A pas de loup
Christine Schneider – Hervé Pinel
Seuil 2025
Une nuit chez Papi et mamie
Par Michel Driol
Claire et Louis, dans le même lit chez Mamie et Papi, ont une petite faim nocturne. A pas de loups, ils descendent dans la cuisine, traversant ainsi la vaste maison au multiples tableaux et bibelots. Lequel des deux renverse le chandelier ? Aux yeux de Mamie, c’est coco, le perroquet. Qui fait tomber le masque africain ? Aux yeux de Papi, c’est Grangrogris, l’éléphant. On découvre ensuite dans cette maison en apparence si tranquille un tigre, un boa… Pour les grands-parents, ce ne peuvent être leurs petits-enfants, sagement endormis dans leur chambre, au milieu de leurs peluches, les responsables de tous ces désordres !
Amateurs d’histoires sages et de rationnel, passez votre chemin ! Par ici, c’est la nuit, et la nuit tout est permis. Où commence l’imaginaire, où s’arrête le réel ? La ménagerie qui peuple la maison de Mamie et Papi est-elle le fruit de l’imagination des enfants, qui donne vie aux peluches que l’on voit sur leur lit, ou la propriété de grands-parents moins conformistes qu’ils paraissent ? Tout est à l’image de la couverture, une seule image, qui montre, en première, deux enfants dans la nuit, mais, si l’on suit l’espèce de boudin oranger vers la 4ème de couv’, on découvre qu’il s’agit de la queue d’un tigre.
Le texte fait la part belle aux dialogues, aux onomatopées, autour de phrases courtes accompagnant l’expédition des deux enfants. Il insiste sur leur légèreté, sur le fait qu’ils glissent, qu’ils filent, comme aériens dans cet univers si surchargé d’objets et d’animaux divers. Il joue subtilement sur les mots, au grand plaisir du lecteur, comme une façon aussi de montrer que rien ici n’est bien sérieux. Mais on est, avec le texte, récit ou discours direct, dans une façon de dire, au travers des paroles des personnages, que tout est ici absolument normal. Mais où se situe la normalité ? Au lecteur d’interpréter cette double réalité, d’accepter d’assumer – ou pas – le passage dans le fantastique, dans l’onirisme, d’y voir la marque des frayeurs nocturnes, ou de l’imagination des enfants…
Les illustrations sont des tableaux sublimes, dans des dominantes froides de bleu lorsqu’il est question des enfants, chaudes et orangées pour montrer les grands-parents. Il faut se perdre dans les détails de cette maison bourgeoise, aux longs couloirs, aux multiples photos, aux nombreux bibelots, pour ressentir la peur que peuvent éprouver ces deux minuscules enfants montrés dans des plans expressifs, tandis que les grands parents, lisent tranquillement, l’un une encyclopédie quelque peu surannée sur les animaux d’Afrique, l’autre un livre à la couverture rouge. L’illustration, ici, est de celles qui en disent plus que le texte, et cela contribue à la création de l’atmosphère bien particulière de cette maison emplie à la fois de souvenirs familiaux et de la présence de l’Afrique.
Un riche album, plein de trouvailles, superbement illustré, qui abolit autant qu’il montre la frontière entre le rêve et la réalité, comme une métaphore de la création.