Aladin ou la lampe merveilleuse

Kochka, Madeleine Brunelet
Aladin ou la lampe merveilleuse
Flammarion Père Castor, 2015

Aladin au pas de course

par Dominique Perrin

aladCet Aladin condensé en une douzaine de doubles pages perd hélas l’essentiel de son charme. Les textes sources de la tradition présentent un luxe de détails, que tout conteur ou éditeur est en droit d’élaguer ; mais la présente réduction constitue, davantage qu’un récit cohérent et organique, un sommaire de ses différents épisodes. La compréhension même en est compromise*. Quant à l’image, hormis dans quelques pages figurant le génie de la lampe, elle est standardisée dans l’esprit Disney qui s’impose aux livres comme aux boîtes de céréales des enfants – très loin des contes orientaux raffinés qui marquèrent les heureux lecteurs du Calife Cigogne et du Tapis volant.

La politique d’ouverture culturelle du Père Castor d’aujourd’hui se situe a priori dans la lignée du projet de Paul Faucher, esprit éclairé et novateur, hautement conscient des enjeux de sa production. La richesse du catalogue actuel de la maison en matière de contes du monde entier n’a d’égale que sa diversité. Une telle ambition ne peut cependant se soutenir que d’un certain niveau de moyens matériels et intellectuels, non compatible avec le système de rendement imposant non seulement l’édition au kilomètre de produits culturels réputés, mais le formatage des talents.

* (voir la mention « il vida le flacon dans les flammes ! » en troisième page de texte, où les référents de « il » et de « le flacon » sont tout à fait ambigus.)

Lili et l’ours

Lili et l’ours
Raymond Briggs
Grasset, (1994) 2015

Une digne cousine d’Anna

par Dominique Perrin

liliComment représenter l’imaginaire en tant que force de transformation du réel ? C’est au prisme de cette question que miroite ici l’impertinent talent de l’auteur de Sacré Père Noël. Lili passe très sagement la journée seule avec ses pensées tandis que son père travaille à ses côtés et sa mère au dehors. Du coup, lorsqu’elle annonce qu’un gigantesque ours polaire s’est introduit dans sa chambre et par là dans sa vie, personne ne lui conteste le droit de cultiver cette encombrante compagnie, sur le fameux mode qualifié de « playing » par Winnicott.

Seulement voilà, à l’image, et en l’absence du regard des adultes, cet ours est bien réel ! On ne saurait être plus attachant ni plus rassurant, mais il est de trop grand format, et décidément trop « animal » pour se tenir comme il faut : Lili est obligée de s’en faire l’éducatrice, ce qui n’est pas de tout repos, ni même assumable. La puissance graphique de ce récit (l’ours s’ébroue vraiment ici, excède vraiment le cadre ailleurs), conjuguée à l’efficacité du dispositif de double narration (dans l’édition originale, comme dans Anna et le gorille d’Anthony Browne (1983), le titre anglais se réduit au nom de l’animal, indiquant la primauté de l’imaginaire sur la réalité sociale), le classe dans les très grands albums. Il mérite son très grand format, sa qualité d’impression, et le prix qui s’ensuit.

Père Castor, Les Contes de toujours, vol. 2


Père Castor, Les Contes de toujours, vol. 2
Collectif
Flammarion Père Castor, 2015

Vive le Père Castor…

par Dominique Perrin

contes 2De Roule galette de Natha Caputo et Pierre Belvès en 1950 au Cheval bleu de Nathan Hale en 1963, du Petit chat perdu chaleureusement illustré par Albertine Deletaille en 1971, à l’Histoire de la lettre que le Chat et le Chien écrivirent à leurs amies de Josef Capek et Micheline Chevallier en 1970, on retrouve dans ce second volume des Contes du Père Castor le grand et beau souffle éditorial de François Faucher, son inspiration résolument internationale, sous les auspices de talents et d’esprits pionniers souvent venus de l’est de l’Europe.

La nécessaire réduction de format imposée aux albums originaux modifie parfois la magie de la célèbre « tourne de page » de plus d’un de ces albums. Mais la qualité matérielle de cette anthologie lui confère une réelle capacité de durer comme un trésor de la culture européenne ; et ce second volume de chefs-d’œuvres destinés à l’enfance associe au plaisir immédiat de la lecture celui de l’intertextualité : Nathan Hale était l’auteur enfant de La Vache orange, Josef Capek et Micheline Chevallier avaient d’abord donné le merveilleux Un gâteau 100 fois bon ; Etienne Morel revient deux fois dans le volume même avec Un petit chacal très malin et La plus mignonne des petites souris.

