Chu Ta et Ta’o, le peintre et l’oiseau

Chu Ta et Ta’o, le peintre et l’oiseau
Sophee Kim, Pierre Cornuel
Grasset Jeunesse, 2010

Entre Histoire et légende, art et philosophie

par Dominique Perrin

Chu Ta et Ta’o, le peintre et l’oiseau est un bel album d’initiation à la peinture chinoise de la fin de l’époque Ming. Il narre, de son enfance jusqu’à sa mort, l’existence du peintre Chu Ta (1626-1705), prince lettré, puis moine muet, fondateur et constructeur de monastère, le plus souvent retiré du monde et solitaire, mais aussi voyageur et parfois citadin dans son itinérance. De ce personnage historique, l’album transmet une connaissance de type philosophique et esthétique. Si en effet l’invasion des Mandchous, la chute de la dynastie Ming et la dispersion de la famille royale marquent le tournant le plus dramatique de l’existence retracée, c’est surtout à l’évocation d’un rapport au monde manifesté dans une incessante activité picturale que le récit est dédié. De fait, le livre apporte plusieurs types de réponses à la question des sources dont il procède. D’une part la narration évoque différents témoins historiques de l’existence de son protagoniste. D’autre part, une biographie finale rend compte des éléments chronologiques historiquement attestés. Cependant, un appareil de notes finales indique l’existence de variations et divergences concernant les anecdotes biographiques, et met finalement en avant la référence à trois ouvrages savants qui relèvent sans doute autant de l’hommage et de la méditation artistiques que de la recherche historienne.
L’ouvrage est donc fort intéressant en tant que familiarisation avec l’art, la pensée, l’histoire et les mœurs d’un pays dont le discours économique contemporain ignore parfois agressivement l’intérêt et la complexité. Un récit efficace, finalement assez inattendu dans son hésitation entre Histoire et allégorie de la vie soutenue par l’art, ouvre en effet sur des illustrations dignes de susciter à la fois l’envie de découvrir plus avant les œuvres du peintre éponyme, et l’envie de peindre soi-même. Une ombre apparaît tout de même à ce beau tableau : la narration confiée à un petit oiseau (« Bonjour, je m’appelle Ta’o./ Je suis né de la main d’un prince devenu un grand maître./ Je vais vous raconter son histoire hors du commun… »), qui, n’ayant guère d’existence autonome, semble surtout faire fonction de médiation obligée en littérature de jeunesse. Il aurait été intéressant d’amorcer une réflexion sur les moyens de rendre plus prenant ce « point de vue d’un oiseau créé par le peintre » dans le cadre d’une œuvre dédiée à rendre sensible une vision taoïste du monde ; ou d’assumer avec la simplicité attendue le registre légendaire qui est finalement celui de l’ouvrage. Cette vie d’artiste est en effet, en tant que récit de type hagiographique (talent inné et génie cathartique, œuvres rivalisant avec la vie, dialectique de l’anticonformisme et de la convivialité, de la marginalité et du rayonnement), fort éloignée d’être « hors du commun », ce qui n’ôte rien, au contraire, à son charme.

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