A la lettre un alphabet poétique

A la lettre un alphabet poétique
Bernard Friot – Jean-François Marin
Milan

De A à Z, bien sûr

Par Michel Driol

Voici un défilé poétique ans lequel chaque lettre s’expose, à sa place, dans l’ordre. Contrainte habituelle dans ce genre d’exercice, chaque poème est saturé de mots contenant la lettre vedette. Comme souvent chez Bernard Friot, on s’en doute, l’humour est là.

Comment l’auteur renouvèle-t-il ce genre de l’abécédaire ? On trouve bien sûr la dimension métatextuelle affirmée : Si A est au commencement,  Z termine, et  il n’est pas étonnant qu’on ait placé ce grand benêt, ce zigoto, au fin fond de l’alphabet. Les jeux avec les lettres se multiplient : il convient de mettre les points sur le i au I. R est « une consonne fricative uvulaire voisée », ça sonne bien, même si on ne sait pas ce que ça veut dire.  On trouve quelques anaphores, en C’est pour le C, en Un ou une pour le U .

Mais c’est surtout dans le dialogue fictif, en particulier dans le jeu accusation / défense que ce livre trouve son originalité. Parfois intervient quelqu’un, pour faire cesser l’anaphore des C’est

C’est pas un peu fini ?

Ou pour répondre :
Finalement, le F est un type
assez fascinant, vous ne trouvez pas ?
– En effet !

Mais le dialogue sert surtout à souligner des jeux d’oppositions à propos des lettres qui se trouvent avoir alors deux valeurs, une positive, associée à des mots valorisants, l’autre négative, associée à des mots évoquant des réalités plus dures. Ainsi le K, tiraillé entre les mots guerriers et les multiples façons de dire je t’aime en anglais ou en allemand.

Les clins d’œil se multiplient, à l’orthographe, forcément, ce n’est pas parce qu’on  a deux l qu’on décolle, grogne le gorille furibard.  A la chanson aussi, S, comme une chanson de Queneau, si tu t’imagines. L’ouvrage parle forcément du monde, de la morale :

Si tu fais le V de la Victoire
tu fais aussi le v des vaincus
.

de la politique : toutes les lettres présentent leur candidature aux élections législatives : pour qui voter ?

de l’enfance, malheureuse, avec  le n,
regard lourd de détresse, un enfant se mord les lèvres.
Pas pleurer. Pas pleurer
.

Il faut donc aller au-delà de l’aspect formel, convenu  du livre,  qu’on pourrait prendre pour un énième avatar des abécédaires pour y découvrir une véritable vision du monde pleine d’enseignements.

A noter les illustrations, en page de gauche, de Jean-François Marin qui humanisent les lettres, et cachent un objet en lien avec la lettre.

 

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