Concentre-toi

Concentre-toi
Catherine Grive – Frédérique Bertrand
Rouergue 2018

Etre ou ne pas être… là

Par Michel Driol

La narratrice de l’album expose son problème : il lui est si facile d’être déconcentrée par un oiseau qui passe ou une vache qui meugle, et de devenir l’oiseau ou la vache. Elle est prise dans un mouvement de va et vient entre les injonctions maternelles « Concentre-toi » qui la ramènent ici et le rêve et les distractions qui la font s’envoler dans une autre réalité. « C’est simple, dit la maman. Concentre-toi sur une seule chose à la fois ». Pas si simple, en fait… tant qu’on n’a pas choisi d’être là, maintenant. Mais quel est vraiment la signification de cet ultime choix de la fillette ?

Qui n’a jamais entendu cette injonction ? Qui ne l’a jamais prononcée : parent, enseignant, éducateur, entraineur ? Voilà un album qui illustre la complexité de l’univers enfantin, pris entre le réel et l’imaginaire. Les illustrations de Frédérique Bertrand, tout en douceur, nous introduisent dans un appartement où la mère repasse tandis que la fillette tente de lire. Illustrations à la perspective très enfantine.  Trois pages de zoom progressif sur la fillette, illustrant le « Je me concentre ». Puis l’univers familier se transforme : la table, le canapé, la planche à repasser deviennent des vaches,  la maman un arbre, les chaises forment une échelle pour accéder au ciel. Puis l’univers se brouille, sous l’effet des injonctions maternelles, et devient un mélange d’appartement et de nature, désordonné, ludique, mais aussi plein de taches blanches  et de lacunes. Les dernières pages illustrent une tête géante d’adulte, véritable surmoi, donnant ses instructions à une enfant minuscule, interloquée. Puis on voit la silhouette de la tête de la fillette, tandis qu’elle se multiplie sur l’image, illustrant cette incapacité à être partout à la fois, avant qu’on ne la voie de face, en gros plan, fière de sa résolution, de son choix, personnel et non dicté par l’adulte, d’être là. On pardonnera dans cette chronique la longue description du système des illustrations : mais c’est rendre hommage à l’illustratrice dont le travail tout en finesse rend perceptible et sensible la difficulté qu’éprouve l’enfant de renoncer à ses rêves pour être là.

Face à la dispersion et à l’imaginaire, l’école privilégie la concentration et la raison…  Mais être là, est-ce renoncer à tout ce qui nous entoure ? L’album laisse la question ouverte, et permet donc à chacun d’y répondre, tout en comprenant mieux ce qui se joue dans la tête d’un enfant ouvert au monde, et en dédramatisant pour l’enfant ses difficultés de concentration.

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