Je suis sa fille

Je suis sa fille
Benoît Minville

Sarbacane, 2013

Fuck la crise ?

Par Matthieu Freyheit

Je suis sa filleSuite à la perte de son emploi, le père de Joan braque une banque, armé d’un faux revolver. La manœuvre tourne mal : un policier lui tire dessus, le laissant entre la vie et la mort. Pour Joan, c’est la débâcle sentimentale. Celle de la colère. De la rage. Ce qui pourrait s’apparenter à une descente vers le fond se transforme en poussée vers l’avant : Joan prend la route avec son meilleur ami, Hugo. Leur but ? Tuer. Qui ? Un représentant de ce système écrasant qui a brisé l’existence du paternel. S’engage un road-trip sur les routes de France, direction Nice. Un road-trip textuel également, où se répondent des voix intérieures et les voix extérieures, les joies du voyage et le refus du monde, et les angoisses de savoir l’arme toujours cachée dans la boîte à gants : d’une manière ou d’une autre, tout est dit, tout est exprimé, sauf l’essentiel, qui reste douloureusement coincé dans les tripes de Joan. Tout cela sur fond de hard rock, comme pour libérer et accompagner ce cri refoulé, et cette décision difficile à assumer.

Un livre anti crise ? Peut-être, si ce n’est que ce livre anti crise ne parle que de la crise : économique, sociale, mais surtout sentimentale. Le parti-pris narratif de l’auteur restitue la complexité du ressentiment : les italiques répondent aux majuscules, comme pour manifester dans le texte l’insurrection de l’héroïne, qui n’en est pas tout-à-fait une. Submergée, Joan se laisse guider par Hugo et par ce mot d’ordre : Fuck ! Vraiment original ? On frôlerait la caricature adolescente dans cette répétition insolente, ou dans les mauvaises farces d’Hugo, personnage qui peut agacer plus qu’émouvoir. Mais cette caricature est elle-même un jeu pour détourner le torrent des émotions, pour éviter la confrontation de soi à soi. D’où un malaise devant le comportement des adolescents, qui n’est que le résultat d’un malaise situationnel : l’aventure sera-t-elle en mesure de canaliser les rages de Joan ? Les détours imposés par Hugo freineront-ils la détermination de la jeune fille ? sèmeront-ils en chemin son besoin de destruction, de vengeance ? Le flux de ses paroles, volontairement vaines, parviendront-elles à briser les voix qui hurlent en Joan et cisaillent la narration ?

Tout cela semble parfois passer au second plan, et la présence de l’égocentrique Hugo peut par endroits gâcher ce que le livre contient de sensibilité. D’autant que l’aventure parallèle de son frère, franchement cocasse, suffit pour le lecteur à apporter le degré d’humour nécessaire au désamorçage du drame. Le discours social, quant à lui, n’est pas totalement dénué d’une certaine stéréotypie populiste qui veut que le malheur vienne d’en haut. Mais enfin, qu’importe : le genre du road-trip adolescent méritait d’être investi, et le rapport à la musique et à la culture parentale fonctionne bien. Blanche, rencontrée en chemin, parvient à changer la violence en douceur, et s’attache l’affection des personnages comme du lecteur. Joan (un hommage à Baez ?), quant à elle, prise entre crises de larmes et crises de rires, va peu à peu traverser la France et se traverser elle-même de part en part, vers ce qui devait arriver, inéluctablement. Mais cela, je vous laisse le découvrir.

On peut ne pas être convaincu. Soit. Il reste que Benoît Minville essaie d’être une force de proposition avec un roman comme il n’en a pas encore été écrit, et qui comporte une vraie prise de risque.

 

Vous trouverez, aux liens suivants, quelques critiques enthousiastes :

http://culturez-vous.over-blog.com/article-benoit-minville-je-suis-sa-fille-roman-a-partir-de-15-ans-250-pages-sarbacane-xprim-septembre-119869504.html

http://luciebook.blogspot.fr/2013/08/je-suis-sa-fille-de-benoit-minville.html

http://lebruitdeslivres.blogspot.fr/2014/02/je-suis-sa-fille.html

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