Va te changer !
L’Atelier du Trio : Cathy Ytak, Thomas Scotto, Gilles Abier
Editions du Pourquoi pas ? 2019
La journée de la jupe
Par Michel Driol
Le jour où Maïa présente les parents de son petit ami à sa famille, son frère, Robin, scolarisé dans le lycée où elle est surveillante, descend habillé d’une jupe qu’il a achetée à Londres. Et le lendemain, c’est en jupe qu’il se rend au lycée. Cet événement, le déclencheur d’une série de réactions diverses, va l’entrainer, ainsi que Jade, sa petite amie, et Selim, son meilleur copain, dans une spirale de haine et de violence qui ne les laissera pas indemnes… Chacun est-il libre de s’habiller comme il l’entend ? L’habit fait-il le moine ? Porter une jupe pour un garçon, cela fait jaser. Et les commentaires homophobes vont bon train au lycée.
Ecrit à six mains pour une lecture théâtralisée, le texte se divise en 10 tableaux, précédés d’un prologue et suivis d’un épilogue. Comme dans le théâtre classique, les trois unités sont quasiment respectées : une ville, une journée, une action. Ceci confère de la densité au texte, qui procède à la fois du récit, du dialogue, et du monologue intérieur. Quelques personnages se détachent : deux professeurs, dont l’un s’avère être un modèle positif de tolérance et de bienveillance. Jade, l’amoureuse, qui accepte la tenue de Robin, et dont les réflexions montrent un esprit curieux ouvert sur les problématiques du monde actuel. Nolan, le bad boy de la bande, homophobe, qui s’oppose à Selim, le bon copain. Robin, enfin, personnage principal qui prend en charge les monologues du prologue et de l’épilogue. L’une des forces de ce texte, c’est d’être dans l’action et de ne pas révéler, avant l’épilogue, les motivations de Robin. Dès lors le lecteur ne peut que s’interroger sur ce qu’il cherche. À transgresser des normes ? À provoquer ? À faire rire ? Le sait-il lui-même ? Il est embarqué dans une histoire qui le dépasse, mais qui met en jeu, au-delà du regard des autres, l’identité qu’il recherche et que cherche avec lui le lecteur. Ce n’est pas pour rien que l’épilogue reprend, vers sa fin, l’intégralité du prologue, qui tourne autour des verbes connaitre et reconnaitre. Peut-on connaitre quelqu’un si on ne le reconnait pas parce qu’il a changé d’habit ? Notre identité se réduit-elle à notre apparence ? Qui sommes-nous réellement ?
Un texte remarquablement écrit, touchant et juste, qui interroge le droit de chacun de vivre sa vie comme il l’entend et propre à ouvrir le débat sur les stéréotypes de genre et les préjugés.