Maman sur le fil à plomb

Maman sur le fil à plomb
Hélène Gloria – Barroux
D’eux 2025

Garder l’équilibre…

Par Michel Driol

Le narrateur fait le portrait de sa mère, maçonne. D’abord au travail, il la montre dans un univers masculin, montant des murs, grutière,  ou faisant le béton. De retour chez elle, elle est blanche, comme un clown et raconte à ses enfants des histoires pleines de châteaux. Elle s’inspire de la nature, des castors, s’excuse auprès des pierres de leur fendre le cœur et devient tailleuse de pierres ou camionneuse.  Quant à leur maison, biscornue, sans portes, elle n’a que le ciel pour toit.

Avec ses rimes, le texte est un petit bijou, montrant le regard admiratif de l’enfant devant cette mère extraordinaire. Un texte qui n’hésite pas à user des mots techniques, parpaing, truelle, tuffeau ou linteaux pour mieux plonger le lecteur dans cet univers à la fois très matériel, mais aussi rempli de l’imaginaire de la mère et de l’enfant. Cela se traduit par des comparaisons, celle du béton avec la béchamel, ou par l’évocation des histoires du soir de cette mère, histoires qui empruntent à l’histoire des bâtisseurs d’œuvres qui ont résisté au temps.

Barroux illustre joliment ce texte, à l’aquarelle et l’encre, mettant en évidence par ses longs cheveux roux cette maman toujours active et dominante, même lorsqu’elle semble si petite et fragile dans sa grue qui devient un géant aux longues jambes. Des images qui font voyager le lecteur du chantier à la maison, du jour à la nuit, du réel à l’imaginaire des histoires du soir jusqu’à cette page, presque la dernière, qui illustre le tire, montrant une femme au milieu d’un réseau de lignes sur lesquelles, comme un équilibriste, elle avance. Et le contraste n’en est que plus saisissant avec la maison familiale pleine de fantaisie.

Au-delà du portrait de cette mère, c’est un hommage à toutes les mères qui travaillent, concilient vie familiale et métier difficile – un métier d’homme diraient certains -, nourrissant l’une par l’autre, et construisant un bonheur familial plein de joie, de bonhomie, de fantaisie et de créativité. Il s’agit bien de déconstruire des stéréotypes de genre, de montrer la complexité d’un personnage admirable, et de dire comment elle se maintient en équilibre entre tous les rôles qu’elle assume, en mettant l’accent sur l’imaginaire – tant celui de la mère que celui de l’enfant narrateur, comme pour donner à voir et à entendre cette transmission d’une certaine conception de la vie et du bonheur.

Un album de grand format, qui donne à voir le monde du travail manuel (c’est rare dans la production actuelle des albums jeunesse) sans opposer travail manuel et créativité. Un album qui se tient sur le fil des sentiments de l’enfant, entre joie et émotion…

Nifle et Renifle : Les Manuscrits de Madame Patchouli

Nifle et Renifle : Les Manuscrits de Madame Patchouli
Aurélie Magnin
Rouergue Dacodac 2023

Superhéros canins

Par Michel Driol

Accompagnée de ses deux bassets, Joe, 8 ans, se veut détective privée dans la cabane au fond du jardin. Sa seule cliente, Madame Patchouli, vient déclarer le vol de précieux manuscrits. De la littérature pour les chiens, qui permet entre autres choses de leur donner de super pouvoirs. Et voilà que deux malfrats se sont emparés de ces ouvrages !

Voilà de la littérature légère et bien déjantée, où les péripéties s’enchainent dans une ville où l’on confond volontiers les adresses. Ne cherchez pas la vraisemblance, ni psychologique, ni logique, mais plutôt une série d’épisodes tous plus farfelus les uns que les autres. C’est divertissant et facile à lire.

Entre Ehpad et cour des grands, entre aéroport et cabane au fond du jardin, entre éditeur scolaire et escrocs de haut vol, une héroïne  bien déterminée à prouver que la valeur n’attend pas le nombre des années.

