Vent du Sud
Véronique Foz – Cécile Basecq
Editions Voce Verso – Collection Hisse ho ! 2025
Une traversée
Par Michel Diol
Nita, qui n’a jamais vu la mer, va prendre un bateau avec ses parents. Bien sûr, il faut quitter la grand-mère, les oncles et les tantes, mais, promis, on reviendra. Le bateau qu’ils vont prendre n’a rien des voiliers des histoires que son père lui racontait, c’est une barque chargée d’une vingtaine de migrants. Après la mer calme de l’après-midi, Nita se réveille en pleine tempête. Un homme passe par-dessus bord… Au petit matin, le bateau accoste sur une plage, au milieu des parasols, où un garçon lui tend un coquillage « aux couleurs de l’aurore ».
Dans la collection Hisse ho ! les textes et les illustrations se relaient pour proposer un récit dans lequel les deux médias jouent leur rôle à part entière. Le texte adopte le point de vue de Nita, tandis que les illustrations – un noir et blanc épuré rehaussé d’une touche de rouge – font avancer l’histoire, ou la complètent, tantôt sur un mode réaliste, tantôt dans l’imaginaire. Ce dispositif permet d’être au plus près des émotions, des espoirs, des peurs de Nita. On apprécie les effets de dévoilement progressif de l’histoire : quel est ce voyage que la famille va entreprendre ? La chambre de Nita sur l’illustration, avec ses peluches, son lit, sa commode semble bien confortable. Les premières illustrations nous ont placés dans un univers de rêve, dans le monde merveilleux des poissons, de la mer. Puis avec subtilité les illustrations entrainent le lecteur vers un autre paradigme de lecture, avec cette famille serrant dans ses bras une grand-mère devant une porte très orientale, avec ce groupe humain entassé à l’arrière d’un pickup… avec cette famille, pauvres valises en main, devant l’immensité de la mer, valises et bagages que l’on voit ensuite abandonnés tandis qu’un bateau surchargé s’élance vers le large. Le texte et l’illustration s’accordent ensuite pour dire et montrer, à travers les yeux de la fillette, à partir de petits détails, la réalité de cette traversée, la chaleur, la nourriture qu’on a préparée et qu’on économise, les chansons qui rassurent. Autant de petits faits, vus à travers les yeux de la fillette, partagée entre cette promiscuité et le désir de voir la mer dans ce qu’elle a de magnifique, de féérique, et d’enchanteur. Et c’est à nouveau l’image qui donne à voir la suite, avec cette splendide et terrifiante illustration d’une barque sur une mer rouge sang se détachant sur un ciel d’encre. On le voit, tout au long de l’album, le texte et l’illustration dialoguent, se complètent pour raconter à part égale et complémentaire, cette histoire.
Vent du Sud fait partie de ces albums qui permettent à des enfants de mieux comprendre, de mieux sentir les dangers que les passeurs font courir aux migrants, les conditions sommaires dans lesquelles ils traversent les mers. Un album qui évoque, sans s’y appesantir, les raisons du départ, pour trouver la sécurité ailleurs, loin de cris et des coups de feu. Sa force est de montrer les liens familiaux, peut-être un peu stéréotypés, le père comme un phare solide, la mère comme celle qui protège. Deux parents aimants ne voulant que le meilleur pour leurs enfants, quitte à leur faire courir de grands risques pour échapper à des dangers, non montrés, que l’on imagine encore plus énormes. Il y a là une belle façon de parler des espoirs et des rêves de ceux qui sont obligés de quitter leur vie, leur pays, sans pathos, mais sans naïveté non plus. La réalité n’est pas édulcorée, ni celle de la traversée, ni celle de l’arrivée sur cette plage paradisiaque, au milieu de gens parlant une langue inconnue, dont l’autrice montre, de façon assez allusive, les comportements face à cette barque qui dépare leur univers. Il est question de cris dans une langue inconnue… On imagine les sentiments de la fillette qui voit, de surcroit, ses parents épuisés. Pour autant, et il y a là quelque chose de magique, c’est sur l’espoir, le partage, le don d’un coquillage que se clôt le récit. Belle façon de suggérer que les enfants ne connaissent pas le racisme, l’exclusion, et sont prêts à accueillir l’autre.
Un récit et des illustrations à hauteur d’enfant qui savent à la fois dire et montrer le réel dans ce qu’il a de brutal, mais aussi laisser une place à l’imaginaire, à la poésie pour évoquer le tragique destin des migrants embarqués sur des barques de fortune et l’espoir fragile d’une vie et d’une humanité meilleures.