Ce que nous sommes

Ce que nous sommes
Zep
Rue de Sèvres, 2022

… et ce que nous serons

Par Anne-Marie Mercier

Pour la plupart de ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse, Zep est surtout connu comme l’auteur de la série Titeuf. Pourtant, il développe parallèlement une carrière d’auteur de BD plus… comment dire ? plus adulte ? non, ce serait mettre sur le clivage jeunesse/adultes un avis idiot. Plus sérieux ? Mais Titeuf aborde de nombreux sujets sérieux. Plus classique, plus ligne claire, plus jeunes adultes ? SF ? Enfin, c’est différent.
Dans Ce que nous sommes, il aborde la grave question de savoir ce qu’est un homme et s’interroge sur notre destin en tant qu’espèce, à travers une dystopie.
On découvre le jeune héros en pleine mer, caressant une baleine bleue, en une apnée qui semble un peu trop longue pour être vraie, puis on le voit attaqué par un requin ; il ne peut fuir assez vite, celui-ci le coupe en deux… les cases, de bleues deviennent rouges, avant de passer à la couleur chair, le montrant allongé et pantelant.
On tourne la page, et tout devient mauve et rose, il discute tranquillement avec un ami en lui racontant son rêve qui a viré au cauchemar, puis il mange une pilule représentant un plat de lasagnes bien chaudes. Voilà, c’est de la SF, le décor est planté : un monde hyper sophistiqué dans lequel l’humanité a deux cerveaux, le cerveau naturel (mini et pas très efficace) et un super cerveau numérique stocké au Data-Brain Center. A l’âge de cinq ans, il connaissait douze langues ; il peut changer de corps, s’amuser dans des illusions de jungles peuplées de créatures à sa disposition. Il a une vie sociale aussi, des amis (croit-il). Le seul aspect qui lui donne un de profondeur est sa réticence à désactiver l’empreinte numérique de ses parents, morts deux ans plus tôt : grâce à elle il peut continuer à leur rendre visite (retour aux cases couleur chair). Serait-ce une image de ce dont rêvent bien des ados ?

Puis, lors d’une fête (étonnante) tout dysfonctionne ; il ne se souvient de rien, ne sait plus lire ni écrire, et se retrouve hors de la zone protégée des nantis, chez les humains non augmentés, qui vivent misérablement une existence de parias. De rencontres en rencontres, de dangers en dangers, il finit par apprendre dans quel monde il vit et quelle voie dangereuse a choisi par l’Humanité. Les péripéties s’enchainent, le héros fait son éducation, comme un enfant qui découvrirait le monde. Les rencontres le changent, l’amour aussi. Le dessin est beau, les filtres colorés qui impriment les cases donnent au récit une allure fantomatique.
Le message est clair : s’augmenter c’est diminuer. Stocker des données n’est pas les posséder. Rien ne remplace l’apprentissage. L’amour humain aide  lutter contre toutes les oppressions, ou presque. Zep reste un éducateur (c’est un compliment), même en SF.

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