La Fée bleue

La Fée bleue
Marie Détrée
Rouergue 2025

Comme un cherche et trouve…

Par Michel Driol

La Fée bleue, c’est l’amour invisible d’Aimé, le dompteur de nuages. Il la cherche partout, et demande  tant à Agathe la contremaitre de la carrière de pierre qu’aux gallinacées ou au tigre où elle se trouve. En vain…

Ce récit en randonnée est aussi très poétique. Une poésie qui joue sur les sonorités, les homophonies, les  rimes parfois, les rythmes souvent. Une poésie qui joue aussi sur les mots, qui s’associent de façon parfois inattendue, parfois à la limite du clin d’œil ou du double sens. Une poésie qui joue aussi sur la situation, nous proposant le monologue d’un improbable dompteur de nuages et qui côtoie le merveilleux de l’univers du cirque à l’ancienne.

Les illustrations sonnent comme un hommage à ces vieilles images d’Epinal dans lesquelles il fallait trouver un personnage bien caché dans des feuillages ou un motif. C’est le cas ici, le lecteur étant invité à trouver la fée bleue qu’Aimé, le mal nommé, ne voit pas. Elle se dissimule un peu partout dans les images, parfois de façon évidente, parfois de façon plus subtile.  Autant qu’un clin d’œil à l’imagerie d’Epinal, les illustrations ont un aspect retro qui plonge dans le monde du cirque du début du XXème siècle, avec ce personnage de colosse dompteur dont les moustaches et le marcel évoquent bien les hercules de foire. Qu’on soit dans la jungle ou sous la mer, elles multiplient les animaux, les végétaux dans une luxuriance proche de la naïveté du douanier Rousseau, techniques mises à part, puisqu’ici tout est stylisé et fait au feutre, et à l’aquarelle.

Au final, cet album dit la quête de l’être aimé par une sorte de géant lunaire pas très malin. Quête universelle de l’amour d’un être inaccessible magique, merveilleux. Quête qui entraine les quolibets des autres, leur moquerie. Quête qui pourtant se clôt sur deux leçons de sagesse. La première, que chacun est caché sous un masque, comme la fée cachée dans les images. La seconde, c’est que cette quête d’un être extérieur est peut-être bien celle d’un moi profond. La Fée bleue se cacherait-elle en Aimé, comme un contraire ou un complémentaire, une autre vérité ?

Un album en forme de cherche et trouve, poétique et sensible, qui aborde de façon originale la quête de l’autre et de soi même.

A l’écoute

A l’écoute
Thomas Gornet
Rouergue dacodac 2024

Sortir des écrans

Par Michel Driol

A 9 ans, Ilyes voit un psy afin de tenter de le socialiser et de le guérir de son addiction aux écrans. Pour cela, il doit enregistrer, quotidiennement, un journal audio, dans lequel il lui faut raconter ses journées. Il ne récupérera son téléphone que s’il parvient à inviter un copain à passer la nuit chez lui….

Voilà un roman à lire autant qu’à écouter, écrit dans une langue orale, d’abord peu motivée, pleine d’hésitations, de scories, mais qui va finir par s’enrichir et se faire plus juste, plus profonde. Le style, les propos tenus sont à la mesure des progrès d’Ilyes. Ajoutons qu’on y entend aussi les bruits de la pluie ou les gazouillis de la petite sœur… C’est cette forme, proche du théâtre sans doute, du monologue, qui séduit en premier. C’est ensuite une galerie de trois personnages, chacun muré en lui-même, de différentes manières. Il y a Ilyes, plus attiré par les écrans que par les autres, qui avoue ne pas connaitre vraiment tous les élèves de sa classe. Il y a Boulmir, plus accro à l’univers d’Harry Potter que prompt à s’intéresser aux autres et à prendre conscience de leurs réactions, de leurs sentiments. Il y a enfin Olia, avec son AESH plongée dans les sudokus, une fillette qui ne parle pas, et semble murée en elle-même. Comment ces trois vont se rencontrer au-delà de leurs mutismes respectifs, autour d’un plat d’épinards aux  œufs, autour d’une activité de modelage en glaise, et se révéler les uns aux autres pour s’ouvrir sur autre chose que leur petit monde : c’est ce qui fait la force et la beauté de ce roman, qui met en scène des personnages différents, que les autres ont trop vite qualifiés de zinzins, mais qui révèlent chacun leur part d’humanité. Ajoutons aussi les personnages de parents, bien traités dans ce récit, bienveillants, sensibles, parfois hésitants dans le comportement à avoir, mais toujours présents. Enfin, une mention spéciale pour le psy, personnage aux méthodes originales, mais vu à travers les yeux sans doute déformants d’Ilyes.

