Potter?) – il part à la recherche de cette « étoile souriante ».
Il rencontre le bienveillant grand-père hibou et fait des recherches dans sa bibliothèque. Celui-ci lui trouve Mo peu prévoyant. Il lui donne une carte de la Forêt Bleu-nuit et des provisions. A l’étape suivante, des mésanges, très organisées, comme le hibou, lui donnent des conseils et quelques provisions. Puis ce sera un écureuil en haut-de-forme qui lui donnera des rudiments de bonnes manières et des glands, un raton-laveur restaurateur, etc., jusqu’aux rennes du Père Noël, qui font la fête en attendant d’être trop pris par leur travail de la fin de l’année. Tous le mettent en garde contre l’ours qui vit au fond du bois, gigantesque et puant. Bien sûr, Mo rencontrera, l’ours et ce sera une belle surprise, on n’en dira pas plus.
C’est un petit conte parfait, une randonnée comportant beaucoup de variations, et une jolie réflexion sur les idées toutes faites, les mauvaises réputations, et la nécessité de l’entraide. Les illustrations sont une merveille de délicatesse et de drôlerie. Ce petit chat est très expressif et charmant. Le texte s’inscrit de manière très variée dans les pages : on trouve aussi bien des images en pleine page que des images séquentielles, des vignettes qui se promènent autour de  fragments de texte. Représentation du « réel » et vision du fantasme apparaissent souvent conjointement. Si le noir et blanc domine, mettant bien en valeur la fourrure du chat, il est rehaussé aussi de touches de couleurs pastels et l’ensemble est très joli et raffiné.
Magnifique !

 

 

C’est mon corps

C’est mon corps
Mai Lan Chapiron

De la Martinière Jeunesse, 2025

Tu es le chef de ton corps

Par Lidia Filippini

Une première mouture de C’est mon corps, publiée en 2024 s’adressait aux tout-petits, à partir de trois ans. Mai Lan Chapiron propose ici une version enrichie destinée aux enfants de six ans et plus (qui pourra paraître un peu simpliste après huit ans selon nous). Elle y aborde avec une certaine dose d’humour les questions liées à l’intimité.
Le lecteur apprend à repérer ses parties intimes, à les nommer, mais aussi à les protéger. Une grande partie de l’album, en effet, est consacrée au consentement. À droite, une question se décline sur un fond coloré : « Est-ce que ta sœur, ton frère / tes parents / les adultes de l’école… ont le droit de toucher tes parties intimes ? », suivie de sa réponse, en lettres capitales blanches bordées de noir : « NON ! ». Tandis qu’à gauche, une illustration, colorée et légère, dédramatise quelque peu le propos de la page de texte. Cette formule, qui revient comme un leitmotiv, donne encore plus de force au message. L’autrice en profite pour glisser délicatement quelques précisions : personne ne peut toucher les parties intimes d’un enfant, pas même en échange d’un cadeau, pas même quand il lui fait des chatouilles, ni avec ses mains, ni avec aucun objet.
Une petite chouette ajoute, avec humour, son grain de sel. Ses remarques amusantes permettent, elles aussi, de mettre un peu de distance entre le jeune lecteur et les thèmes graves abordés.
Plus loin dans l’album, une double-page tranche par son « OUI ! ». Le lecteur y découvre qu’une seule personne a le droit de toucher ses parties intimes : lui-même, et que ce n’est pas interdit.
Enfin, dans cette version destinée aux plus grands, quatre pages permettent d’aller plus loin. L’autrice y détaille les quelques cas où un adulte a le droit de toucher les parties intimes d’un enfant (le bas-âge, le handicap, la maladie). Elle donne également des conseils aux victimes d’attouchements sexuels ou d’inceste : parler à un adulte de confiance, appeler le numéro d’Enfance en danger.
L’autrice, Mai Lan Chapiron est également chanteuse de rap, costumière et créatrice de mode. Victime d’inceste à l’âge de sept ans, elle collabore aujourd’hui avec plusieurs associations d’aide aux enfants. Son premier album jeunesse, Le Loup, a reçu le label « Pacte pour l’enfance« , décerné par le Ministère des Solidarité et de la Santé. Elle intervient dans des écoles, des colonies ou des centres aérés dans le cadre de la prévention contre les violences sexuelles. Avec, C’est mon corps, elle donne aux jeunes lecteurs un outil clair qui détaille précisément ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, encourageant les jeunes victimes à demander de l’aide. En famille, cet album pourra permettre d’engager une discussion avec son enfant. Il peut aussi être utilisé en classe (au CP ou au CE1) puisqu’il permet d’aborder les points mentionnés dans les nouveaux programmes d’éducation à la vie affective et relationnelle pour ces classes : « Nommer les parties intimes avec le vocabulaire scientifique précis » et « Savoir protéger son intimité ».

