A Propos de Rien

Rien
Janne Teller
Traduit du danois par Laurence Larsen
Les grandes personnes, 2012

Réponse de François à la chronique d’Anne-Marie du 2 juin 2013

Par François Quet

Pour prouver à leur camarade nihiliste que « quelque chose a du sens », les adolescents de ce livre choisissent donc de se priver de ce qu’ils ont de plus précieux. L’intérêt du récit se déplace ainsi peu à peu de l’inventaire de qui compte (de ce qui fait sens) vers une surenchère de sacrifices (puisqu’il s’agit de faire don de ce à qoi on est le plus attaché). Si bien qu’on se demande peu à peu, ce que prouvent, où cherchent à prouver les jeunes gens (sinon l’auteure elle-même).  Les rapports de force deviennent rapidement odieux, le jeu avec les tabous anthropologiques les plus fondamentaux —mais aussi les plus stéréotypés : le sexe, la mort — prend le pas sur la recherche des valeurs, de ce qui vaut vraiment la peine. Sur cette pente, on se demande d’ailleurs pourquoi l’auteure ne va pas encore plus loin, si grande semble être sa fascination pour les jeux de l’excès et du sacrilège : suggérons lui la castration (qui ici reste symbolique), le meurtre rituel et l’anthropophagie (dont on reste finalement assez éloigné), ou le viol en série (qui aurait le mérite de relier le récit à une triste réalité).

Cette première partie du livre est doublement détestable : d’abord parce qu’elle est construite sur une progression très mécanique, on va vers toujours plus d’horreur ; vieille recette qui loin de solliciter le lecteur réflexif, exacerbe la fascination : et après ? et après ? doit-il se demander avec un frémissement d’effroi (mais aussi de plaisir). Cette dramaturgie convenue transforme en spectacle morbide ce qui aurait du activer l’intelligence. Mais ce n’est pas tout. Le glissement, de la recherche de valeurs au récit complaisant de la destruction de ces valeurs, reste sans débat. Les chapitres se succèdent sans grand suspense, sans véritable interrogation sur le sens de ces sacrifices : oh ! je dois sacrifier mes ballerines, oh ! je dois faire don de mon petit doigt. Etc. Oh que c’est dur. Mais c’est la règle et je vais le faire.

L’auteur n’oriente jamais l’interprétation de son lecteur, ce qui pourrait être une qualité si les questions se posaient de façon perceptible. Mais la deuxième partie est encore plus confuse que la première. La montagne sacrificielle est reconnue pour une œuvre d’art et immédiatement évaluée fort cher (quelle représentation de l’art contemporain ! et de l’art en général associé à  l’argent !). « Si tout cela avait vraiment un sens, vous ne l’auriez pas vendu », s’écrie finalement un personnage, opérant un retournement bien peu crédible puisque les héros se sont contentés de se priver de ce qui, accessoirement, a gagné malgré eux une valeur marchande. Un dernier épisode,  criminel et rocambolesque, vient clore le récit  sur le plan dramatique (il fallait un point d’orgue, un dernier éclat) sans pour autant ouvrir à une réflexion véritable sur  le sens de la vie, quoique puisse prétendre la quatrième de couverture. Tout semble se valoir et se succéder dans un tourbillon d’évènements d’une totale gratuité.

Ajoutons, pour terminer, que les personnages de ce roman n’ont pas plus d’existence que celle qui les relie les uns aux autres dans leur entreprise autodestructive. L’absence d’épaisseur est un véritable problème, me semble-t-il, dans une histoire qui voudrait faire réféchir. Les personnages agissent mécaniquement,  ne se troublent qu’à l’évocation de l’unique objet de leur attachement à l’existence. Ces marionnettes peu attachantes ne me disent rien, ne me font penser à rien. Sinon justement à l’habile construction de ce petit livre au fond très roublard, juste assez malin pour aborder une question sensible, juste assez pimenté pour faire frissonner d’horreur.  L’absence de point de vue sur les faits racontés me paraît poser, dans ce cas, un  problème de littérature et de morale, tout à fait indépendant du public auquel il est destiné, les adolescents qui en ont vu d’autres.

Vous souhaitez débattre de ce livre? Laissez nous vos commentaires !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *