Martin l’aventurier en pyjama

Martin l’aventurier en pyjama
André Bouchard
Seuil jeunesse, 2023

Indiana Jones en HLM

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve avec plaisir l’humour tendre de l’auteur de Les Lions ne mangent pas de croquettes et de Quand papa était petit il y avait des dinosaures. Dans son Apalachélème, Martin voit tout au prisme de l’aventure : ses frères et sœur, grands ados font partie d’une tribu étrange, « les ramollis », alors que lui est tout le contraire. Son ours en peluche, il l’a rencontré sous la forme d’un grizzli, le salon est un parcours d’obstacles, la baignoire l’occasion d’une descente de rapides, le chat un dangereux fauve, une chaussette un énorme serpent, la théière un petit monstre qui vous guette…
Martin semble bien seul, tout en jouissant de toute cette liberté, mais heureusement, on voit, avec l’arrivée de Maude, « la fameuse exploratrice »  qui le rejoint au square, puis celle de sa mère, qui le prend en embuscade de câlins, que son monde est bien peuplé. Les aquarelles sont charmantes et montrent un petit garçon qui transforme un univers confortable et banal en immense terrain de jeu, en mettant au passage un beau bazar : les parents vont-il adorer (comment inciter mon enfant à jouer tout seul?) ou détester (Ah, ces livres qui incitent à sauter sur les fauteuil et piller les placards…) ? Pour les enfants, on ne se pose guère la question.

 

Nos amies les bêtes

Nos amies les bêtes
Marie Colot et Françoise Rogier

Éditions À pas de loups, 2023

Une révolte qui fait mouche

Par Loick Blanc

Flash spécial, les animaux à fourrure et à plumes se révoltent, lassés d’être réduits à de simples produits de consommation !

Cet ouvrage, empreint des échos de La Ferme des animaux d’Orwell, expose avec perspicacité les réflexions sociétales contemporaines sur le bien-être animal. Les auteures cherchent à éveiller chez le jeune lecteur une conscience éthique concernant le traitement des animaux et notre relation avec la nature. Les bêtes aspirent à une évolution des mentalités.
Les loups, traditionnels prédateurs de la littérature jeunesse, tirent parti de l’agitation engendrée par la révolte pour s’attaquer aussi bien aux humains qu’aux animaux. Cependant, une résistance inattendue émerge de ceux-là mêmes qui étaient auparavant en conflit, trouvant dans leur diversité un terrain d’entente propice à la création d’une harmonie entre les bêtes et les hommes. Les prédateurs, quant à eux, se retirent dans la forêt, pansant leurs blessures et semblant adopter un régime végétalien, symbolisé par un changement chromatique du rouge sang au vert, incarnant la transition vers le végétal, souhaité par les animaux.
Toutefois, plutôt que d’opposer de manière radicale deux modes de vie, l’album se conclut sur une note humoristique avec une nouvelle révolte : les légumes manifestent contre ceux qui les consomment ! Ce dénouement, teinté d’ironie, nous place dans une boucle et ramène la question animale au centre de la réflexion. Doit-on radicalement transformer notre mode de vie ou bien réexaminer notre consommation d’un œil éthique envers les animaux et la nature, préservant ainsi l’harmonie entre les êtres humains et la nature telle que présentée dans l’album ?
Les pages intérieures des première et quatrième de couverture, illustrant des souris préparant leur propre manifestation contre le chat domestique, offrent un clin d’œil visuel à ce message anti-radicalisme. L’esthétique rétro des illustrations, soulignée par des sols à damier évoquant la traditionnelle nappe Vichy, se voit modernisée par sa couleur à la fin de l’ouvrage, incitant à la réflexion sur une nécessaire évolution de la société.
Nos amies les bêtes est donc un album qui ravira petits et grands, tout en invitant le lecteur à se questionner sur la société dans laquelle il veut grandir.

La belle Course

La belle Course
Henri Meunier
Rouergue 2023

Une vie

Par Michel Driol

Un chien court après un homme qui court après un oiseau… Un enfant court après une balle… des cœurs ardents courent après l’amour… Le travailleur court après le pain. L’ancêtre court derrière ses plaisirs d’antan. L’homme et le chien, couchés sur l’herbe, regardent l’oiseau s’envoler.

Il fait irrésistiblement penser à Prévert, ce texte d’Henri Meunier, par son ton, par sa poésie liée à la répétition des mots et des structures, par son côté inventaire de personnages et de situations, mais aussi par sa façon de parler des travailleurs qui courent après le travail parce qu’ils ont faim, et par sa façon d’embrasser, en quelques pages, toute une vie, de l’enfance à la mort, avec une grande simplicité. Comment parler, avec poésie, avec humanité, des vies simples des gens de tous les jours ? Tout est là, dès la couverture, 3 âges de la vie représentés en train d’aller de la gauche à la droite, une enfant, un adulte et un vieillard, chacun à son rythme.

Avec une solide construction textuelle et graphique, l’album nous plonge d’abord dans un parc où des enfants jouent. Puis on se retrouve dans un univers plus japonisant, celui de l’amour, sous les cerisiers en fleurs. Après la traversée d’un labyrinthe végétal, c’est la ville et le travail, un univers d’adultes, que l’on retrouve à l’intérieur d’une usine à fabriquer des origamis. En sortant de l’usine, une cour où des vieillards jouent aux boules avant de retrouver un cimetière et de regarder s’envoler l’oiseau. Ce qui assure la continuité graphique d’une double page à l’autre, c’est la course du chien, de l’homme, de l’oiseau que l’on retrouve sur toutes les pages. Et l’enfant ? Avec son maillot à rayures blanches et bleues, on le suit aussi, de page en page. Mais il grandit. Jeune adulte, il embrasse une fille. Puis il vend des journaux, entre à l’usine, où il travaille. Il est moins aisé à identifier sur la page suivante, peut-être ce personnage de dos, à cheveux blancs. On l’imagine dans la tombe… La richesse de cet album vient sans doute de cette double temporalité dont les illustrations rendent compte : la course d’un homme et d’un chien, la vie entière d’un autre homme.

SI l’album s’apparente aux structures en randonnée (au sens propre et figuré), les phrases portent aussi ce mouvement de fuite en avant, avec une progression thématique assez souvent  linéaire. Entendons par là que les derniers mots d’une phrase deviennent les premiers de la phrase suivante, créant ce mouvement perpétuel d’attente de la suite, du but de la course, de sa finalité. Tout ici a son importance : les prépositions : d’abord on court après, puis, à la fin, on court derrière…, les verbes de mouvement (relancer, égarer qui accompagnent l’omniprésent courir).

Au cœur du texte, comme une pause à dimension politique et sociale. Pause des ouvriers qui courent après le pain, le travail, attendent à l’entrée de l’usine, sont installés à un poste de travail, devant des chaines où se fabriquent de dérisoires cocottes en papier. Dimension sociale aussi dans ces propos rapportés de ceux qui ont le ventre plein : « le pain, il faut le gagner miette à miette ».

Quelle trace reste-t-il de cette vie à la fin, au moment de ce départ symbolique vers les nuages, le ciel ? Une belle course, faite d’un peu de jeu, d’un peu d’amour, d’un peu de travail, d’un ventre à remplir. C’est émouvant, mais c’est aussi une leçon de sagesse. L’invitation peut-être aussi  à prendre son temps, à profiter de l’instant, à ne pas vouloir être plus grand quand on est enfant.

On le voit, c’est un riche album, polysémique, poétique, plein de créativité textuelle et graphique. On en citera, pour finir, les dernières lignes, comme un ultime message déposé sur un ciel bleu :

De l’oiseau, oh,  de l’oiseau
de l’oiseau sage qui ne court après rien,
le ciel ne garde pas une seule trace.

Ida la bleue

Ida la bleue
Benoît Fourchard
Seuil, 2023

Solidarités fragiles

Par Anne-Marie Mercier

Ida a les cheveux bleus, elle est orpheline et voyage seule en direction du lieu où a été enfermé son seul ami et son seul espoir. On apprendra petit à petit d’où lui est venue cette coloration, l’histoire tragique qu’elle raconte de la Grande Catastrophe qui a en partie détruit le monde et ses habitants, humains ou animaux, mais on apprend d’emblée que ses cheveux bleus la désignent comme une proie à tous les abrutis de son temps, et ils sont nombreux.
Heureusement, sur son chemin elle croise plus improbable qu’elle ou presque : une vieille femme nommée Félicité, qui n’a pas froid aux yeux et n’aime pas les abrutis et les puissants qu’ils servent. Elle a beaucoup d’amis, heureusement, fragiles comme elle et comme Ida, mais déterminés. Elle a aussi un corbeau apprivoisé. Ida a un chat qui parle (elle est ventriloque)…
Ce joli « road movie », si l’on peut appeler ainsi un parcours en roulotte, puis en pas grand-chose, leur fait traverser des paysages et des villages bouleversés par le chaos du monde. Elles rencontrent les habitants de la ferme des « Mille et une vies », dirigée par une descendante de l’acteur Erich von Stroheim, un curieux cavalier, un garçon qui se déplace en fauteuil roulant quand il n’est pas sur sa monture, un village utopique où l’on cultive à nouveau des plantes disparues et où l’on se déplace en cyclo éole, un monde possibles heureux qui reste à construire.

Le Tyran des mots

Le Tyran des mots
Rémi David – Valérie Michel
Møtus Collection Bulles bottes boutons 2023

Les mots interdits

Par Michel Driol

Pour se maintenir au pouvoir, un tyran décide d’interdire les mots révolte et révolution. Les propos de tous sont écoutés, et les contrevenants arrêtés et réprimés. Bientôt, ce sont d’autres mots qui sont interdits, puis les lettres « inutiles » supprimées : ainsi s’amuser devient suer et les peintres des pitres… Si, privés de mots, beaucoup sont réduits au silence, la résistance s’organise. Minutes de silence, marches silencieuses, communication en langue des signes, sauvetage de centaines de mots : ces actions conduisent le mouvement à se fortifier jusqu’à une manifestation monstre et silencieuse qui fait comprendre au tyran que son règne est terminé. Il est jugé, emprisonné, tandis que le peuple, libéré, célèbre toutes les années la langue et les mots nouveaux, importés d’autres langues ou inventés.

Voilà un album qui célèbre avec force la démocratie et son corollaire indispensable,  la liberté d’expression. Il sonne comme une mise en garde non seulement face aux interdictions possibles venant du pouvoir, mais aussi face à l’appauvrissement du lexique, qui interdit de fait toute nuance, toute pensée. L’album commence par poser la figure du tyran : élégant, entouré de ciseaux, il affirme aimer les gens quand il n’aime que le pouvoir et l’argent. L’illustration force le lecteur à s’interroger : si le texte évoque un pays dont il vaut mieux taire le nom, l’illustration montre une ville qui ressemble beaucoup à Paris. Nous voilà mis en garde… Contrôler la parole, interdire les mots, voilà un rêve de tout tyran. Parler d’opération spéciale et non de guerre, traiter les résistants de terroristes, les exemples dans le monde sont nombreux. Ce tyran va plus loin, pour les besoins de la démonstration du livre qui passe par l’exagération. Si la chose n’existe que parce qu’il y a un mot, l’interdiction du mot fera disparaitre la chose. Le despote est celui qui vise à restreindre la liberté d’expression, fondement de nos démocraties, s’assurant ainsi l’abêtissement de son peuple, ce que montre avec force l’illustration : femme avachie dans son canapé regardant des chats danser sur son poste de télévision, partie de scrabble réduite aux déterminants de deux lettres… Avec subtilité, l’album rend hommage à une forme particulière de résistance, le silence réprobateur qui ne tombe pas sous le coup de la loi, mais permet une expression forte.