Pierre Lapin

Pierre Lapin ou Le Monde de Pierre Lapin : l’histoire originale + la peluche
Beatrix Potter
Traduit (anglais) par ? (non mentionné)
Gallimard, jeunesse, 2025

Des origines en peluche

Par Anne-Marie Mercier

Noël approche : la publication de jolis coffrets est une opportunité, même si l’on tente de résister contre ce qu’on appelle les « produits dérivés », pour faire découvrir aux jeunes enfants des classiques de la littérature de jeunesse.
Ce premier volume de la série des aventures de Pierre lapin reprend le texte de 1902, mais, nous dit-on en 2e de couverture, « corrigé » en 2002. On ne sait en quoi ni comment, mais tout de même, que veut dire ici ‘histoire originale » ? à l’origine d’une série? On y trouve aussi les reproductions des illustrations « originales » par l’auteur, c’est le moins qu’on puisse faire : Beatrix Potter est une merveilleuse illustratrice ;  ses textes sont de beaux exemples d’esprit d’enfance.
On ne reviendra pas sur les démêlés de Pierre avec Monsieur McGregor dans lesquels il perd sa jolie veste bleue à boutons dorés. De multiples éditions et dessins animés les ont rendus assez célèbres. On se réjouit que cette fameuse veste bleue se retrouve sur la peluche qui accompagne le livre dans la boîte coffret ; le couvercle transparent permet de les découvrir ensemble.

 

Un trou dans le tout

Un trou dans le tout
Eleonora Marton  traduit par Laure Meier
Helvetiq 2025

Tentative d’épuisement d’une forme circulaire

Par Michel Driol

On commence avec une tache de rousseur sur la joue, on passe par le dernier biscuit sur l’assiette, le soleil à travers mes lunettes de star, et on termine avec un rond invisible sur la page. Toutes les pages sont identiques, à quelques détails près. La taille du rond, de plus en plus grand, les couleurs, avec l’inversion des couleurs entre le rond et le fond de page entre la page de droite et la page de gauche, et la légende qui renvoie à des choses le plus souvent très concrètes.

Cet album, à la fois très conceptuel et très graphique est aussi très poétique, dans la mesure où il invite le lecteur à voir, à regarder objets qui ont tous en commun d’être circulaires. Pas des trous, non, contrairement à ce qu’annonce le titre, mais des choses tantôt plates, tantôt sphériques, parfois plus complexes. Les légendes des pages de gauche et de droite établissent des connexions parfois évidentes, parfois plus subtiles, rapprochant ainsi, à la manière des surréalistes, des éléments bien éloignés. Si on passe du plus petit au plus grand, on passe aussi du visible à l’invisible, du bon côté à l’autre côté. Tout se passe comme si les choses évoquées disparaissaient à la fin, devenaient invisibles, sombraient dans le grand trou, une fois le livre fermé. Parfois ne restent que des traces, comme celle de l’horloge enlevée du mur, un détail oublié. Ces trous deviennent aussi trous de mémoire, souvenirs, rêves, prenant ainsi une autre dimension, plus humaine, éléments d’un échange entre un « je » et un « tu » dont on ne pourra jamais cerner les contours. Des souvenirs, pensera-t-on…

Comme de nombreux albums contemporains, on a une proposition qui se situe  entre l’album pour enfant et le livre d’artiste, entre le jeu de devinette et le jeu littéraire, pour inviter petits et grands à s’émerveiller, rêver, parcourir et découvrir un monde à la fois concret et abstrait.

