Tout au bord

Tout au bord
Agnès de Lestrade (texte) et Valeria Docampo (illustrations)
Alice Jeunesse

Oser l’imaginaire

Par Michel Driol

toutaubordOn suit un ours bleu du bord de son lit au bord du bord, en passant par le bord de l’hiver, le bord de la mer, le bord de l’ennui, le bord des livres, le bord des larmes et le bord de toi. Le dispositif narratif se répète à chaque fois : une première double page, avec quelques lignes de textes posant la situation, puis une seconde double page, construite autour d’un mot valise (demain je moutonnerai, je m’hiverneigerai…).

L’album trace un véritable parcours initiatique et poétique, qui explore d’abord l’univers connu de l’ours bleu. On y trouve aussi bien l’univers intérieur de la chambre, avec ses moutons de poussière, le jardin en hiver et l’éphémère bonhomme de neige des voisins,  la mer et les grains de sable de la plage, qui ont des milliards d’années. Dominent l’ennui, la solitude, le silence, le chagrin, sentiments que renforcent les illustrations, avec leur dominante de couleurs froides, qu’éclaire toutefois une toute petite tache jaune portée par un objet (arrosoir, grains de sable…). Les quatre dernières pages qui terminent le parcours, montrent l’ours allant explorer l’autre côté, l’autre côté de la montagne avec l’autre, un petit personnage jaune et ailé, avant d’aller dans l’inconnu, qui inquiète. Il faut oser sauter, prendre le risque d’affronter quelque chose de moche ou de raté…, pour finalement inventer. « Demain, j’inventerai » : avec ce premier verbe qui n’est pas un mot valise, sur une page aux couleurs chaudes (même l’ours est devenu jaune) se termine l’album, comme un appel à la créativité et à l’audace. Il faut sortir de soi, des routines du quotidien pour Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! (Baudelaire Le Voyage).

Le texte d’Agnès de Lestrade, dans la rigueur de son écriture, a une véritable valeur poétique : strophes commençant par l’anaphore Tout au bord, incluant de façon régulière un « il y a », néologismes des mots-valises de la chute, autant de petits joyaux de création verbale (Demain, je m’enlarmerai), métaphores évocatrices (Est-ce que mes chagrins se jettent à la mer ?). Les illustrations de Valeria Docampo évoquent un univers surréaliste, à la fois naïf et inquiétant dans ses jeux d’ombres et de lumières.

Tout au bord, entre aujourd’hui et demain, entre réalité et rêve, invite subtilement les enfants à se placer dans les marges plutôt qu’au centre, à prendre le risque du déséquilibre, de la créativité et de l’audace plutôt que de se contenter du confort intellectuel.

Une réflexion sur « Tout au bord »

  1. Vous êtes ma plus belle découverte cette année. Votre travail est unique exceptionnel. On essayera de vous imiter comme plusieurs essaient d’imiter Rebecca Dautremer, mais comme elle, votre univers est tellement personnel et original que vous seule en avez les clés. Et c’est heureux. Merci de nous offrir De di belles histoires si magnifiquement mis en images.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *