Lili et l’ours
Raymond Briggs
Grasset, (1994) 2015
Une digne cousine d’Anna
par Dominique Perrin
Comment représenter l’imaginaire en tant que force de transformation du réel ? C’est au prisme de cette question que miroite ici l’impertinent talent de l’auteur de Sacré Père Noël. Lili passe très sagement la journée seule avec ses pensées tandis que son père travaille à ses côtés et sa mère au dehors. Du coup, lorsqu’elle annonce qu’un gigantesque ours polaire s’est introduit dans sa chambre et par là dans sa vie, personne ne lui conteste le droit de cultiver cette encombrante compagnie, sur le fameux mode qualifié de « playing » par Winnicott.
Seulement voilà, à l’image, et en l’absence du regard des adultes, cet ours est bien réel ! On ne saurait être plus attachant ni plus rassurant, mais il est de trop grand format, et décidément trop « animal » pour se tenir comme il faut : Lili est obligée de s’en faire l’éducatrice, ce qui n’est pas de tout repos, ni même assumable. La puissance graphique de ce récit (l’ours s’ébroue vraiment ici, excède vraiment le cadre ailleurs), conjuguée à l’efficacité du dispositif de double narration (dans l’édition originale, comme dans Anna et le gorille d’Anthony Browne (1983), le titre anglais se réduit au nom de l’animal, indiquant la primauté de l’imaginaire sur la réalité sociale), le classe dans les très grands albums. Il mérite son très grand format, sa qualité d’impression, et le prix qui s’ensuit.