#Bleue

#Bleue
Florence Hinckel

Syros, 2015

Un bonheur insoutenable

Par Christine Moulin

CVT_Bleue_7309La bande rouge qui entoure le livre pose directement la question clé du roman: « Jusqu’où iriez-vous pour ne plus jamais souffrir? ». #Bleue, en effet, dépeint une société où l’on permet à chacun de ne plus avoir mal grâce à l’opération d' »oblitération », mise en œuvre par la CEDE, la Cellule d’Eradication de la Douleur Emotionnelle, qui laisse sur les poignets de ceux qui en ont bénéficié un point bleu brillant. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes (plusieurs allusions sont d’ailleurs faites à Leibniz et Voltaire) si cette possibilité ne devenait une obligation, notamment pour les mineurs, et si, malgré toutes les promesses des partisans de cette intervention, on ne perdait pas, en même temps que la capacité de souffrir, celle d’aimer, de compatir, de vivre, en fait. Pour être pleinement humains, ne nous faut-il pas accepter de garder en nous-mêmes tout ce qui nous rend fragiles? Cela dit, l’auteure a l’habileté et l’honnêteté de ne pas délivrer de messages moralisateurs: elle montre bien qu’elle comprend ceux qui font le choix de cesser de souffrir, quand la souffrance est intolérable mais, parallèlement, elle dresse de magnifiques portraits de personnes debout, notamment, une grand-mère, blessée mais superbe.

Ces interrogations sont portées par une belle histoire d’amour, celle entre Silas, le héros, et Astrid. Chacun parle à son tour, ce qui permet des effets de point de vue bien venus, au service du suspens, entretenu d’un bout à l’autre, et du propos.

Mais tout cela ne serait rien sans la description fort réussie de la société à peine futuriste dans laquelle l’histoire se déroule. C’est ce qui rend le roman haletant et troublant. Presque rien ne manque pour qu’on reconnaisse, à peine soulignées, les tendances inquiétantes de notre monde: c’est la crise, si bien qu’on sacrifie tout à son emploi, les vacances, les rêves, l’esprit critique, mais aussi sa personnalité (avoir été oblitéré est un atout pour être embauché); le bien-être béat dans lequel flottent les oblitérés permet de maintenir une paix sociale factice; il est très mal considéré de ne pas se connecter au Réseau qui enferme les connectés dans une dépendance permanente et malsaine, une fausse convivialité, insidieusement contraignante (d’où l’importance du hashtag dans le titre); les médias jouent leur rôle en noyant les informations dérangeantes dans un flot d’informations inutiles, maintenant ainsi un faux air de démocratie. Même les détails sont soignés: il devient plus intéressant de regarder les pubs que les films car elles sont mieux réalisées!

La fin pourrait paraître un peu trop « rose », « happy end »; peut-être est-ce simplement parce qu’elle survient un peu trop rapidement. Mais elle a le mérite de délivrer un message d’espoir, qui, lui, n’est pas factice, malgré tout,: « il faut rester vigilants pour ne pas basculer […] dans l’inhumanité ».

La page du site de l’auteur consacrée à Bleue.

Poème à compter, Numéralia

Poème à compter, Numéralia
 Jorge Lujan, Isol (ill.)
Syros, 2014

Le porte-plume redevient oiseau (1)

Par Christine Moulin

numeraliaL’album à compter, comme l’abécédaire, « s’est peu à peu libéré du carcan pédagogique pour investir sans doute un autre territoire : celui de la création », pour « se métamorphoser, entrer en littérature » et devenir « une invitation à la rêverie, à la quête – plaisante, inédite, voire déroutante et subversive – du monde des mots [et des nombres, en l’occurrence] et de ses représentations imagées » (2). La réédition en petit format à couverture souple de Poème à compter, Numéralia nous le redit avec bonheur.