Tous les genres et les talents de la maison n’étant certes pas représentés ici, on ne peut que renvoyer ici à la médiathèque éponyme (à Meuzac dans le Limousin) et au site des Amis du Père castor, ainsi qu’à la production toujours précieuse publiée sous son égide en matière de contes du monde entier.

Mon livre des doudous. Où sont-ils cachés ?

Mon livre des doudous. Où sont-ils cachés ?
Sébastien Pelon (ill.)

Père Castor, 2013

Schmilblick pour les tout-petits

Par Dominique Perrin

mon livre« Je suis un doudou lapin aux dents blanches, et j’ai une étiquette verte à carreaux. Où suis-je ? ». Cet album agrémenté d’étiquettes de tissu en guise de marques-pages ne poursuit assurément pas de but poétique ; emboîtant le pas à de désormais classiques comme Il est où mon p’tit loup ? de Stéphanie Blake, il attire le jeune lecteur par son thème et ses onglets agréables à toucher en vue de lui soumettre des devinettes logiques. Pour cela, il requiert l’analyse correcte de groupes nominaux descriptifs et la discrimination visuelle correcte d’une pluralité de doudous de même type (de double page en double page, des ours, puis des lapins, puis des éléphants…).

Il est bien possible que ledit jeune lecteur s’y amuse et y apprenne la langue… mais pourquoi bannir aussi rigoureusement toute gaieté inventive d’énoncés impitoyablement calqués sur le modèle cité ci-dessus ?

Les chatouilles ; Un jour de lessive

Les chatouilles
Un jour de lessive
Christian Bruel, Anne Bozellec
Thierry Magnier, 2013

Pionniers classiques

Par Dominique Perrin

chatojour deAvec Les chatouilles et Un jour de lessive (ci-contre sous sa précédente couverture aux éditions Etre), les amateurs de littérature de jeunesse – et de littérature visuelle – se voient réouvrir l’accès à deux albums promis à une forme d’éternelle jeunesse. Sous la forme quasi cinématographique de deux longs plans séquences, l’un est dédié à une matutinale partie de chatouilles entre deux enfants, l’autre au chatoyant « film-dont vous êtes le héros » projeté par l’imagination d’un enfant sur des draps étendus au grand air. Tous deux proclament l’alliance, pour et dans la plus grande luxuriance sensorielle, de la sobriété graphique et d’un point de vue essentiellement empathique avec l’enfance. Pionniers à bien des égards en 1986, ces deux fleurons de la collection Plaisirs (avec d’autres albums en noir et blanc comme Ce que mangent les maitresses) donnent toujours corps en ce début du 21e siècle à l’art militant d’aller à l’essentiel – ou la capacité, en l’occurrence, d’être « absolument présent ».

Clotaire se déguise

Clotaire se déguise
Janik Coat

Autrement, 2013

Galerie de Clotaire(s)

Par Dominique Perrin

clotaire« Clotaire est de retour », annonçait l’éditeur*. Dans cette édition augmentée, le drôle de petit personnage impassible et boute-en-train apparaît toujours sous son unique profil trois-quarts, sous une cinquantaine de « déguisements » constituant autant de tableaux, sobrement légendés en page de gauche : Clotaire Babar, Nosferatu, Harry Potter, Candy, Spider man, Indien, Père Noël, La Callas, Toutankhamon, Yéti, Lady Chatterley… (au hasard dans le début du sommaire). La ligne claire de Janik Coat affiche sa sobriété caractéristique, et tout se joue dans le choix de quelques attributs personnels et d’un décor évocateur. L’ouvrage qui en résulte, agrémenté de pages jeux plus clairement destinées à l’enfance, fonctionne comme un jeu de références à l’usage de groupes intergénérationnels, familiaux ou amicaux.

 

* Sur l’histoire de cet éditeur jusqu’à sa récente fermeture sans sommation, voir par exemple l’article en ligne sur le site ActuaLitté.

Le livre des vrai faux de l’Histoire

Le livre des vrai faux de l’Histoire
Gérard Dhôtel, Benoît Perroud
La Martinière, 2014

L’Histoire en 50 « vrai faux » (?)

