Sur la pointe des pieds
Suzanne Lebeau
Éditions Théâtrales, jeunesse, 2023
Abécédaire : lettres, mots, images, poésie
Par Anne-Marie Mercier
Dans cette pièce à trois personnages, on décline l’alphabet : Lucie a étalé 26 feuilles blanches et elle doit illustrer chacune des lettres, sans doute pour le compte d’un éditeur.
« Soyez claire et précise […]
il faut que les enfants sachent
en regardant le dessin »,
dit-elle, répétant ce que lui a dit celui qu’elle appelle son « patron ».
Alors Lucie aborde chaque lettre, dans l’ordre, en cherchant l’inspiration, et elle convoque Lulu, son double enfantin : « Lulu, ma petite Lulu… qui ne me quitte jamais… fidèle critique
dis-moi ce que tu vois ».
Lulu met un peu de désordre dans la convention. Si elle tombe finalement d’accord pour le « A comme avion », après un détour, ses propositions pour les autres lettres introduisent une critique implicite des imagiers pour enfants : ils présentent trop souvent des objets ridicules (le concombre en prend pour son grade) et des animaux peu familiers (l’iguane pour la lettre i)… Ce sont surtout des rêveries et des souvenirs, tendres ou cruels, qui sont suscités par cette recherche de correspondances entre lettres et sons, mots et sens. La forme poétique (le texte est souvent en vers blancs, des hexasyllabes que viennent bousculer d’autres mètres) souligne ce va-et-vient entre convention et invention.
Ainsi l’artiste fait parler l’enfant qui est en elle, parfois pour la réprimander, puis, de plus en plus au fil du texte, pour se libérer grâce à elle et suivre son inspiration. Elle nous conduit vers des apprentissages plus profonds dans lesquels les lettres et les mots prennent vie.
Ce sont d’ailleurs plutôt trois voix que trois personnages qui occupent la scène, puisque l’une, Lulu, est l’autre (Lucie) enfant, et le troisième est « la voix », personne en particulier :
« la voix de l’intérieur ou de l’extérieur, le témoin…
conteur, conteuse…
la petite distance que nous sommes capables de garder face à nous-mêmes
en faisant, pensant, vivant »
Ainsi, loin de la dimension linéaire, suivant le fil convenu et conventionnel de l’alphabet, ces trois voix nous entrainent dans un « jeu ». Le Je adulte et le Je enfant explorent le langage sous toutes ses formes, et le monde, et le temps, de A à Z.
C’est un texte drôle, poétique, sensible. On a envie de le relire dès qu’on l’a fini. Et en plus ça sert à apprendre les lettres !
Voir le carnet artistique et pédagogique rédigé par Mélodie Cosquer, metteuse en scène et comédienne, à destination des élèves de cycle 2/cycle 3 et au-delà