Tout nous rappelle le monde scolaire: les pages de titre qui ressemblent à celle d’un cahier, le titre écrit au crayon de couleur, le graphisme délicieusement et artistiquement maladroit (voir la chronique consacrée à Mes chaussons toutous, des mêmes auteurs), jusqu’au 10 en rouge, à la fin de l’ouvrage, qui semble indiquer la reddition de l’institution, amenée à mettre la meilleure des notes à un élève pourtant très gribouilleur et fort peu attentif…

Car tout est rêve dans cet album poème. Les phrases qui accompagnent chaque nombre sont toutes plus inattendues les unes que les autres et, fragmentaires, ouvrent vers un univers suggéré de références qui font de la lecture une sorte de « lecture augmentée ». Tout commence par le zéro (ce qui est rare dans le genre, qui préfère sagement débuter par le 1) et ce zéro est un œuf, immense, couvé par un minuscule oiseau qui, les yeux clos (3), semble se réjouir d’une prochaine naissance,  mais aussi un œuf qui tient debout: c’est dire que nous embarquons pour une nouvelle Amérique… Le 2 fait allusion au Vilain Petit Canard (mais n’est pas canard celui qu’on croit -4-). Le 6 introduit les Trois Mousquetaires (eh oui, il suffit de les faire se refléter dans une mare!). Classiquement, le 7 est associé à Blanche Neige: on en serait presque surpris… Mais à côté des clins d’œil, on peut apprécier aussi les instants de pure poésie: les 5 doigts sont les « habitants secrets des gants », le 8, en forme de sablier, mais aussi bien sûr, d’infini, est là « pour que s’écoule le sable des heures ».

Et tout cela ne serait rien sans les illustrations qui créent des liens subtils entre la page de gauche (celle du texte) et la page de droite (celle de l’image): répartition qui est celle des livres illustrés, des livres de prix, mais sans cesse remise en cause, comme l’école par le cancre, comme l’album à compter par la poésie, par la circulation des formes, des personnages, des lignes, en un joyeux ballet subversif. Si bien que le lecteur est amené à voir dans les choses du monde les silhouettes des chiffres (dans un minuscule drapeau, celle du 1; dans une chaise renversée, celle du 4, etc.) mais aussi dans les chiffres les échos assourdis du monde.

Pour son plus grand plaisir.

(1) « Page d’écriture », Jacques Prévert, Paroles, Gallimard

(2) Nelly CHABROL GAGNE, « L’O de l’A littéraire ou rêveries à partir des lettres de quelques abécédaires », http://eprints.aidenligne-francais-universite.auf.org/371/

(3) cf. http://www.publishersweekly.com/978-1-55498-444-2

(4) cf. http://smithsonianapa.org/bookdragon/numeralia-by-jorge-lujan-illustrated-by-isol-translated-by-susan-ouriou/

Des ados parfaits

Des ados parfaits
Yves Grevet
Syros, 2014

Mini « Meilleur des mondes »

Par Christine Moulin

des-ados-parfaits-505670-250-400La science-fiction pour les plus jeunes n’est pas très abondante. On ne peut donc que se réjouir de la publication de ce livre qui peut être lu dès 10 ans, me semble-t-il. Le narrateur, Antoine, est un élève parfait, parfait au point que dès les premières lignes, son ton compassé met en alerte un lecteur habitué aux débordements de l’adolescence: « J’apprécie d’être à ses côtés [aux côtés de Célia, une camarade] parce qu’elle ne parle que pour dire l’essentiel et que je tiens à rester concentré pendant les cours ». Suspect…! Dès les premières pages, un mystère s’installe: certains élèves de la classe (dont Antoine et Célia) reçoivent une mystérieuse enveloppe, destinée à leur famille. Quand Antoine donne la sienne à ses parents, ils paraissent inquiets… On apprend également que sur le Tableau Blanc Interactif (science-fiction oblige!) est apparu, quelques jours plus tôt, une menaçante inscription : « Dehors les sept usurpateurs ».

