Les Mésaventures de l’illustre famille Bastable
Edith Nesbit
Novel 2024
Money, money, money…
Par Michel Driol
La famille Bastable a connu des jours meilleurs, mais, depuis la mort de la mère, le père semble avoir des déconvenues financières. Alors les six enfants, de Dora 13 ans aux jumeaux Alice et Noël 10 ans, tentent de trouver de l’argent pour améliorer l’ordinaire. Tenter de vendre les poèmes de Noël à un journal londonien, d’emprunter de l’argent à un usurier, de détrousser les voyageurs dans la lande, de chercher un trésor… Au fil des chapitres, on les suit, cherchant des moyens tous plus extraordinaires, jusqu’au final où arrive l’oncle richissime !
Ce volume est le premier d’une trilogie publiée entre 1899 et 1904, republiée ici dans une nouvelle traduction d’Amélie Sarn. (Les deux autres volumes sont programmés pour 2025). Peu connue en France, Edith Nesbit est pourtant une autrice anglaise qui a révolutionné, au début du XXème siècle, le roman pour la jeunesse, en lui apportant humour, légèreté, et une certaine vision de l’enfance. Les héros d’Edith Nesbit appartiennent à la bonne société, ont des valeurs morales (le sens de la famille, l’honnêteté, en particulier), même s’ils se trouvent contraints de faire des choses pas très honnêtes qu’ils regrettent ensuite. Même s’ils ne fréquentent plus l’école, faute d’argent, ces enfants sont éduqués, savent et aiment lire. Et beaucoup de choses se jouent dans ce roman sur la différence entre le réel et la fiction romanesque. Les méthodes de faire fortune qu’ils connaissent – et tentent de mettre en œuvre – viennent de la littérature, comme sauver un homme riche d’un malheur et le laisser vous adopter ensuite. Le problème, c’est que ça ne marche pas dans la vraie vie ! Il y a donc là toute une critique d’une certaine littérature moralisatrice et bienpensante, manichéenne, où tout se résout facilement. Mais il y aussi tout un jeu avec le texte, dont on sait dès le départ qu’il est écrit par un des enfants, qui ne révèle son identité qu’à la fin. Au lecteur d’être malin, et de tenter de deviner qui tient la plume. Il y a enfin tout un jeu très métatextuel : le narrateur dit ce qu’il aime et n’aime pas dans la littérature, explique pourquoi il commence ainsi, se refuse à écrire une préface que, de toutes façons, personne ne lit… L’écriture joue un rôle important : Noël écrit des poèmes, les enfants tentent de publier un journal pour faire fortune… On croise une poétesse, on évoque Kipling…
On croise aussi toute une galerie de personnages secondaires farfelus, étranges, et souvent généreux à l’égard des enfants. Le politicien qui change de col sur la lande, le directeur du journal, l’oncle du voisin Albert, la jeune princesse et ses deux gouvernantes, ou l’oncle riche de la fin. C’est donc aussi un portrait de l’Angleterre post victorienne, avec ses rituels, ses relations sociales, et aussi une façon respecter ses enfants, de leur accorder une certaine considération.
L’un des premiers romans pour la jeunesse modernes, un roman qui ne se veut pas moralisateur, mais qui raconte les choses à hauteur d’enfant, avec des personnages débrouillards, une fratrie unie, naïve, crédule, découvrant le monde des adultes, dans une sorte de parenthèse enchantée et désargentée.
Voir, dans un autre genre, La dernière Fée des sables, réédition d’un ouvrage de la même autrice par le même éditeur.