U4. Jules

U4. Jules
Carole Trebor
Nathan / Syros, 2015

U4- la filière parisienne

Par Anne-Marie Mercier

Sur le projet global de U4, voir sa présentation dans un article précédent.

u4-julesDans le volume de Carole Trebor, le personnage central est Jules, un adolescent un peu enveloppé, accro au jeu en ligne Warriors of Time. Lorsque le roman commence, Jules est prostré dans l’appartement parisien proche du jardin du Luxembourg où il a attendu en vain le retour de ses parents et de son frère. Il a passé le temps en voyant les informations sur l’épidémie et les consignes demandant aux habitants de ne pas sortir de chez eux. L’électricité est coupée, des rats envahissent l’immeuble et son appartement, l’attaquent. Lorsqu’il sort, il est pris par l’odeur des cadavres qui n’ont pas pu être enlevés, pestilentielle – et de fait ce sont les lointains souvenirs de la Peste de Marseille du début du 18e siècle qui hantent ces romans, notamment celui-ci : Carole Trebor insiste beaucoup sur les odeurs, les sensations diverses d’horreur, de dégoût et de terreur, sur la difficulté à se débarrasser des cadavres comme à les ignorer. Jules n’est pas un super-héros, en tous cas pas semblable celui qu’il incarnait dans le jeu sous l’avatar de Spider Snake, même s’il essaie parfois de s’accrocher à cette identité.

Jules est un corps, un corps qui se sent trop lourd, qui prend des coups, qui souffre, qui se souvient le lendemain des blessures de la veille. Les rencontres avec Koridwen sont pleines d’humour (pour qui a lu ce volume avant), tant le regard de cette fille sur Jules souffre d’un manque d’information sur les raisons qui rendent celui-ci lent à la détente ou le font paraître hébété ou insouciant. Chez Carole Trebor, les blessures ont une allure de vérité, un poids, cela tranche sur l’allure de jeu vidéo de la plupart des romans d’aventures pour adolescents. Elles ont aussi un avenir : la jeune fille mordue au visage par un chien sait qu’elle ne sera plus jamais comme avant. Le souci de réalisme donne aussi de belles pages, notamment lorsque Jules contemple Paris.

Autant Koridwen est dure, autant Jules est tendre (volonté des auteurs de casser les stéréotypes ? que ceux que les renversements agacent se rassurent ( ?), les personnages secondaires sont encore assez genrés pour les satisfaire. La lumière de sa nouvelle vie est représentée par une toute petite fille qu’il sauve et  qui mystérieusement survit au virus alors que tous les moins de quinze ans et les plus de 18 ans ont péri (ou presque). Son chat, Lego, ne le quitte pas, même lors d’attaques et de fuites. Il est aussi amoureux de la belle « apothicaire » du groupe, autant dire infirmière (tiens, c’est une fille !), et n’ose se déclarer.

A travers Jules, on découvre un groupe qui survit grâce à l’entraide et à la mise en commun des savoirs et des ressources, à la collecte et à une stratégie d’alliances là où le groupe que côtoie Koridwen vit par le trafic d’armes et où un autre, extrêmement violent (le gang du 16e arrondissement), est composés de drogués autrefois riches et devenus tortionnaires puis collaborateurs.

Même si le groupe qui accueille Jules a recours aux armes, par le biais de l’un d’eux, fils de policier (tiens !), la violence est une défense présentée comme légitime. Celle de l’armée et des adolescents qui s’allient à elle est plus massive et l’on voit à travers le roman un portrait de Paris plongé dans la guerre civile qui évoque les heures sombres de l’occupation mais aussi le siège de Sarajevo, la Syrie…, et qui progresse en intensité, de la Salpetrière aux Olympiades ou aux tours du 13e arrondissement, passées au napalm par l’armée, avec tous leurs occupants.

La fin est tout autre que celle imaginée par Yves Grevet, sans être absolument contradictoire : intéressant !

( à suivre… prochainement, Yannis, par Florence Hinckel)

 

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