Le Serment des sœurs Fossil

Le Serment des sœurs Fossil
Noel Streatfeld
Traduit (anglais) par Jacques Martien
Novel, 2025

Fillettes en scène

Par Anne-Marie Mercier

Fausse fratrie, nom inventé, tout repose sur la fantaisie de Gom (pour Grand Oncle Matthew). Cet anglais excentrique et collectionneur ramenait dans sa grande demeure londonienne des fossiles et parfois des bébés, recueillis dans différentes circonstances. Il y en a trois: d’abord Pauline, puis Petrova et enfin Posy. Elles grandissent tranquilles et heureuses avec Sylvia la (vraie) nièce de Gom et Nana la gouvernante, dans une grande et belle maison, jusqu’au jour où, une absence de Gom se prolongeant, le souci d’argent modifie leur vie.
Pour recevoir une éducation et pouvoir travailler à partir de l’âge de 12 ans, elles intègrent une école où elles apprennent à la fois la danse et le théâtre. Quant à Sylvia, elle prend des pensionnaires pour faire durer le pécule laissé par Gom en attendant son retour.
Bataillant pour arriver à se distinguer, les sœurs font le serment qu’un jour leur nom sera célèbre. Si Pauline, dès ses douze ans, excelle vite sur la scène du théâtre puis plus tard au cinéma, et si Posy a un talent de danseuse exceptionnel, Petrova se cherche… Il faut dire qu’elle ne s’intéresse qu’aux voitures et à la mécanique, aidée par l’un des locataires, alors que les enseignants qui occupent les autres chambres louées les aident à compléter leur éducation.
Chacune a son caractère. Elles se heurtent, s’impatientent, se jalousent, mais elles ont bon cœur et, grâce aux conseils judicieux de leur entourage, elles arrivent à rester unies. Les ruses pour masquer leur pauvreté et pour avoir une robe correcte pour une audition sont touchants, comme et leurs scrupules et leur souci d’aider leur petite communauté. Heureusement, quelques moments comiques évitent que toute l’histoire ne tombe dans la mièvrerie, mais surtout la description des efforts nécessaires aux danseuses et actrices de théâtre ou de cinéma sont d’un réalisme intéressant.

Publié en 1936 sous le titre Ballet Shoes, ce roman qui a connu un grand succès en Angleterre mais n’était jusqu’ici pas traduit en France peut être considéré comme l’ancêtre des séries d’histoires de ballerines destinées aux filles (la collection « danse ! » ou le feuilleton de l’ Âge Heureux).

Le Cadeau de Minuit

Le Cadeau de Minuit
Hong Soon-mi
L’élan vert 2025

Des couleurs et des ombres…

Par Michel Driol

Ils sont cinq lapinous, Aurore, Matin, Midi, Soir et Minuit, fils de Jour et Nuit, petits fils de grand-mère Temps. Cette dernière offre à chacun d’eaux un cadeau : bleu pâle pour Aurore, bleu  pour Matin, jaune pour Midi, rose, orange et rouge pour Soir, mais, dans le noir de la nuit, Minuit ne voit rien, et pleure. Pourtant grand-mère Temps veille sur lui, et invite ses frères et sœurs à lui offrir quelque chose. Nuage de brume, brise, confettis de soleil, couleurs du ciel. Et Minuit de tendre à chacun un petit bout de lui-même pour faire naitre les ombres…