Au début, Antoine ignore tous ces signes car il a une « totale confiance » dans les adultes. Mais peu à peu, en même temps que Célia, il est de plus en plus intrigué, d’autant que celle qui va devenir son amie, elle, a lu le papier: « Elle a le droit de savoir »…

C’est ainsi que débute une intrigue haletante sur fond de meurtres et de secrets, parsemée d’indices qu’il s’agit de relier entre eux pour découvrir, presque en même temps que les héros, l’effrayante solution que l’on a trouvée, dans ce monde à peine futuriste, pour régler les problèmes d’éducation.

Le thème en est passionnant et devrait parler aux enfants et aux adolescents à qui on serine toujours qu’ils ne sont pas parfaits et qui ont l’impression de ne pas répondre aux attentes démesurées, voire déraisonnables, de leurs parents. Antoine et Célia vont braver les dangers, abandonner la sécurité anesthésiante d’un foyer faussement protecteur, pour affirmer leur identité et pour affronter la vérité, même douloureuse. C’est le prix qu’ils doivent payer pour être libres.

PS : Une première version est parue dans le magazine Je bouquine, janvier 2012

Ava préfère l’amour

Ava préfère l’amour
Maïté Bernard
Syros, 2014

Et de quatre !

Par Christine Moulin

ava-prefere-l-amour-432957-250-400Nous avions déjà suivi les aventures d’Ava dans son périple à travers l’Archipel de la Manche. Dans ce quatrième volume de la série, cap sur Aurigny! On retrouve les ingrédients habituels: le cadre, brièvement décrit mais de façon assez évocatrice pour que le parfum de la mer arrive jusqu’à nous, la peinture de la société des fantômes, avec ses personnalités bien campées, ses drames et ses rivalités et surtout, l’analyse du caractère d’Ava, timide, pleine de scrupules, généreuse. Elle évolue doucement, au fil des tomes, grandit, s’émancipe (jusqu’à faire des « bêtises » en forme de fugue), tombe amoureuse de jeunes gens aussi beaux que gentils, mais malheureusement, un peu déboussolés par ses attitudes parfois déroutantes. Comme à l’ordinaire, elle se retrouve confrontée à toutes sortes de situations surprenantes et dangereuses et s’en sort avec brio, tout en se disant qu’elle est nulle! L’intrigue, d’ailleurs, plus linéaire que dans les tomes précédents, y gagne en clarté et en suspens.

Pourtant, cette fois, la « recette » semble moins réussie, ou elle est plus visible, justement: comme dans le tome III, c’est un secret qui constitue le coeur de l’action, un secret qui concerne la mère d’Ava, cette fois. Bien sûr, on comprend bien que c’est là la richesse de ces histoires, toutes fondées sur l’idée qu’il faut pour avancer, clarifier le passé pour qu’il cesse de nous hanter: les fantômes qu’il s’agit de « consoler » en sont les vivants (si j’ose dire…) symboles. Cela dit, on se demande quand même pourquoi tout d’un coup, le projecteur est braqué sur la mère d’Ava, alors qu’elle était jusqu’alors un personnage dans l’ombre, plutôt secondaire. Pour le cinquième tome, est-ce que ce sera son père qui tiendra la vedette?

Tout cela pour dire qu’on attend quand même avec intérêt ce cinquième volume, surtout qu’il est arrivé quelque chose à un personnage important et attachant…

La mort préfère Ava

La mort préfère Ava
Maïté Bernard

Syros, 2013

Consolatrice tu seras

par Christine Moulin

cvt_La-mort-prefere-Ava_3036Depuis Harry Potter, le lecteur apprécie que le héros d’une série évolue, grandisse, mûrisse. C’est le cas pour Ava, et c’est tant mieux car la maturation de l’écriture accompagne celle de l’héroïne.