Par Dominique Perrin

vraiLe livre des vrai faux de l’Histoire s’inscrit dans une longue lignée de livres-jeux didactiques, avec pour atout particulier de questionner non seulement des connaissances, mais aussi leur genèse et leur degré de validité. La cinquantaine de « questions-pièges » retenues dessine au fil du livre une chronologie allant de la Préhistoire à nos jours (mais à plusieurs reprises cet ordre est en fait, étonnamment, celui des croyances dénoncées par l’ouvrage), au sein d’une aire géographique qui se resserre assez rapidement à l’Empire romain et la Gaule, puis à la France – avec une édifiante page conclusive touchant aux raisons de l’unicité du mandat de Nicolas Sarkozy (premier président en exercice à concevoir un enfant), et une ouverture internationale un peu plus concluante touchant à l’information publique délivrée sur les attentats du 11 septembre. On restera sur sa faim si on espérait trouver dans cet ouvrage une initiation sérieuse aux questions historiques.

Chine, scènes de la vie quotidienne

Chine, scènes de la vie quotidienne 
Nicolas Jolivot
Hong Fei, 2014

Par Dominique Perrin

Exquis voyageur

chinNicolas Jolivot est souvent et longtemps retourné découvrir la Chine. De l’intimité paradoxale issue de ce commerce intermittent, il partage la subtilité et la profondeur, dans un richissime carnet de voyage, organisé comme un portrait du pays-continent. Quatre sections singulières et nécessaires (« voyager », « manger », « dans la rue », « pour la vie ») déclinent des sujets variés, qui se révèlent empreints d’autant de poésie éthérée que de prosaïsme charnu. Comme les textes, les dessins à l’encre attestent paisiblement que la séduction imprévisible et inassignable d’un tel pays – presque aussi mal connu des européens, d’une certaine manière, que par le passé –, trouve un miroir fidèle dans celle de son chantre lui-même. Pour le dire plus clairement, le lecteur peut avoir le sentiment de faire avec Nicolas Jolivot la rencontre d’un « voyageur selon son cœur ». Ce livre espiègle, lucide et lumineux, a justement été consacré par une « pépite » documentaire à Montreuil en 2014.

L’Odyssée d’Outis

L’Odyssée d’Outis
Jean Lecointre

Thierry Magnier, 2013

Mythique photomontage

Par Dominique Perrin

odyL’Odyssée d’Outis a reçu la “pépite” de l’album à Montreuil il y a de cela une éternité (en 2013) : la bonne nouvelle annoncée ici est que ce faramineux ouvrage n’a pas perdu de son éclat dans cet intervalle – pas plus que depuis l’antiquité dont il semble sorti en trombe, tout patiné et chevauchant une grande vague méditerranéenne. C’est un chef-d’oeuvre d’humour visuel – télescopant les plus beaux visages de marbre des dieux grecs, les maillots de bain et costumes masculins les plus stylés et le casque aveugle de bioman –, et textuel – associant les vertus du résumé le plus sommaire à un art consommé du dialogue (voir la première page d’exposition téléphonique où Outis parie avec son fils et sa femme qu’il arrivera avant eux à la gare de Lyon où il doit les accueillir à leur retour de vacances en Grèce). C’est bien “toute” la mythologie qui est là (ou presque), dans ses rebondissantes extensions (à de nombreux épisodes de L’Odyssée proprement dite se mêlent allègrement quelques autres tout aussi dignes de revivre), et dans sa merveilleuse fraicheur.

Te voilà !

Te voilà !
Anaïs Vaugelade

L’école des loisirs, 2013

Intergalactiques

Par Dominique Perrin

te voila

La gestation et la naissance d’un petit humain racontées comme aventures intersidérales : c’est la vision (probablement fort réaliste) qu’offre cet album d’Anaïs Vaugelade, sous la forme d’un récit personnel transmis par une mère à son enfant, sur fonds de vols d’oiseaux et de poissons, de bals planétaires et de constellations en expansion. Munificence rime avec évidence : ce regard, cette mise en histoire si singuliers transfigurent en un mythe personnel à l’usage de tous l’imagerie scientifique des cellules, mais aussi une longue tradition de légendes tout aussi autorisées sur la naissance comme oubli d’acquis antérieurs. Ce tour de magie est un tour d’artiste. Et ce bébé à la peau dorée et au filament incandescent sur le crâne est l’un des moins mièvres et des plus beaux qu’aient donné la littérature de jeunesse… Et voilà !