L’opposition entre le peuple et le tyran est montrée de différentes manières. D’une part en montrant le peuple qui se réfugie sous des parapluies, tandis que le tyran se prélasse dans sa piscine. En représentant par ailleurs la diversité du peuple (genre, couleur de peau, vêtements) face au symbole des ciseaux présent dans la décoration du palais, sur l’uniforme des sbires… Enfin en posant que la langue appartient au peuple, qui veut l’enrichir, la célébrer, face à un tyran qui cherche à la maitriser en la privant de ses concepts essentiels et dangereux pour lui.

L’humour grinçant du texte, qui passe par de nombreux jeux de mots, comme ces mots cachés sous d’autres si on supprime des lettres, les illustrations en ligne claire, aux cadrages expressifs, déroulent une démonstration implacable, une fable rigoureuse (quasi brechtienne…) pour souligner la fragilité de la démocratie et le pouvoir de la parole, pour peu qu’on dispose d’une langue qu’aucune censure ne vient appauvrir. Et le tout est, dans le texte, les situations, parfaitement explicite et compréhensible par les enfants. Une mise en garde salutaire par les temps qui courent.

24 jours avant Noël

24 jours avant Noël
Magdalena, Emmanuel Ristord
Flammarion, Castor poche (coll. « Je suis en CP »)

Que faire avant Noël ?

Par Anne-Marie Mercier

Un album-calendrier de l’avent ? Quelle bonne idée ! Sauf que :

Le principe d’un calendrier de l’avent est qu’on ne peut découvrir chaque jour que successivement  : c’est difficile d’obtenir cela avec un album, surtout lorsque deux jours figurent sur une même double page. Bon, on peut supposer que l’enfant ne sachant pas encore bien lire, il aura besoin chaque jour de l’intervention d’un adulte pour lever l’énigme du texte. Mais le texte étant redondant avec l’image, tout cela n’est guère inspirant.
Autre difficulté : selon le principe de « je suis en CP », le contexte est souvent celui de la classe. Noël étant vécu très différemment selon les cultures des familles, l’événement est rabattu sur le plus petit – c’est à dire commercial – dénominateur commun : cadeaux, gâteaux, marchés, sapins décorés… on a même la mention de Saint-Nicolas et du Père Fouettard, en plus de l’inévitable Père Noël.
La mention « une histoire à lire chaque soir » figurant sur la couverture est trompeuse : en fait d’histoires, ce sont plutôt des descriptions d’actions (on décore la classe, des enfants écrivent une lettre au père Noël, on fait des gâteaux…). Cela relève plus de textes d’un manuel de lecture que d’histoires à proprement parler.
Alors, peut-être vaut-il mieux aller chercher le Pomme d’Api de décembre (celui de l’an dernier avait une formidable collection de mini histoires, une pour chaque jour de l’avent, et bien laïques en plus, ce sera peut-être encore le cas cette année) ou confectionner soi-même un vrai calendrier de l’avent avec une liste d’histoires à lire ? Il y a tant de jolies histoires de Noël…

