Dissidentes – Livre 1
Tosca Noury
Didier Jeunesse 2025
Road movie dans une France dystopique
Par Michel Driol
Dans un pays en état d’urgence démographique, toutes les files de plus de 15 ans sont soumises à un devoir de procréation. Dans ce pays, une milice, Kosmos, contrôle tout. La démocratie n’est plus qu’un vain mot. Edgar, qui a vécu toute sa vie sous la protection de son grand père, dans une vallée de Chartreuse, s’enfuit pour voir le monde. Mais il est vite capturé par la milice, qui le revend à Jo, dont on découvre vite qu’elle est une fille en fuite, qui tente de rejoindre l’Union Scandinave. A ces deux-là s’ajoutent Côme et Virgile, deux jeunes Réfractaires. Leur périple les conduit dans une ville de Lyon ravagée, puis à Paris, et enfin au Havre.
Voici le premier tome d’une saga bien originale, même si elle s’inspire de la Servante écarlate et de The Last of Us. D’un côté se pose la question de la place faite aux femmes dans une société post apocalyptique, dans laquelle un virus extrait par hasard des tréfonds de l’Arctique a entrainé l’Extinction, puis des soubresauts politiques qui ont conduit à une neuvième république. De l’autre, la fuite de deux adolescents qui n’ont plus qu’un but, survivre dans un monde hostile, où rodent Kosmos et les Rapteurs. L’originalité vient de la diffraction des points de vue, dans des chapitres qui font alterner celui de Jo et celui d‘Edgar. Deux personnages dont le récit révèle petit à petit l’identité, le passé, l’histoire au fil des souvenirs, mais aussi des découvertes qui conduiront Edgar à découvrir qui est réellement son grand-père. Autant Jo s’avère déterminée, combattive, consciente du monde et des dangers, autant Edgar est naïf et innocent .A cette double narration s’ajoutent des pages du journal d’Alma, la mère d’Edgar, qui permettent dans une plongée dans le passé de saisir les moments où tout bascule. S’y ajoutent aussi, en début de chapitre, des articles de journaux, des déclarations qui situent un contexte anxiogène. Car ce récit est aussi politique, et montre comment les libertés se restreignent sous l’effet conjugué de la crise sanitaire et des réponses que lui apportent les hommes politiques. Toute ressemblance avec des situations vécues ici ou là, en France ou ailleurs, n’est malheureusement pas qu’une pure coïncidence. Ce roman alerte sur la fragilité des équilibres actuels, sur les droits des femmes, menacés dans de nombreux pays, mais aussi sur les droits individuels. Il suffit de peu pour que tout s’effondre.
Comme dans toute dystopie, l’univers décrit est sombre, glauque, angoissant, rempli de violences en tous genres. Mais la force du roman, c’est aussi de s’inscrire dans des lieux bien réels, l’avant pays savoyard, la ville de Lyon, dans laquelle les stations d’un métro qui ne circule plus sont devenues des refuges, des lieux de trafics divers. Le roman s’inscrit dans une géographie bien réelle, ce qui renforce son réalisme. Dans ce monde de violence, où priment l’individu et sa survie, quelle place aux sentiments humains, à l’amour, à l’entraide ? C’est, bien sûr, ce que vont découvrir petit à petit Jo et Edgar, dans un récit qui devient alors plein de tact.
Dans l’attente du Tome 2, un premier volume de 500 pages, dense, effrayant et passionnant, plein de rebondissements savamment maitrisés, de révélations progressives, qui accompagnent la plongée du lecteur, de la lectrice dans un futur qu’ils chercheront, sans doute, à éviter… Comme les personnages, il ou elle mesurera le prix et la valeur de la liberté, dans tous les domaines.