Les Cinq Bonheurs de la chauve-souris

Les Cinq Bonheurs de la chauve-souris
Jean-François Chabas

L’école des loisirs (medium), 2010

Les jeunes filles et la rivière

Par Anne-Marie Mercier

Les Cinq Bonheurs de la chauve-souris.gifIl pourrait (aurait pu ?) s’agir du chef-d’œuvre de Jean-François Chabas.

Prix Rhône Alpes 2010 du livre pour la jeunesse, il avait signé avec Les Lionnes un livre parfait. Si celui-ci ne l’est peut-être pas, il demeure exceptionnel, tant la force des évocations, la limpidité de l’écriture, le mystère et la charge d’implicite font de ce livre un roman superbe.

Le drame qui a poussé deux sœurs de 14 et 17 ans à fuir et à se réfugier dans une cabane sur pilotis au bord de l’eau n’est pas dit d’emblée et il est longtemps tenu caché. Le mode de révélation du mystère est pour moi le seul défaut de ce livre, qui dévoile trop là où le lecteur adulte avait fort bien deviné et où le lecteur adolescent avait pu supposer – ou non, selon l’affutage de son regard sur le monde. Ce point aveugle et le passé qui l’entoure ressurgit par à-coups dans la narration, sans prévenir. Il se présente par éclairs, en fragments, comme un cadavre qui flotterait entre deux eaux. L’image qui vient, c’est celle du corps de la mère assassinée dans La Nuit du chasseur, film qui n’en finit pas d’inspirer la littérature pour adolescents (Jusqu’au bout de la peur de Moka ou, plus récemment, La Voix du couteau, premier volume du superbe et terrible Chaos en marche de Patrick Ness). Deux enfants sont poursuivis par un (ou des) adulte(s) et leur refuge est la rivière.

L’histoire importe pourtant peu, malgré sa charge de terreur et de réel social. Le livre baigne dans l’atmosphère de la rivière en hiver : la pêche, la sensation des lignes dans la main, le bruit du gel et des pas dans la neige, les odeurs d’humidité et de feu de bois. La vie quotidienne de ces robinsonnes n’a pas grand chose d’heureux malgré des dialogues fantaisistes et légers et des rapports de complicité et d’amour entre les sœurs. C’est de la vie difficile pour échapper au pire. La plus jeune semble souvent au bord de la folie, l’aînée est épuisée et plus menacée encore.

Au moment où tout semble se resserrer sur elles, le monde s’ouvre autant à un nouveau mystère qu’à l’espoir : un personnage étrange, un château dans un paysage de déjà-vu (allusion au Pays où l’on n’arrive jamais ?), et les cinq bonheurs, dont l’un au moins est à leur portée. Quant à la suite, rien n’est dit. Le texte s’achève sur une accumulation de mystères successifs, le seul dénouement est celui de la fin de l’angoisse et du début de la confiance et de la merveille.

Quant à la chauve-souris, ne la cherchez pas, elle s’est envolée.

 

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