C’est donc une histoire d’éveil aux autres qui nous est contée sans moralisation, sans jugement sur les personnages. Il s’agit de percer les secrets, de découvrir sans être intrusif ce qu’il y a d’intrigant, de surprenant, chez les autres. Il faut voir – ou entendre – comment Ilyes parle d’Olia. Ses singularités l’étonnent, mais il ne se détourne jamais d’elle, à la différence des autres filles de sa classe. Et, dans ce mouvement vers l’autre, le téléphone peut devenir non pas un objet permettant de se couper du groupe, mais un outil pour s’envoyer des photos, bref, pour communiquer.

Un roman sur l’acceptation des personnes différentes – c’est-à-dire de toutes et tous – qui ne manque pas d’humour non plus dans le regard que porte Ilyes sur les autres, les adultes en particulier, et un roman qui montre comment peut naitre une merveilleuse amitié, en étant simplement à l’écoute.

Le grand Voyage de Dandy Lapin

Le grand Voyage de Dandy Lapin
Adèle Pedrola – Chiaki Okada
Editions des éléphants 2025

Home, sweet home…

Par Michel Driol

Dandy Lapin, qui vit dans une maison douillette entourée d’un jardin dont il prend grand soin apprend qu’il a gagné un voyage en Australie ! Lui qui rêvait du troisième prix, un kit d’outils de jardinages, le voilà terrorisé à l’idée de partir, de quitter son confort, son jardin. Et même si ses amis, la grenouille et les oiseaux lui promettent d’en prendre grand soin, il n’est pas rassuré. Aussi, sans rien dire à personne, il part camper à quelques centaines de mètres de chez lui, pour surveiller sa maison, et voir si tout se passe bien. Mais quand l’orage détruit son campement de fortune, il est bien contraint de rentrer chez lui… pour découvrir qu’il s’est trompé dans la date du billet d’avion. Il est encore temps de partir en Australie !

Comment ne pas être séduit d’abord par les illustrations toutes en douceur de cet album. Crayons de couleur et mine de plomb pour des teintes pastel, des formes sans aucune aspérité, et la représentation si touchante de ce petit lapin, avec sa fourrure, et sa veste d’un bleu délavé. Le tout est composé dans des dominantes de vert tendre  – celui du jardin, de la nature – et de bleu – celui de la nuit, de la pluie, sur lesquelles se détachent le jaune-oranger du lapin, et, parfois, des touches de rouge – comme les pois de l’invraisemblable caleçon de la grenouille. On l’aura compris, on est dans un univers très anthropomorphisé, plein de délicatesse.

C’est cette même délicatesse que l’on retrouve dans le texte et dans l’histoire. Un texte qui pose dès la première page un lapin dans un univers d’ordre, où rien ne dépasse, un lapin épicurien très attaché à son univers. Alors que ses amis sautent de joie à l’idée qu’il découvre le monde, lui tremble, ronchonne, regrette… Un texte qui joue avec la surprise du lecteur qui croit le lapin parti pour de bon en Australie. Un texte vivant, par les multiples dialogues qui contribuent à construire les personnages dans leurs relations empreintes de bienveillance. Mais cet album parle surtout de la peur de l’inconnu, de la peur de l’aventure, et de ce qu’il faut de courage pour surmonter ses doutes et briser ses routines. Dandy Lapin trouve en lui-même les ressources nécessaires pour partir au loin, ayant compris deux choses. D’une part que ses amis peuvent s’occuper de son cher jardin. D’autre part qu’il a la force de reconnaitre et d’avouer ses craintes, condition nécessaire pour les surmonter.  La vie est pleine de surprises. C’est par cette phrase que se termine l’album, comme une leçon adressée aux jeunes lecteurs pour les inciter à accepter ce qui sort des routines, des rites bien établis, pour aller au loin, à l’image de ce Dandy Lapin que l’on voit partir, en vrai routard, sourire aux lèvres sur la dernière image.

Un album pour monter qu’on peut surmonter ses angoisses, avec un personnage de lapin bien civilisé dont on partage les sentiments et pour lequel on se prend d’affection tant dans ses routines que ses mensonges.

Chant d’hiver

Chant d’hiver
Giorgio Volpe et Paolo Proietti
Passepartout 2025

Le plus beau des cadeaux de Noël

Par Michel Driol

Dans la forêt enneigée, Volpetto le renard et Basile le petit blaireau jouent. Ils regrettent l’absence de Lino le loir, qui hiberne. Toutefois, ils pensent à lui et décorent l’extérieur de sa maison. Le matin de Noël, Allegra la mésange réveille Lino qui va, sans bruit, déposer deux noisettes en cadeau près de Volpetto et Basile.

