La Pyramide des besoins humains

La Pyramide des besoins humains
Caroline Salé

L’Ecole des loisirs, 2015

Éloge de la défaite

Par Matthieu Freyheit

La Pyramide des besoins humainsDans les années 1940, le psychologue Abraham Maslow élabore une théorie restée célèbre consacrée à la hiérarchisation des besoins humains. L’esprit de synthèse en a tiré (et interprété) un schéma devenu populaire : la pyramide des besoins humains. La pyramide comprend cinq niveaux bien distincts, chaque niveau inférieur étant nécessaire au possible accomplissement du niveau supérieur : besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins d’appartenance et d’amour, besoins d’estime, besoin d’accomplissement de soi.

Le roman de Caroline Salé reprend ce schéma et le traduit en phénomène contemporain à travers un jeu à grande échelle, téléréalité transposée aux réseaux sociaux. Christopher, 15 ans, a fui son père violent, sa mère inconsistante, et son frère qu’il n’est pas bien sûr de reconnaître. Et lui-même, bien entendu, qu’il n’est pas bien sûr de reconnaître non plus. Après tout, qui est-on à 15 ans, et comment dessiner des contours de son identité lorsqu’on est un adolescent vivant dans les rues de Londres ?

La publicité générée autour du nouveau jeu va donner à Christopher l’occasion d’interroger les conditions de son existence passée et présente : passer du lit au carton, troquer ses parents contre Jimmy, le sans-abri qui partage son coin de rue, céder la vie sous un toit et à une table contre la menue monnaie déposée dans une casquette. Après tout ça, a-t-on seulement sa place dans la pyramide de Maslow ? Le jeu se charge pour Christopher d’un véritable enjeu à la fois identitaire et social, enjeu qui sera partagé collectivement par une société curieuse de savoir ce qu’elle engage en termes de survie, et de compression des besoins. Mais, aussi, d’explosion (et d’exposition) des sentiments. Le tout compressé, justement, dans les 500 caractères que les candidats doivent poster pour atteindre le niveau suivant, sans compter les photos, vidéos et publications diverses au fil de la semaine sur leur profil. Les références à Twitter (les fameux 140 caractères) et aux autres réseaux sociaux, associées aux motifs de la misère économique et affective, ne sont pas, par ailleurs, sans évoquer certaines atmosphères de la culture cyberpunk, remise ici au goût du jour.

Mais la difficulté du roman, avant tout, était de ne tomber ni dans le convenu, dans l’attendu, ni dans la sensiblerie. Le pari est relevé, sans aucun doute. Le récit est puissant dans sa condensation, et ne cherche ni l’accusation facile, ni l’engagement émotionnel. Strictement matérialiste, il n’est pas sans faire penser, peut-être, à certains écrits de Jack London interrogeant la définition et les conditions de l’existence. Entre initiation et rituels de passage (un nombre réduit de candidats accède au niveau suivant), il s’agit au final d’un roman d’aventures résolument moderne, un Catcher in the Rye contemporain, qui mérite d’être lu, défendu et étudié. Pour figurer, peut-être, parmi les classiques la littérature de jeunesse de notre époque.

 

 

 

 

 

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