Méto: t. 1 (La maison), 2 (L’île), 3 (Le monde)
Yves Grevet
Syros, 2008-2010
SF en poupées russes
par Anne-Marie Mercier
La trilogie de science fiction d’Yves Grevet se clôt avec le troisième tome de Méto. Rarement une œuvre de science fiction française aura créé avec autant de cohérence un univers aussi original que sobre et rarement (jamais ?) une œuvre pour la jeunesse aussi classique de ce genre aura été d’une telle qualité, sans concessions quant à la violence et à la noirceur.
Le monde de Méto est un univers de poupées russes à l’envers : chaque volume fait découvrir dans quel ensemble plus large il se trouve, et chaque ensemble est aussi noir et limité que le précédent. La maison est une prison, située dans une île concentrationnaire, elle–même placée dans un monde fermé où la seule issue est… le retour à la Maison.
A signaler également, la réussite graphique des volumes, qui déclinent bien répétition et variation et offrent une mise en image intéressante de ce monde.
tome 1 : la maison
Prison d’enfants
Roman d’anticipation, de formation, de collège, La Maison est tout cela sous le signe général de l’enfermement. Des garçons sont réunis dans une maison qui est tout leur monde : amnésiques, ils n’ont pas accès à leur passé, sans famille ils ne se souviennent pas d’en avoir eu une. Ils n’ont pas de futur non plus, ignorant ce que deviennent ceux d’entre eux qui arrivent à l’adolescence et disparaissent. Ils ignorent aussi qu’un autre sexe existe.
Dirigés par des hommes nommés « César » (César 1, César 2 etc.), eux mêmes portent des noms aux consonances romaines (Claudius, Crassus, Paulus…). La discipline est militaire, carcérale aussi. Les plus vieux initient les plus jeunes. L’entraînement se fait dans un jeu collectif très violent, seul dérivatif à la tension qui les habite tous, et on y joue avec la mort.
Tentatives de comprendre, de savoir qui sait, de connaître ses vrais amis et les distinguer des traîtres, de trouver des échappées, d’ouvrir des portes, de renouer avec des bribes de souvenir… tout cela est mené par le héros, Méto, qui raconte à la première personne dans un style très simple et factuel et entraîne ainsi le lecteur dans ce monde opaque et inquiétant
(article paru antérierement sur Sitartmag)
tome 2 : l’île
Prison à ciel ouvert
Evadé de la maison, Méto découvre que le paradis de la liberté est encore loin, plus loin même que dans le volume précédent. Ce deuxième univers est lui aussi fait de couloirs, de recoins, de complots, encore plus sombres que les précédents (au propre comme au figuré). Le héros passe par de multiples souffrances aussi bien physiques que morales. L’un des mérites de l’ouvrage, à ajouter à son originalité et à son mystère, réside dans la manière de les décrire : guérir est lent, difficile, demande beaucoup de patience, et parfois n’advient pas. Autre mérite : le bien et le mal sont liés et on ne sait plus bien ce qui est le pire, le pouvoir de la maison ou celui qui règne sur l’île. La trahison et la déception alternent avec les moments d’éclaircie, jusqu’au moment où l’on retourne à la case départ… la maison.
tome 3 : le monde
L’avenir en prison
De retour dans la maison, Méto apprend encore beaucoup de choses. Son sens logique et ses talents de manipulateur font merveille et donnent lieu à d’excellentes pages. Ils lui permettent de lever tous les mystères : d’où il vient, qui il est, qui a créé la Maison, pourquoi il s’y trouve et ce que le monde a à leur offrir. Tout cela rassemble de nombreux thèmes de la science fiction et les entremêle de façon très cohérente (catastrophe, savants amoraux, manipulations de la mémoire, nouvel ordre social, éducation, jeux…) pour créer un monde parfaitement dystopique.
La découverte du sexe féminin, ébauchée dans le précédent volume, montre un traitement du genre sans stéréotypes et Méto et sa compagne semblent prêts pour un avenir qu’ils auront contribué à construire, libre mais clos, imparfait mais humain. Ce dernier volume répond à toutes les questions tout en proposant une fin ouverte que chaque lecteur pourra imaginer à son gré, tant que l’œuvre lui restera en mémoire, c’est-à-dire longtemps, vu sa qualité.
Ping : Memo 657 | Littérature & Jeunesse (Li&Je)