D’abord changement d’île. Nous voici à Guernesey, ce qui nous permet de visiter la demeure de Victor Hugo, Hauteville House, ou plutôt, dans un premier temps, de ne pas la visiter, les horaires étant confidentiels (ce qui correspond assez bien à la réalité!) pour ensuite apprendre ou retrouver toutes sortes d’anecdotes sur le célèbre écrivain, bien amenées et bien choisies, en accord avec le cadre fictionnel: c’est ainsi que l’auteur insiste sur l’inscription gravée sur un mur, Absentes adsunt (les absents sont présents), ce qui fait écho au destin d’Ava, sans cesse confrontée à des fantômes. Dans le même ordre d’idées, l’auteur donne une explication toute personnelle du phénomène des Tables tournantes. C’est une des connaissances d’Ava, Joséphine, qui répondait, en fait, au grand homme: « pendant que Victor Hugo croyait parler avec Chateaubriand, Dante, Racine, Marat, Charlotte Corday, Robespierre, Louis XVI, Napoléon 1er, Mahomet, Jésus, des animaux bibliques et les fantômes de sa maison, il a parlait à Joséphine qui avait la culture, l’imagination, la versatilité et l’à-propos nécessaires pour tromper un des esprits les plus  brillants de son temps ». Voilà un mystère d’éclairci!

Mais de façon moins périphérique, le roman développe deux dimensions qui lui donnent tout son intérêt : la dimension sentimentale, Ava ayant du mal à concilier sa « vocation » de consolatrice et ses histoires d’amour, ce qui, mutatis mutandis, ne la distingue guère des jeunes femmes d’aujourd’hui; la dimension politique: Ava essaye toujours d’organiser le système d’aide à apporter aux âmes errantes et se heurte à des factions et des luttes pour le pouvoir dignes des entreprises modernes. Le côté fantastique renvoie assez « naturellement » à des faits de société actuels. Maïté Bernard est, en quelque sorte, notre JKR à nous, sans pour autant la plagier.

Enfin, comme dans les tomes précédents, un mystère est au cœur du livre: le projecteur éclaire progressivement le passé de Cécilia, le mentor d’Ava.

On a donc affaire à une véritable série, qui n’est pas artificiellement divisée en plusieurs tomes, tous plus épais les uns que les autres, pour obéir aux nouvelles lois du « marketing », une série qui progresse véritablement, prend de l’ampleur et de l’épaisseur.

 

Ava préfère les fantômes et Ava préfère se battre

Ava préfère les fantômes
Maïté Bernard
Syros, 2012

et Ava préfère se battre
Syros, 2013

Le fantôme d’Alice?

Par Christine Moulin

avaOn dirait que ce serait « un » Alice, oui, Alice, de Caroline Quine (d’ailleurs, Ava/Alice… Non? Je vais trop loin? Bon…) Et alors, on aimerait bien.

Beaucoup de ressemblances, en effet, peuvent faire songer, en plus moderne, bien sûr, à l’indestructible succès de la Bibliothèque Verte.  Sans avoir perdu sa mère, l’héroïne, solitaire, est en butte à l’indifférence de ses parents qui se débarrassent d’elle pour mieux divorcer et l’envoient à Jersey, chez son oncle (qui, lui, ressemble beaucoup au père du Club des Cinq). Elle se trouve alors mêlée à une aventure rocambolesque: toutefois, comme les enfants sont plus « solides » de nos jours, ce ne sont pas les vols qui se multiplient mais les meurtres, sur fond de secret de famille, de plans indiquant un trésor viking, de grottes reliées à un château par de sombres souterrains plus glissants les uns que les autres, de croix qui bougent de place, d’empoisonnements divers et variés, etc.

L’intrigue, pleine de rebondissements, est compliquée, pour ne pas dire touffue, pour ne pas dire difficile à comprendre, pour ne pas dire invraisemblable. Toutefois, l’intérêt est ravivé par la particularité d’Ava: elle voit les morts et découvre, dans ce premier livre d’une série (dureté du marketing oblige…), qui elle est vraiment. Ce qui nous promet un tome 2, joliment annoncé, il faut le dire: « Mais elle était là maintenant, modeste, curieuse, travailleuse, et bientôt elle ferait partie de ceux grâce à qui tout est à sa place dans le monde ». Phrase révélatrice du caractère de notre héroïne: timide, embarrassée de son don, elle n’est pas du tout une « supergirl » mais bien plutôt une jeune fille de bonne volonté, ce qui la rend plutôt sympathique. Enfin, quelques trouvailles stylistiques, dont on aimerait qu’elles soient plus nombreuses, réveillent parfois le lecteur: « […] on m’a raconté que tu t’étais battue bec et ongles, ou plutôt petites assiettes et vases, pour nous défendre ».