On retrouve Lino, Volpetto et Basile, que l’on avait déjà croisés dans Avant de dormir et Un deux trois, dans un album hivernal plein de douceur et de poésie. Douceur des illustrations, bien sûr, de cette neige blanche qui envahit tout, qui tombe à gros flocons sur les pages de garde. Paysages enneigés qu’on dirait sortis d’une carte de vœux idéalisant une forêt magique, rêvée. Poésie du logis de Lino, une cafetière à l’ancienne, blanche à l’extérieur, aux couleurs chaudes à l’intérieur. Poésie de ce petit loir qui dort dans une chambre si confortable, avec, dans ses bras, son doudou, à l’image de Volpetto. Pleines de qualité, les illustrations donnent à voir un univers tout en délicatesse, où cohabitent  deux animaux au naturel, et un autre, anthropomorphisé, Lino.

Fait rare dans les albums jeunesse, le texte privilégie l’imparfait, un temps qui place le lecteur dans le confort douillet du temps long, de cette saison où tout semble ralenti et le plus que parfait, un temps qui marque l’installation déjà effective de l’hiver. Le texte – chose plus fréquente en littérature pour la jeunesse – joue aussi sur le dialogue, un dialogue qui permet d’évoquer le passé, les jours heureux où les amis étaient trois. Des propos qui se font nostalgiques, marquant l’absence, le regret de jeux et de rires. C’est peut-être ce qui donne une grande valeur à cet album, cette façon de célébrer l’amitié, faite à la fois du respect de l’autre, dans ses singularités – fussent-elles celle d’un loir qui hiberne -, du souci qu’on prend de lui, même s’il est empêché – et c’est la décoration de sa maison – mais aussi de tous ces petits gestes cachés. C’est Lino qui semble avoir demandé à la mésange de bien le réveiller le matin de Noël pour aller, en pleine nuit, offrir quelque chose à ses amis. Un cadeau plein de tendresse, un petit rien, deux noisettes, mais qui n’a pas de prix quand on sait ce qu’il y a d’attention aux autres derrière ce petit geste.

Un bel album émouvant pour rappeler le prix de l’amitié et la valeur des cadeaux, et inviter à penser, le jour de Noël, à tous ceux qui ne sont pas là.

Dissidentes – Livre 1

Dissidentes – Livre 1
Tosca Noury
Didier Jeunesse 2025

Road movie dans une France dystopique

Par Michel Driol

Dans un pays en état d’urgence démographique, toutes les files de plus de 15 ans sont soumises à un devoir de procréation. Dans ce pays, une milice, Kosmos, contrôle tout. La démocratie n’est plus qu’un vain mot. Edgar, qui a vécu toute sa vie sous la protection de son grand père, dans une vallée de Chartreuse, s’enfuit pour voir le monde. Mais il est vite capturé par la milice, qui le revend à Jo, dont on découvre vite qu’elle est une fille en fuite, qui tente de rejoindre l’Union Scandinave. A ces deux-là s’ajoutent Côme et Virgile, deux jeunes Réfractaires. Leur périple les conduit dans une ville de Lyon ravagée, puis à Paris, et enfin au Havre.

Voici le premier tome d’une saga bien originale, même si elle s’inspire de la Servante écarlate et de The Last of Us. D’un côté se pose la question de la place faite aux femmes dans une société post apocalyptique, dans laquelle un virus extrait par hasard des tréfonds de l’Arctique a entrainé l’Extinction, puis des soubresauts politiques qui ont conduit à une neuvième république. De l’autre, la fuite de deux adolescents qui n’ont plus qu’un but, survivre dans un monde hostile, où rodent Kosmos et les Rapteurs. L’originalité vient de la diffraction des points de vue, dans des chapitres qui font alterner celui de Jo et celui d‘Edgar. Deux personnages dont le récit révèle petit à petit l’identité, le passé, l’histoire au fil des souvenirs, mais aussi des découvertes qui conduiront Edgar à découvrir qui est réellement son grand-père. Autant Jo s’avère déterminée, combattive, consciente du monde et des dangers, autant Edgar est naïf et innocent .A cette double narration s’ajoutent des pages du journal d’Alma, la mère d’Edgar, qui permettent dans une plongée dans le passé de saisir les moments où tout bascule. S’y ajoutent aussi, en début de chapitre, des articles de journaux, des déclarations qui situent un contexte anxiogène. Car ce récit est aussi politique, et montre comment les libertés se restreignent sous l’effet conjugué de la crise sanitaire et des réponses que lui apportent les hommes politiques. Toute ressemblance avec des situations vécues ici ou là, en France ou ailleurs, n’est malheureusement pas qu’une pure coïncidence. Ce roman alerte sur la fragilité des équilibres actuels, sur les droits des femmes, menacés dans de nombreux pays, mais aussi sur les droits individuels. Il suffit de peu pour que tout s’effondre.