Eddie & Noé : Les Agitateurs

Eddie & Noé : Les Agitateurs
Max de Radiguès et Hugo Piette

Sarbacane, 2023

Une Lecture empreinte d’optimisme citoyen

Par Loick Blanc

Eddie & Noé : Les Agitateurs, est le deuxième opus de la collaboration entre Max de Radiguès et l’illustrateur Hugo Piette. Nous suivons les péripéties d’une jeunesse engagée dans une lutte contre les injustices qui émaillent notre société.
Derrière des traits d’apparence relativement sobre, l’illustrateur parvient à concentrer toute la complexité des personnages à travers une palette d’expressions faciales qui habille l’intrigue. Le nœud narratif quant à lui, tisse une trame autour des enjeux sociétaux qui marquent la jeunesse contemporaine : changements climatiques, racisme, questionnements sur l’identité de genre, le vivre ensemble, …
Confrontés au racisme de leur enseignante d’histoire, dont les traits du visage ne laissent guère de place au doute sur la nature profonde du personnage, cinq jeunes collégiens décident, une fois le sentiment d’injustice exprimé et assimilé, de s’engager pour améliorer le quotidien de leur établissement. Ils choisiront de répondre aux agissements de cette dernière de manière positive, à travers l’organisation d’une journée citoyenne. L’auteur met alors en avant la confiance qu’il place dans les agissements de la jeunesse pour réinventer le monde de demain.
Cette série de bandes dessinées se profile ainsi comme une réflexion constructive sur l’engagement de la jeunesse d’aujourd’hui. Le sous-titre, Les agitateurs, prend alors tout son sens, non comme une bande d’élèves indisciplinés semant le chaos, mais plutôt comme des individus qui secouent les certitudes, éveillent les consciences de leurs pairs et des lecteurs, avec pour objectif d’apporter des améliorations tangibles au monde de demain.
En somme, c’est une lecture qui, à travers les aventures des jeunes collégiens engagés, encourage une réflexion sur les enjeux sociétaux contemporains tout en transmettant un message d’espoir quant au pouvoir transformateur de la jeunesse.

C’est parti petite souris

C’est parti petite souris
Emmanuelle Halgand
Møtus, 2023

On joue !

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce petit album carré cartonné, on joue au jeu du chat et de la souris : le chat, présent dans la première double page (« Attrape moi, chat ! »), revient dans la dernière. Entretemps, la souris aura couru d’une page à une autre, sautant d’un animal à l’autre : vache, cerf, serpent, grenouille, cygne… avec une grande variété de types de rencontres : étonnement, avidité, complicité…
La souris suit un cordon blanc qui va de l’un à l’autre, sur des fonds colorés.
C’est léger. Il restera à l’enfant de jouer lui-même pour y mettre du poids.

Mon corps, le squelette et moi

Mon corps, le squelette et moi
Sandrine Bonini, Elise Follin
Sarbacane, 2023

Une plongée dans le corps humain entre fiction et documentaire

Par Edith Pompidou-Séjourné

Cet album nous invite à accompagner Maya dans une incroyable plongée à l’intérieur de son corps. Et, si le titre nous laisse croire qu’elle, son corps et le squelette sont trois entités différentes, nous nous rendrons vite compte qu’ils s’entremêlent et ne forment qu’un. Une fracture du poignet causée par une chute en skate et le passage d’une radio servent d’éléments déclencheurs au questionnement de la petite fille sur le fonctionnement des différents éléments de son corps. La nuit suivante, elle rêve d’un étrange petit squelette, qui n’est autre que son mini-moi, et qui, en lui permettant de devenir microscopique, l’invite à pénétrer à l’intérieur d’elle par sa narine gauche. Les illustrations détaillées et colorées sont assez réalistes et envahissent alors la double page : le lecteur est ainsi pris dans cet univers foisonnant et il a l’impression de participer au voyage. Après un passage à travers un tunnel aux teintes rosées où s’enchevêtrent différentes alvéoles qui symbolisent sans doute les voies respiratoires et débouchent aux poumons, et un arrêt déterminant dans le cœur laissant deviner les échanges gazeux et sanguins qui s’y déroulent, Maya et le squelette se retrouvent dans, ce qu’un lecteur averti identifiera comme du liquide stomacal : sorte d’étrange piscine jaunâtre où tous deux se baignent avec les aliments de son dîner. Elle est ensuite entraînée à travers les intestins, perd le mini-squelette mais découvre une flore luxuriante qui l’effraie un peu. Heureusement, celle qu’on devine être la vésicule biliaire et qui malgré ses tentacules, paraît douce et rassurante, lui montre le chemin. Mais pour retrouver son squelette, elle doit descendre dans un précipice, les couleurs chaudes des illustrations disparaissent et tout devient sombre… On se croirait la nuit et de nombreuses petites bêtes que l’on pourrait assimiler au microbiote intestinal en profitent pour faire la fête, alors Maya n’a pas peur et continue de descendre. Pourtant, il fait de plus en plus sombre et on comprend qu’on se rapproche du bas du tube digestif : le squelette est tombé avec toutes sortes de créatures prêtes à être rejetées avec les excréments et il s’est fracturé le poignet gauche, comme Maya. Tout ce petit monde aide Maya à sauver le squelette. Il faut le remonter jusqu’à la gorge pour le mettre en sécurité en évitant qu’il soit évacué comme un vulgaire déchet : elle utilise un noyau et quelques chewing-gums, qu’elle a avalés quelque temps auparavant et qui lui servent de civière et de cordes. Maya peut alors s’en aller en laissant son squelette se rétablir sans danger… Son rêve est terminé, c’est le matin, elle est à nouveau dans sa chambre, sa maman ne comprend pas vraiment l’expédition racontée par sa fille mais elle est satisfaite que celle-ci semble mieux accepter sa convalescence que la veille.
Ce parcours ludique de la petite fille donne une première cartographie intéressante du corps humain. Il rappellera sans doute aux adultes les dessins animés de Il était une fois… la vie, diffusés par France Télévision depuis la fin des années 80. Les images sont très suggestives mais sans connaissance préalable, il paraît difficile de se repérer et le voyage de Maya pourrait alors ressembler à de la science-fiction. Il est ainsi, peut-être regrettable, de ne pas trouver dans l’album une partie plus documentaire avec des explications scientifiques qui l’illustreraient et permettraient une meilleure compréhension de l’architecture et du fonctionnement des organes représentés et rarement définis.

