Un monde à part

Les Chroniques d’Hurluberland
Olivier Ka

Rouergue,  2016

Un monde à part

par François Quet

9782812610608D’abord, il y a le ravissement des noms propres : Camille Plumedange dont la beauté est « époustouflante », Hector Boulocarré, le boulanger, Auguste Barbefolle, le « tonitruant bourgmestre », Joséphine Cœurdefruit, « éleveuse de chevaux », ou encore Amédée Soupaleau qui est « idiot à manger ses sabots » et bien d’autres personnages, qui si leur nom est bizarre, nous ressemblent un peu et font que cette terre d’Hurluberland est un peu la nôtre.

Ce qui est étrange au pays des Hurluberlus ce n’est finalement pas, le plus souvent, sa population. Bien sûr, il y a ces trois femmes qui ne chantent que pour les fleurs, bien sûr il y a cet arbre savant qui trouve réponse à toutes les questions des autochtones. Mais la plupart du temps, c’est un événement extérieur qui suspend la vie quotidienne et assez sage des Huluberlus : la présence inopinée d’une porte en pleine forêt derrière laquelle on trouvera la maison d’un vieillard inconnu, une échelle apparue au milieu du village et qui conduit au-delà des nuages, une belle et exigeante inconnue, une île minuscule où vivent des chevaux miniatures, un épais brouillard qui modifie le regard des villageois sur eux-même, un grand vent qui emporte tout sur son passage. L’inspiration d’Olivier Ka, nourrie de contes et de légendes traditionnelles semble sans limite ; il s’amuse à déstabiliser son petit monde, pour mieux le retrouver. Car, à chaque fois ou presque, l’issue de chacun de ces petits récits (qu’on pourrait lire de façon indépendante) reconduit l’univers initial, est une invitation à changer de regard plutôt qu’à changer le monde.

Chaque nouvelle porte en effet une morale implicite : la générosité d’Adélaïde Bellétoffe finit par révéler la bonté de ses compatriotes ; il ne sert à rien de multiplier la beauté des fleurs qui finiraient par étouffer le monde : c’est leur rareté qui fait leur prix ; Camille, l’indécise, perd toute chance d’épouser l’un ou l’autre de ses merveilleux prétendants : lui restera un homme  ordinaire, rencontré par hasard, mais qui doit lui aussi avoir des talents cachés, encore faudra-t-il prendre le temps de le trouver.

La « morale » de chacune de ces petites fables n’est pourtant pas assenée et ne réduit en rien ni le charme du récit ni la fantaisie de l’auteur. Le lecteur reste libre d’attribuer à ces petites aventures la signification qui lui paraît la meilleure, ou pas de signification du tout, si ce qu’il préfère, c’est la rêverie (à laquelle nous invite l’auteur).

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