Pline, t. 1 L’appel de Néron
Mari Yamazaki, Tori Miki
Traduit (japon) par Bureau des Copyrights Français,
Casterman, 2017
Le manga « à l’antique » : entre Péplum et Encyclopédie
Par Anne-Marie Mercier
Le manga Thermae Romae de Mari Yamazaki avait fait sensation à l’époque (en 2008) en introduisant dans le manga des éléments de culture antique. Dans ma chronique, j’avais exprimé ma déception : si le dessin était beau, l’histoire développait un propos relativement trivial avec des plaisanteries lourdes et des relents nationalistes (l’amour des bains du héros et un voyage dans le temps lui permettaient d’« améliorer » la civilisation romaine en introduisant des trouvailles japonaises dans ce domaine).
Ce nouvel ouvrage s’est délivré de la comédie et des gags forcés (voir les propos de Mari dans la postface qui déclare elle-même que cela lui « pesait ») tout en gardant l’idée d’une proximité entre les civilisations japonaise et romaine, marquées par les tremblements de terre et imprégnée d’une certaine forme de sagesse stoïque, mais aussi par la présence d’Histoires naturelles antiques : celle de Pline et celle de l’antiquité chinoise, le Shanhaijing, ou « Livre des monts et des mers » (IIIe siècle avant notre ère) qui toutes deux mêlent descriptions géographiques, conseils de médecine et créatures fantastiques.
Il est rare de voir une écriture-dessin à quatre mains ; ici elle est réalisée de manière parfaite, Tori se chargeant des paysages, bâtiments et décors, Mari des personnages. Dans la même postface, ils décrivent leur travail et relèvent un moment où le manga a des pouvoirs que la littérature ne possède pas et cultive ses propres ressources : il permet de « Voir ». Ainsi, un monstre que Pline évoque dans son œuvre est montré, détaillé, et revient à plusieurs reprises pour hanter l’ouvrage. L’exemple est convaincant.
Le premier tome montre une éruption du Vésuve et les images en développent tous les aspects, tels qu’on les retrouve souvent dans les récits de témoins de catastrophe : la première stupeur, les réactions des uns et des autres, les diverses tentatives de fuite ou de protection, l’avancée de la lave, l’état de la mer et des vaisseaux… Pline reste impavide et dicte à son secrétaire Euclès diverses pensées. Euclès se remémore sa rencontre avec Pline, en Sicile (« Grande Grèce ») juste après une éruption de l’Etna qui a détruit la maison du jeune homme et tout ce qui lui restait, hormis les tablettes de cire de son père. L’orage qui éclate lors de leur rencontre montre le courage physique de Pline et son insatiable appétit de connaissances : « Celui qui fuit une occasion de s’instruire est la lie de l’humanité ! », crie-t-il à celui qui cherche à fuir par crainte de la foudre.
A chaque étape du récit, Pline délivre son savoir sur les causes des tremblements de terre, de l’orage, sur les propriétés des plantes… mais le récit est aussi rythmé par l’aventure : on voit Néron à Rome, hanté par la culpabilité depuis l’assassinat de sa mère et la mort de Sénèque, réclamer la présence de Pline et celui-ci retarder autant qu’il peut son retour à la grande terreur de ses compagnons qui le pressent d’obéir…