Liberté
Paul Eluard – 15 illustratrices et illustrateurs
Rue du Monde 2024
Sur mes cahiers d’écolier…
Par Michel Driol
Chacun, bien sûr, connait ce poème célèbre de Paul Eluard. Mais, si 80 ans ont passé depuis la Libération, on peut toujours aujourd’hui mesurer et apprécier la force, le souffle, de cette ode à la liberté, sans cesse menacée, bafouée si souvent dans le monde. Pour que les enfants en mesurent le prix, et replacent dans son contexte historique le poème et son auteur, les éditions Rue du Monde le republient aujourd’hui, illustré par une quinzaine d’illustrateurs, comme une façon de montrer son universalité.
On saluera d’abord la diversité des illustrateurs, venus de France, d’Iran ou de Berlin. Chacun a la charge d’une double page, format à l’italienne, pour illustrer une ou deux strophes, voire un seul mot. Chaque strophe prend ainsi une couleur différente, et entraine le lecteur dans des imaginaires très différents, des imaginaires qui, pour beaucoup, sont des hommages au mouvement surréaliste, à ses collages, à la rencontre d’objets incongrus, à un univers qui fait la part belle au rêve. Chacun a tenu à établir un lien entre les vers illustrés et l’illustration, sans servilité, mais en offrant une réelle lecture du poème. Certains nous plongent dans un univers très enfantin, comme la jungle de Marc Majewski où cohabitent tigres, léopards et enfants, ou comme les cerfs-volants de Vanessa Hié. D’autres jouent sur la couleur, comme Nathalie Novi avec cet univers bleu où la barque vogue en plein ciel, ou Sandra Poirot Cherif avec le jaune éclatant et lumineux d’un ciel africain traversé d’oiseaux. Mais d’autres proposent des images plus graves, comme la jeune Iranienne Noushin Sadeghian, qui propose un face à face parfaitement construit à partir de deux compositions en triangle entre des puissants et des soldats, d’une part, noirs sur fond blanc, menaçants, et un vol de colombes blanches sur fond noir qui vient vers eux… Illustration sombre aussi proposée par Zaü, paysage marin sous un ciel menaçant, avec barbelés et bateau échoué, d’où s’échappe un vol d’oiseaux blancs… Impossible ici de citer les techniques utilisées par tous, la déconstruction cubiste de Javier Zabala, l’orientalisme de Bei Lynn qui suggère les choses… Les trois dernières pages, soit la dernière strophe et la chute Liberté, sont illustrées par Laurent Corvaisier, dans des compositions aux teintes très fauves, très lumineuses qui associent la femme, la nature et les animaux et où l’on devine parfois comme le trait ou les motifs de Matisse. Autant d’illustrations qui prolongent les mots d’Eluard dans ce qu’ils ont d’intemporel et d’universel.
Au poème, Alain Serres ajoute un cahier documentaire qui replace Eluard et le poème dans leur contexte historique. Ce sont des pages superbement illustrées de photographies d’Eluard, de Gala, de Nusch, mais aussi de reproductions de la première édition (octobre 42, antidaté à avril 42), ou d’archives historiques. Alain Serres présente ainsi une biographie d’Éluard, le replace dans son milieu familial, puis dans le monde de l’après première guerre mondiale, celui du dadaïsme et du surréalisme. S’il évoque l’engagement communiste d’Eluard, il préfère insister sur l’histoire du poème Liberté, de son écriture à sa publication, de son rôle dans la Résistance. Enfin, une double page présente chacun des illustrateurs de l’album.
Quoi de mieux, pour clore cette chronique, que de reprendre la conclusion d’Alain Serres, s’adressant aux enfants, aux lecteurs ? La liberté n’aura-t-elle pas toujours besoin de poésie, besoin de vous pour exister ?