Sans attendre avec une très grande  impatience de lire la suite, on s’y résout volontiers.

(Quelques jours plus tard)

liv-2631-ava-prefere-se-battreEh bien, voilà qui est fait et ce deuxième tome est une bonne surprise: il comporte encore une intrigue policière mais l’enquête se déroule uniquement dans l’univers des fantômes car c’est sur eux, leurs mœurs, leur organisation, leurs rivalités, leurs luttes pour le pouvoir que se focalise le roman. Ce qui le rend à la fois plus original et plus alerte que le premier. De plus, Ava mûrit et assume son rôle de « Consolatrice » : cela laisse place à des dialogues intéressants où elle essaye, telle une « psy », de comprendre ce qui bloque les fantômes et les empêche de mourir en paix et de trouver les mots qui pourraient les délivrer. A cela s’ajoutent le récit d’une mignonne amourette et l’évocation de Jersey (et de Victor Hugo : on comprend pourquoi il a cessé de faire tourner les Tables à Guernesey et qui a véritablement écrit « Au Lion d’Androclès« , le poème qui se termine par:  « Et, l’homme étant le monstre, ô lion, tu fus l’homme. ») : que souhaiter de plus ? Peut-être lire le tome 3 : La mort préfère Ava…, d’autant que d’après les on-dit, l’action se déroule à Guernesey!

Sato lapin et la lune

Sato lapin et la lune
Yuki Ainoya
Syros, 2012

Et si on transformait la lune ?

Par Noémie Masson, master MEFSC Saint-Etienne

sato_lapinDans ce deuxième recueil, Yuki Ainoya propose un nouveau rendez-vous au cœur de la nature pour Sato lapin et tous ses lecteurs. Ce personnage, étrange de prime abord car vêtu d’un déguisement de lapin blanc et rose, fait voyager le lecteur dans un monde onirique empli de douceur et d’humour. Avec ces qualités, cet album idéal pour un jeune public sait aussi faire sourire les plus grands. Le lecteur est happé dès la première double page par le décalage de l’histoire qui, d’emblée, crée l’atmosphère de l’album : l’œil est invité à suivre plusieurs petites illustrations aux formes arrondies placées en demi – cercle autour d’un motif central.

Sato lapin joue avec la lune et la transforme en n’importe quel objet usuel. Une fois à bord du bateau lune, il est prêt à vivre toutes sortes d’aventures. L’auteur joue avec une palette de couleurs diversifiées et plutôt vives pour représenter les différents aspects de la nature et des saisons, qui sont exploitées pour créer des situations toutes plus farfelues les unes que les autres : attacher la pluie avec des rubans et donner un concert, détourner de jeunes pousses en forme d’hélices pour  faire surgir une forêt, traverser les airs dans une pelote fleurie. Tous les sens sont sollicités, ce qui confère une atmosphère de quiétude et de sérénité : respirer la végétation en prenant une délicieuse « douche de nature », s’asseoir contre le tronc d’un arbre, observer la nature la nuit, humer le parfum des fleurs.

Au service de la narration, la forme arrondie domine, seule sur la page, conjuguée à d’autres images, ou bien non cadrée, pour laisser imaginer le hors champ, où le  blanc est dominant. Parfois le blanc disparaît et le lecteur se trouve totalement immergé dans l’image. Les fonds de couleur contrastent avec des taches qui donnent aux paysages leur singularité, créant un monde onirique renforcé par la poésie du texte, souvent proche du haïku. L’attention du jeune lecteur est toujours attisée par de nombreuses onomatopées. Le lecteur se laisse emporter dans des aventures simples et inattendues au travers desquelles la nature est célébrée : il lui suffit de se laisser emporter.

