The Kindgom

The Kindgom
Jess Rothenberg

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Corine Daniellot
Casterman, 2020 (2019)

Westworld x Disneyworld

Par Matthieu Freyheit

Certes, les références sont ici évidentes : la récente série HBO WestWorld, mettant en scène un parc d’aventures (plutôt que d’attractions) sur le thème du far west, peuplé d’androïdes dernière génération ; et Disney, dont la galerie de princesses n’est plus à présenter.

Certes, c’est toujours le succès qu’on imite, et l’on pourrait reprocher à l’auteure de miser sur celui de WestWorld : The Kingdom désigne un parc d’aventures peuplés d’androïdes appelés « hybrides » et dont les figures de proue sont sept princesses programmées à assurer le bonheur des visiteurs.

Ce réinvestissement évident n’est cependant pas contradictoire avec la réussite de l’entreprise : sur fond d’éveil des machines à la conscience, Jess Rothenberg propose une sorte de thriller criminel et identitaire plutôt réussi, dans un décor de conte de fée. La dystopie du bonheur garanti a elle-même déjà fait ses preuves et, manifestement, l’époque reste au scepticisme devant toute trop belle promesse. Ainsi le dysfonctionnement, appareil narratif classique des techno-fictions, touche-t-il ici des princesses avides d’être – on pourrait y voir la métaphore simpliste d’un féminisme convenu, mais l’auteure a le goût de ne pas avancer trop lourdement chaussée. Car si les princesses sont belles et obligatoirement heureuses (il ne faut pas longtemps pour cesser d’y croire), elles sont avant tout bienveillantes, dessinant très discrètement ce qui pourrait procéder d’une lecture dystopique du care.

Le roman de Jass Rothenberg a ainsi l’avantage de la polysémie interprétative. Et, sur fond de réécriture, il s’autorise l’entremêlement de thèmes et de thèses variés, si bien qu’à l’enquête intradiégétique s’ajoute celle, extradiégétique, du sens. Et puis, tout simplement, saluons l’heureuse idée de faire se rencontrer machines et princesses : l’art du mashup n’est pas perdu en littérature de jeunesse.

Si le style n’y est pas toujours et si, pour une fois, on peut se dire qu’il aurait fallu quelques pages de plus (voire un autre tome) pour boucler l’enquête moins abruptement, l’ensemble est efficace aussi bien du point de vue de l’imaginaire que du champ de réflexion proposé. Sans compter que Rothenberg livre ici un monde qui ne demande qu’à s’étendre, notamment par les diverses pratiques de fans, sur tous les réseaux possibles. Il faut bien ça pour que vivent les princesses, même les princesses hybrides.

 

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