Les sauvages

Les Sauvages
Mélanie Rutten

MeMo, 2015

Un jour, on partira (pour de vrai)

par François Quet

 

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Cela commence dans la nuit où se déplacent deux ombres en fuite. Ça continue dans une clairière où les ombres, devenues « elle » et « il » à la faveur d’une bougie et d’une allumette, s’amusent à grandir en compagnie de créatures de paille ou de pierre : le sauvage qui fait peur, celui qui rêve, celui qui pense toujours aux autres et, surtout, celui qui s’occupe de grandir. La clairière est une utopie heureuse où chacun a sa place : on construit une cabane, qu’on décore, où l’on dort, où l’on joue, où l’on met de l’ordre. Le temps s’arrête.

Mais soudain tout va mal : « La clairière rétrécit et devint si petite, si sombre que tout se mélangea ». On se fâche, on s’effraie, le petit cesse de grandir. Puis le jour se lève et condamne au silence et à l’oubli le désastre de la nuit : « C’était bien, hein ? ». D’autres jours viendront, et à nouveau, tout sera possible.

Au début du récit, les deux petits personnages circulent en radeau entre les longues pattes d’araignées des arbres de la mangrove : encres bleues ou noires, délavées, presque lumineuse. Rien de menaçant dans cette nuit qui est « leur nuit » sous les branches des arbres qui se penchent pour les protéger. Les encres sombres s’éclairent peu à peu d’aquarelles dorées et liquides, jusqu’au petit matin rose de la dernière page. Pourtant ce n’est pas une histoire à l’eau de rose que raconte Mélanie Rutten dans cet album magnifique. La catastrophe est toujours proche, même au sein de la plus vive lumière. On comprend qu’il n’est question que de grandir : pour « le petit » sans doute — que l’illustration représente comme une sorte d’ourson en peluche —, mais aussi pour les héros, le petit garçon et la petite fille — que l’on tarde d’ailleurs à nommer ainsi —. A l’orée du récit, comme pour acter une nouvelle naissance symbolique qui fera d’eux des sauvages parmi les sauvages, les deux enfants échangent leurs vêtements dans le noir, se roulent dans la boue en criant, puis se glissent dans le tunnel d’un tronc d’arbre pour réapparaitre dans la lumière. Il suffirait d’une dispute pour que l’obscurité et le désordre reviennent : fini de grandir ! Que se passe-t-il ? est-ce de ma faute ? est-ce qu’on m’aime toujours, se demande-t-on quand on est « le petit » .

Quel beau livre ! certes, Mélanie Rutten conduit ses héros à la rencontre de monstres bienveillants et complices, qu’il n’est pas nécessaire de dompter parce que la menace n’est pas extérieure ; elle invite à rêver ce moment d’harmonie que guette la dissolution, mais elle rassure aussi puisque la promesse du possible et du toujours est la réponse offerte au trouble et au rêve de la nuit.

 

Une réflexion sur « Les sauvages »

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