Voici la réédition d’un album paru en 2020, un album plein de douceur et de poésie. Douceur et poésie des illustrations, pleines de la sérénité de la nature à différents moments de la journée, habitée par cette fratrie de lapins représentés de façon si touchante… Des petits lapins que l’on voit côtoyer d’autres animaux, poissons, oiseaux, papillons, écureuils… autant de vie et de couleurs qui s’opposent à la nuit noire de Minuit  juste peuplée d’une lune et d’étoiles qui sont plutôt ses larmes… Douceur des lapins, des nuages,  des formes diverses représentées de façon duveteuse, cotonneuse, comme de gigantesques doudous moelleux…

C’est dans cet univers que le texte dépoile une mythologie bien loin d’un Chonos dévorant ses propres enfants. Dans cette cosmogonie, on en laisse personne de côté, et les plus anciens veillent sur les plus jeunes, afin de s’assurer une parfaite égalité des dons reçus. Dans ce conte en randonnée, il est question de la beauté originale de chacun des instants de la journée, pleine de sensibilité, de vie, avec sa couleur propre. Et, dans ce jeu, si les lapins de jour apportent à Minuit de quoi rêver, lui leur offre les ombres, comme une façon de donner de l’épaisseur aux choses. De cet échange nait un univers plus complet, les rêves étant le lieu de toutes les couleurs, façon de dire le pouvoir de l’imagination, de la poésie et de la création.

Un album poétique et philosophique à destination des plus jeunes, les invitant à profiter pleinement de chaque moment de la journée, et à prendre soin les uns des autres, au delà des différences.

Tous des patates. Apprends à dessiner trois millions d’animaux à partir d’une simple patate

Tous des patates. Apprends à dessiner trois millions d’animaux à partir d’une simple patate
Mathias Friman

Seuil Jeunesse, 2025

Patates pour tous

Par Lidia Filippini

Mathias Friman part d’un constat simple : tous les animaux peuvent être dessinés à partir de l’esquisse d’une simple patate (mais pas le tubercule, précise-t-il, plutôt une forme ovoïdale qui peut être plus ou moins grande et plus ou moins allongée). Cette patate constitue le corps. Reste ensuite à ajouter une tête (une petite patate) et un cou pour maintenir ensemble les deux éléments, puis des pattes, une queue et, parfois, un bec, des cornes, des ailes ou des nageoires. Avec cette technique, l’auteur propose une cinquantaine de modèles et leurs déclinaisons qui permettent au final de dessiner facilement tous les animaux du monde.
Tous des patates pourrait n’être qu’un simple manuel de dessin mais Mathias Friman en profite pour entraîner ses lecteurs vers la découverte de la classification des espèces animales, insistant sur les spécificités de chacune d’elles de manière simple et très claire (« Pour résumer : de l’eau + des branchies + des nageoires = un poisson »). Le livre suit le tableau de « Classification simplifiée des patates » qui apparaît en fin d’ouvrage et constitue une sorte de sommaire. On y trouve cinq grands groupes d’animaux : les vertébrés, les mollusques, les cnidaires, les arthropodes et les annélides (qui ne sont pas des patates, mais des saucisses) avec leurs principales subdivisions. D’un point de vue scientifique, cette classification est quelque peu contestable, notamment parce qu’elle omet le groupe des échinodermes (étoiles de mer, oursins entre autres) qui est important puisque, porteurs d’un squelette interne, ces animaux sont considérés comme proches des vertébrés. Cette absence ne s’explique pas et semble peu justifiable dans un livre que la quatrième de couverture présente comme « un manuel zoologique ».
Quelques approximations scientifiques, donc, qu’il faut garder en tête, mais cela ne nous a pas empêchée de prendre beaucoup de plaisir à lire cet album-documentaire-manuel original. Les illustrations sont drôles et colorées. Elles donnent envie de tenter la méthode des patates et il faut bien dire que celle-ci s’avère particulièrement bien pensée pour dessiner toutes sortes d’animaux.