Comme dans toute dystopie, l’univers décrit est sombre, glauque, angoissant, rempli de violences en tous genres. Mais la force du roman, c’est aussi de s’inscrire dans des lieux bien réels, l’avant pays savoyard, la ville de Lyon, dans laquelle les stations d’un métro qui ne circule plus sont devenues des refuges, des lieux de trafics divers. Le roman s’inscrit dans une géographie bien réelle, ce qui renforce son réalisme. Dans ce monde de violence, où priment l’individu et sa survie, quelle place aux sentiments humains, à l’amour, à l’entraide ? C’est, bien sûr, ce que vont découvrir petit à petit Jo et Edgar, dans un récit qui devient alors plein de tact.

Dans l’attente du Tome 2, un premier volume de 500 pages, dense, effrayant et passionnant, plein de rebondissements savamment maitrisés, de révélations progressives, qui accompagnent la plongée du lecteur, de la lectrice dans un futur qu’ils chercheront, sans doute, à éviter… Comme les personnages, il  ou elle mesurera le prix et la valeur de la liberté, dans tous les domaines.

Mon chien, mamie et les graines de grenouilles

Mon chien, mamie et les graines de grenouilles
Myren Duval – Illustrations de Charles Dutertre
Rouergue dacodac 2024

Une journée sans rire est une journée perdue

Par Michel Driol

Tous les dimanches, Pauline rend visite à sa grand-mère avec sa copine Aïssatou. Pour elle, sa grand-mère fait des blagues quand elle cache un plat de lasagnes dans l’armoire du linge, ou quand elle joue avec les mots. Mais pour les parents, c’est une maladie qui a atteint sa grand-mère.

Ce n’est pas le premier album ou le premier roman premières lectures à aborder le thème de la relation entre un petit enfant et un grand parent atteint d’Alzheimer. Celui-ci le fait autour de deux personnages opposés et attachants, Pauline, la narratrice, intrépide, hyperactive, croquant la vie à pleines dents, pleine de fantaisie, et sa copine Aïssatou, plus réfléchie, plus scientifique, plus calme. Aux côtés de la grand-mère malade, un grand père, grognon à souhait. Le récit enchaine les situations improbables dans cette maison qui semble être une ferme, avec ses clapiers à lapins, à proximité d’une maison vide, hantée, croit-on ! L’exploration de cet univers, au milieu des repas de famille du dimanche, enchaine les péripéties à 100 à l’heure, dans la bonne humeur et l’entrain, avec toutefois cette question lancinante : qu’est-ce que se souvenir ? Peut-on (se) fabriquer de faux souvenirs ? Comment guérir mamie si elle a une maladie ? Tout cela est vu à hauteur d’enfant, d’une enfant sincèrement attachée à sa grand-mère dans l’univers de laquelle elle entre volontiers, d’une enfant qui enchaine les blagues et les jeux de mots. Les illustrations, abondantes, donnent vie à ces personnages aux yeux grands ouverts sur la vie.

Rire est le propre de l’homme, écrivait Rabelais. Ce n’est peut-être pas le meilleur remède contre Alzheimer, mais c’est en tous cas une façon de maintenir la connexion, le lien entre ceux qui s’aiment et refusent l’inéluctable.