Nox, t. 1 : Ici-bas et Aerkaos, le retour

Nox, t. 1 : Ici-bas
Yves Grevet
Syros, 2012

Cadeau d’ados : SF en série

Par Anne-Marie Mercier

noxC’est une très bonne nouvelle que le retour d’Yves Grevet dans le genre de la science-fiction – plus précisément de la dystopie. Il renoue avec le talent qu’il avait montré dans la trilogie de Méto. Comme dans cette œuvre, il allie inventivité et simplicité, chocs de mondes et d’êtres peu fait pour se rencontrer, réflexion sur la société et l’exploitation des faibles par les puissants.

Le monde de Nox est peu attrayant et ressemble au monde que l’on nous promet si nos habitudes de consommation ne changent pas. Autant dire qu’il est un manifeste écologique « catastrophiste », tentant de convaincre, à la manière du « prophétisme catastrophiste » (voir les analyses de J-C. Dupuis) une humanité sceptique. Les pauvres vivent dans le monde de la « nox », perpétuel brouillard de pollution ; il s’y éclairent à la dynamo et l’on voit des patineurs acharnés, ou des cyclistes faisant du sur-place afin d’alimenter un éclairage, une machine… ils se dirigent aussi à l’odorat et survivent avec différents métiers comme policier, récupérateur, bricoleur, éleveur de rats, recycleur de cafards… Dans ce monde on meurt très jeune.

La société est organisée de telle manière que les enfants fassent le métier de leur père et épousent en général une fille qu’ils n’ont pas choisie mais qui a été déclarée leur « compatible », censée leur donner à partir de 17 ans de nombreux enfants. La société décrite est assez proche dans son organisation sociale et politique (en dehors de la misère et de l’inégalité) de celle des romans d’Ally Condie portés par une héroïne féminine, Promise et Insoumise. Le sort des femmes stérile est également « réglé » d’une façon qui fait frémir… En haut, vivent les puissants ; au dessus de la crasse, des nuages, ils connaissent la lumière, le soleil, le confort. Ils vivent cette aisance grâce aux efforts des êtres qui rampent en dessous ou qui pédalent dans les caves – ils les ignorent ou les méprisent.

L’intrigue se noue par une suite de rencontres et d’incursions du haut vers le bas et du bas vers le haut, avec tous les dangers que cela entraine ; on y trouve aussi des amours contrariées, des amitiés en péril dans un groupe de garçons tiraillés entre résistance, terrorisme ou participation à une milice de répression, et des conflits de loyauté : amis ou famille, justice ou vérité…

La seule ombre au tableau est le choix fait par Yves Grevet de chapitres proposant des points de vues alternés ; si ce dispositif fonctionne très bien au début et permet de découvrir le monde d’en haut vu par une jeune héroïne riche et le monde d’en bas vu par un fils de « récupérateur », amoureux d’une fille qui refuse d’être mère, et par d’autres jeunes gens de son âge, le récit s’essouffle un peu dans le milieu du roman : les personnages vivant les mêmes événements, la différence dans leur manière de les vivre n’est pas assez constante pour que l’on sente une vraie nouveauté. En revanche, les derniers chapitres, dans lesquels on voit exploser les couples, le groupe et les familles, et se fissurer la société, reprend une belle allure et laisse impatient de connaître la suite !

aerkaosEnfin, une autre bonne nouvelle pour les amateurs de science fiction : la réédition de la trilogie Aerkaos de Jean-Michel Payet, publiée chez Panama en 2006 et quasi introuvable depuis la fin de cette belle maison d’édition, est réédité chez la très belle maison d’édition qui a repris le flambeau (et plus encore), Les Grandes personnes.

