2050 Une Histoire du futur

2050 Une Histoire du futur
Thomas Harding
Seuil, 2020

« Si vous voulez plus demain, vivez moins aujourd’hui » : utopie ou dystopie ?

Par Anne-Marie Mercier

Pour présenter son histoire, Thomas Harding a recours à une vieille ficelle romanesque, celle du manuscrit trouvé. Il l’a greffée sur une thématique de science-fiction, celle du message envoyé dans le passé. Il publie donc des carnets écrits en 2050, trouvés dit-il dans des archives et envoyés à notre époque pour l’alerter sur son futur probable.
L’auteure des carnets, prénommée Billy, est une adolescente (née en 2035). Elle y a transcrit pour un projet scolaire des entretiens qu’elle a eus avec sa grand-mère, née en 1948. Ces carnets décrivent l’évolution du monde, et chaque titre de chapitre est un millésime, en suivant l’ordre chronologique ; chaque date est choisie pour mettre l’accent sur un basculement, revenant sur ce qui a précédé, parfois depuis le début du XXe siècle.  Ainsi on trouve des événements qui se sont produits dans des périodes connues du lecteur (l’évolution de la condition des femmes, la question des mères porteuses, les questions de genre, la pollution et la montée de l’écologie politique, les épidémies récentes, l’humanité augmentée, le retour des religions, le développement du web et des réseaux sociaux, les questions de cyber sécurité, les élections par correspondances et les craintes de fraude, la manipulation des opinions, la montée des populismes…) et d’autres, arrivés après 2020 mais qui sont présentés comme découlant directement de ce que nous vivons aujourd’hui.

On découvre progressivement que la jeune Billy, comme tous les humains de 2050,  vit dans une tour qui possède sa salle de sport et son parc, que tout y est recyclé, que les habitants sont nourris par des fruits et légumes issus de la serre locale et des sucres lents (riz et soja), tout cela cuisiné par des robots mixeurs à la maison ou, le soir, pour le diner en famille, à la cantine publique. À l’école, les cours sont dispensés par des robots qui s’adaptent à chaque enfant. Pendant les heures de sport, sur un vélo d’intérieur elle aime regarder derrière la vitre « la zone de bio-diversité interdite autour de la ville ». Elle devra étudier jusqu’à l’âge de 24 ans puis faire un service civique de trois ans. Son espérance de vie est de 120 ans environ. Tous les humains touchent un revenu universel et n’ont plus besoin de travailler, sauf pour satisfaire quelques envies. Toutes les données sont centralisées. Le monde est dominé par un Parlement mondial et par quelques dirigeants mystérieux, qui se nomment eux-mêmes les ethnarques. Mais malheur à ceux qui tentent de troubler cet ordre.

La qualité de ce livre, orienté sur l’idée devenue banale (mais toujours difficile à concevoir et à mettre en œuvre) d’une urgence face à une catastrophe climatique de plus en plus proche est qu’il présente un monde futur entre utopie et dystopie sans prendre une position tranchée et manichéenne : le monde est devenu tel parce que c’était ainsi que cela devait finir, vu l’état de notre présent ; certaines choses sont bonnes, d’autres non, et surtout les humains sont livrés à un état qui contrôle tout. Les carnets envoyés par Billy sont une bouteille à la mer envoyée aux humains de 2020 pour les alerter. Il y a de quoi nourrir la réflexion.
Le grand-mère raconte comment progressivement on a arrêté de manger de la viande, mais aussi d’avoir des animaux de compagnie et de voir des animaux dans les prés ; on a arrêté de pratiquer la plupart des sports, jugés dangereux ou coûteux en énergie ; comment les façons de s’habiller ont été radicalement modifiées ; comment le recours à des mères porteuses professionnelles s’est généralisé ; comment Billy (au prénom non genré comme tous les enfants de sa génération) a été sauvée d’un grave problème de santé grâce à la mutualisation de toutes les données, etc. Elle explique que si tous les humains doivent désormais vivre en autarcie dans des tours fermées, c’est pour contrôler les épidémies qui se sont répétées. Dès 2030, donc plus tôt que prévu, le réchauffement global est arrivé à plus de quatre degrés, la montée des eaux a provoqué la disparition d’iles et de villes, comme  Venise, d’une partie de Los Angeles, Hong Kong, Londres, etc. L’arrêt des énergies carbonées a été décidé brutalement pour éviter le pire, mais a été catastrophique pour une grande partie de la population. La multiplication de gouvernements populistes incapables de gérer la situation a engendré la fin des démocraties. La multiplication des épidémies, des émeutes, des guerres… et l’impossibilité de se défendre de cyber attaques a mené à la création du Parlement mondial.

Ce récit est accompagné de documents donnés par la grand-mère : articles de presse, photos, cartes postales, lettres… chargés d’authentifier ce qu’elle raconte, y compris dans les années postérieures à 2020. Les affiches de propagande sont particulièrement réussies, très proches de ce qui existe aujourd’hui et juste un peu en avance par rapport à notre temps.
La réflexion sur la langue est également très intéressante : de nombreux mots utilisés par la grand-mère ne figurent pas dans le « tout en un » (l’équivalent de nos smartphones) de Billy, et parfois pas dans le dictionnaire papier qu’elle lui a offert, daté de 1978, celui d’Oxford, en deux volumes (avec la loupe pour le lire) : changements de sens, désinformation, trahison, usure… il y a de nombreuses raisons liées à la disparition de mots et à l’apparition de nouveaux et Billy progresse en sagesse linguistique et politique.

Thomas Harding tente de donner à  tous ces éléments factuels ou théoriques une dynamique romanesque en évoquant le personnage de l’un des fils de la grand-mère, dont elle ne veut pas parler, au début. Parallèlement à ses entretiens, Billy enquête sur son oncle, dont ses parents ne parlent jamais non plus, ce qui la conduit vers l’histoire des militants qui se sont opposés à ce nouvel ordre mondial et l’amène à une nouvelle façon de voir le monde… et sa grand-mère.
Ce complément ajoute peu à l’ouvrage, et la transformation de Billy, enfant contente de son sort et de son monde, qui devient en quelques jours lanceuse d’alerte et brave la police semble bien rapide. Mais ces concessions à l’âge du lecteur sont sans doute bien venues pour ceux qui pourraient décrocher ou se dire : « et alors ? ». Cela dit, à part le message qui enjoint de sauver la planète, de nombreuses questions restent sans réponse. Mais elles ont le mérite d’avoir été posées et de laisser le lecteur face à ses propres choix futurs, dans bien des domaines.

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