Deux frères en camping

Deux frères en camping
Da Wu
Traduit (chinois) par Chun-Liang Yeh
HongFei, 2025

De la SF à portée des enfants

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, nous sommes entrés dans l’histoire : le lecteur adopte le point de vue des animaux rassemblés, la nuit, autour d’une tente éclairée de l’intérieur ; ils regardent les silhouettes des deux enfants qui conversent tranquillement. Ensuite, les pages de garde déplient le paysage, largement, sous un beau ciel étoilé. C’est une plaine sur laquelle se découpe une butte, régulière comme un tumulus. La tente éclairée est posée dessus, petit parallélépipède lumineux dans la nuit…
Lorsque l’histoire commence, les enfants sont en route : ils ont planté leur tente le matin ; ils cheminent dans la nuit en traversant une forêt, puis s’installent dans leur tente, à l’abri. Les dialogues montrent les inquiétudes du plus jeune (il y a des animaux dangereux, des Ovnis ?) l’ainé le rassure : il n’y a personne… croit-il.
Les images montrent le contraire. Un peu plus loin, on verra la butte et la tente s’envoler, loin dans l’espace, jusqu’aux lointaines galaxies (ce que l’on prenait pour une butte était donc une soucoupe volante). Au réveil, le plus jeune se souvient de tout mais pense que c’était un rêve. Pourtant, une fois hors de la tente, ils ne découvrent plus qu’une plaine. La butte a disparu : que s’est-il passé ?
C’est un bel album avec son format à l’italienne dont les doubles pages donnent une idée de l’immensité inquiétante de la nuit, puis de l’espace intersidéral. À d’autres moment, de petites images séquentielles mettent l’accent sur les échanges entre les enfants et l’inquiétude du plus jeune, introduisant de la variété et de l’humour.

Comme un film de Noël

Comme un film de Noël
Elle McNicoll
La Martinière 2025

It’s a wonderful life ! (Capra)

Par Michel Driol

Lake Pristine, petite bourgade située on ne sait où, petite communauté où tout le monde se connait, avec son cinéma, sa représentation de Casse-Noisette, ses boutiques et ses préparatifs de Noël, auxquels, cette année, se mêlent à ceux du mariage de Christine et de Kevin. C’est là que revient Jasper, après 18 mois d’absence passés dans une fac de psycho, bien décidée à partir pour toujours de Lake Pristine. C’est là aussi qu’Arthur tourne un film pour tenter de gagner un prix à un concours. Et pourtant, rien – ou presque – ne va se passer comme prévu !

Comme un film de Noël propose une romance sur fond enneigé, une histoire d’amour entre deux êtres qui se sont crus adversaires durant toute leur scolarité mais qui, de hasards en hasards vont découvrir les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, comme dans les bons vieux films américains que Jasper va voir tous les jours dans le cinéma d’Arthur. Le personnage de Jasper est l’un de ces trop rares personnages de roman neuro-atypiques, autistes, et l’autrice parvient à montrer le monde tel qu’elle le ressent, tel qu’elle le perçoit, avec beaucoup d’empathie (l’autrice est, elle-même, neuro atypique) et de réalisme. Elle sait saisir un personnage à la croisée de ses chemins, à 18 ans, au sortir de l’enfance, découvrant l’amour, et prenant une nouvelle orientation pour sa vie, devenant adulte.

Autour de ce personnage central de Jasper, une famille et une ville. Sa famille, c’est sa sœur, Christine, aussi dure et despotique, égoïste, qu’elle est altruiste, sa mère, caricature de professeur de danse autoritaire, son père, plus effacé. Une famille qui semble, au premier abord, dysfonctionnelle, avec laquelle Jasper souhaite clarifier ses relations, mais dont les relations apparaissent, au final, plus complexes et plus nuancées. Un village typique, traditionnel, où règnent les rituels et la bonne humeur, mais dont on va découvrir, avec l’héroïne, qu’il est bien moins lisse qu’il n’y parait au premier abord. Ce qui sert de révélateur, c’est le film tourné par Arthur, dont le montage, réalisé par son cousin, montre au grand jour la méchanceté de certains, la gentillesse d’autres, et donne à voir ce qui devrait rester dans l’ombre.

Pour autant, le roman est plein de cette joie de Noël, feel-good novel diraient certains, entrainant, avec sa galerie de personnages secondaires dont on suit, sur une quinzaine de jours, les trajectoires individuelles, les espoirs et les déceptions, jusqu’à un happy end final qui, on s’en doutait dès le début, saura réconcilier tout le monde. Magie du roman, magie de Noël, magie de l’amour… Et surtout façon de montrer le monde tel qu’une jeune neuro atypique peut le percevoir, elle que tout le monde adore, et qui va pouvoir enfin mettre bas le masque du mimétisme social pour être, enfin, elle-même, dans toute sa complexité.