Moche le pou

Moche le pou
Claire Fillon – Illustrations de Kiko
L’élan vert 2023

A l’école des insectes

Par Michel Driol

De Moche le pou, on ne connaitra jamais que le surnom que lui donnent ses camarades d’école pour se moquer de lui et l’exclure de leurs jeux, en dépit des remontrances de la maitresse. Lorsqu’arrive une nouvelle élève, Petite Puce, tout le monde l’entoure, pour devenir son amie. Mais elle choisit Moche le pou, en raison de ses qualités morales de protecteur des plus faibles. Et c’est le grand amour !

Voilà un album bien salutaire en cette période où la lutte contre le harcèlement scolaire est une priorité. Un album qui met en scène des insectes, dans une chevelure. Rien de bien ragoutant, a priori ! Des libellules, des fourmis, des scarabées, c’est toute une ménagerie pittoresque que propose l’autrice et que dessine Kiko, dans des couleurs vives. Des insectes quelque peu anthropomorphisés, portant lunettes, cartable au dos, et marchant sur deux pattes ! Ces illustrations, pleines de vie et de mouvement, contribuent à faire le pas de côté qui permet d’aborder la question du harcèlement et de l’exclusion.  Les deux autrices nous en montrent les effets (ou les symptômes) : manque d’envie d’aller en classe, dévalorisation de soi, tristesse, tentatives de réactions inutiles, solitude, désintérêt pour l’école…  Elles soulignent aussi les limites de l’intervention de la maitresse, qui peut faire cesser les moqueries, mais ne parvient pas à intégrer dans le groupe Moche le pou. Est-il vraiment plus moche que les autres ? A leurs yeux oui, mais, à nos yeux de lecteurs humains, sans doute pas. Certes, il porte de grosses lunettes, mais il a la même bouille ronde et les mêmes antennes sur la tête que les autres Et il n’est pas le seul à être noir et jaune… Cet effet de distanciation, d’étrangéisation, lié à l’univers des insectes, permet au lecteur humain de mieux prendre conscience de ce qu’il y a d’artificiel et d’irrationnel chez les harceleurs. Ajoutons à cette mise à distance celle provoquée par l’humour du texte, en particulier dans les jeux de mots (certains ne seront compris que des adultes !) ou les rimes intérieures, les assonances ou allitérations. Humour également de la « chute » de l’album, qui voit en un extraordinaire happy end la puce et le pou s’envoler au septième ciel dans des verts, des jaunes, des roses très pop, au milieu d’une végétation luxuriante.

Une fable contemporaine, pleine de tendresse, pas moralisatrice, pour faire prendre conscience des effets du harcèlement, et mettre l’accent sur le fait que les qualités du cœur ont bien plus d’importance que la beauté ou l’intelligence.