Chat de gouttière
Joana Estrela
Traduit (portugais) par H Melo
Les Grandes personnes, 2025
Une vie partagée, avec un animal « de compagnie »
Par Anne-Marie Mercier
Le titre original est « gato comum », que l’on traduit par « chat européen commun », ce qui est un peu plus relevé que « de gouttière », mais dit bien la banalité de l’animal. Il n’a rien de remarquable, l’histoire racontée non plus et c’est tant mieux : elle ressemble à celles de tous ceux et celles qui ont un jour partagé la vie d’un chat : comment il est arrivé dans votre vie, pourquoi il porte ce nom, ses habitudes, la fois où on l’a perdu, et où (ouf !) on l’a retrouvé, le moment où on s’inquiète, les visites chez le vétérinaire, la dernière visite… et la vie, une autre vie, qui reprend, sans chat (provisoirement, on ne sait).
La narratrice a 17 ans, le même âge que Manel. L’année de sa naissance marque l’année zéro de la famille à partir de laquelle on compte tout, avant (la télé couleur, 20 ans avant), ou après Elle vit avec ses parents et son frère, une vie simple avec les trajets en voiture, les jeux télévisés qu’on regarde pendant le repas, le téléphone portable sur lequel on consulte google pour poser des questions sur l’état du chat et les soins à lui apporter, les repas… La présence du chat organise la géographie de la maison et le rythme de la vie ; portes ouvertes ou fermées, c’est pour lui. Coussins ici ou là, idem.
Les illustrations de ce petit roman graphique illustrent la richesse cachée de cette vie apparemment monotone. Elles sont composées tantôt en bandes, tantôt sur une pleine page dans laquelle progresse le même personnage, ou bien en carrés. Elles sont crayonnées en noir sur fond jaune, ou (pour l’évocation d’un autre chat et d’une autre enfance) en carrés disséminés sur une page blanche avec des bulles flottantes. Elles sont aussi simples que le chat et que la vie, mais quelle expressivité en peu de traits et peu de mots, simples eux aussi ! Chaque personnage est bien caractérisé, à la fois dans sa relation à la famille, dans son rapport à l’animal et dans le choix à faire au moment de la fin de vie de celui-ci : faut-il le laisser vire et souffrir, ou bien non? Émotion, pudeur, familiarité, joies, chagrin tu, amour…