Les aigles de pluie

Les aigles de pluie
Eric Simard
Syros,  2011

Indiens du futur

Par Christine Moulin

aigles-de-pluieD’Eric Simard, nous avions déjà lu L’enfaon.  Les mêmes atouts se retrouvent dans ce nouveau roman : il s’adresse aux plus jeunes et l’écriture, quoique simplissime, reste exigeante, voire poétique. C’est un livre de science-fiction, bien que la science soit très en retrait, cette fois, au même titre que l’anticipation. En fait, seul le contexte se rattache au genre: Choden et son amoureuse, Tirdyk, vivent sur une planète, Aiaé, que les Terriens ont colonisée. Ceux-ci se sont entretués mais nos deux héros (dont on ne sait pas grand-chose, même pas l’âge) sont les descendants des « gentils », de ceux qui ont refusé la violence. Ce sont des enfants-pluie qui peuvent se fondre l’un et l’autre en esprit dans le corps d’un rapace et, par leur vol, provoquer la pluie bienfaisante. C’est pourquoi on a surtout l’impression de lire une histoire d’Indiens, rehaussée d’un message écologique.

Le clan de Tirdyk et Choden subit l’attaque des Kins, avides de l’eau dont leur propre cupidité les a privés : les deux enfants sont faits prisonniers. Mais tout sera bien qui finira bien, évidemment. Bien… mais un peu vite : le dénouement arrive trop tôt, trop facilement et en devient presque invraisemblable. Sinon, le récit reste positif et il peut sans doute intéresser les plus jeunes ou les lecteurs effrayés par la grosseur des volumes…

 

Comme ci ou comme ça

Comme ci ou comme ça           
Anne Terral, Bruno Gibert

Syros, 2011

La Poursuite infinie

par Charlène Minot master MESFC Saint-Étienne

Comme ci ou comme ça, par ici ou par là, celui-ci ou celui-là…autant de suggestions qui tissent la trame d’une formidable histoire sans fin, celle de cet album, celle de la vie.

Dès les premières pages, on constate que l’écriture inspirée d’Anne Terral est instantanément transcendée par l’imagerie extraordinaire de Bruno Gibert. Le lecteur dérive au fil des illustrations qui s’enchaînent, des lieux qui se suivent et se poursuivent, des scènes qui se devancent et se distancent comme pour signifier que ces images n’en feraient qu’une, en perpétuel état de création cyclique, à l’instar de la ronde des personnages en couverture. Nos yeux sont alors attirés par les rectangles blancs qui soutiennent cet art, espaces vierges sur lesquels flottent des mots étranges, presque philosophiques et, en bien des sens, poétiques.

Le sens de l’histoire, au propre comme au figuré, est le sujet-même de cet album, c’est pourquoi il est difficile de désigner un personnage principal. Peut-être est-ce ce grand félin rouge humanoïde, possible allégorie de l’écrivain qui poursuit un livre aux pages blanches qui lui échappe dans un dédale imaginatif. Peut-être s’agit-il justement de ce livre dont le relief n’égale que le vide de ses pages, si ce n’est nous, lecteur. À ce propos, le texte, plutôt adapté aux enfants dès 6 ans, a pris la liberté de tutoyer son lecteur. « Ton histoire », lirons-nous à plusieurs reprises, « Car ton histoire comme ci, toi seul l’écrit comme ça. ». Il est possible d’interpréter ce choix narratif de proximité comme une invitation pour le lecteur à laisser libre cours à son imaginaire, à s’auto-contextualiser par choix et non par nécessité existentielle.

Les illustrations retranscrivent cet état d’esprit, cette idée de multiples univers et de possibles narratifs. Dans un style pseudo-naïf, elles parviennent habillement à combiner de méticuleux collages un brin rétros, des aplats de couleurs bruts, des tampons en série et une panoplie de créatures fantastiques allant du poisson géant au super héros en passant par une sorcière ou encore un gentleman lunaire qui ravira les amateurs de surréalisme. Nous sommes encouragés à suivre ce parcours ludique, cette folle course en avant qui met en perspective une voie mais nous laisse le choix du moyen de transport et de la destination.