Bal perdu / Des airs sauvages

Bal perdu / Des airs sauvages
Jo Hoestlandt / Thomas Scotto / Illustrations Manon Karsenti
Editions du Pourquoi pas ? Collection Faire humanité – 2024

Demandez-vous, belle jeunesse / Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

Par Michel Driol

Bal perdu situe son action le 31 juillet 1914, dans un estaminet des bords de Seine. C’est le soir. On a échangé des caramels et des baisers, et on danse. Il y a là Simone, qui voudrait tant que Lulu l’aime.  Et soudain tout s’arrête avec l’annonce de l’assassinat de Jaurès. Mais, plus tard, après la guerre, Lulu et Simone se marieront, et deviendront les grands parents de l’autrice.

Des airs sauvages se situe bien des années plus tard, sur le trottoir de la rue Jean Jaurès, une rue en pente dévalée habituellement par un groupe de skateurs, dont Nino, pacifiste convaincu.  Dans le dos du narrateur, déjà en train de dévaler la rue, Nino est agressé par une petite bande qui le laisse allongé sur le sol.

Deux récits bien différents par leur facture, leur sujet, qui se font écho pour évoquer, au travers de la figure de Jaurès, devenu aujourd’hui dans la bouche du narrateur du second texte « un homme inconnu », le pacifisme et la violence. Bal perdu, récit à la 3ème personne, joue sur l’articulation entre la grande et la petite histoire sur le mode du récit intimiste, délicat, pour faire naitre l’image d’un bonheur simple, populaire et ordinaire que les imparfaits du texte installent, avant le coup de tonnerre de l’annonce et le récit des minutes qui suivent, souvenirs indistincts, comme brouillés,  rapportés au plus que parfait.  Des airs sauvages, récit à la 1ère personne, évoque aussi à l’imparfait le temps du bonheur, de la bande de copains, des descentes en skate, de l’intégration aussi de cette bande de jeunes dans la rue où on les reconnait, où on les regarde. L’astuce du texte est de laisser l’agression hors champ – des agresseurs, on ne saura rien, mis à part des propos homophobes – pour laisser place au face à face quasi muet entre Nino et le narrateur, sous la plaque Jean Jaurès.

Ce que disent les deux textes, c’est le moment de la tragédie où tout bascule, où l’ordre qui semblait immuable des choses, le plaisir, l’immédiateté de l’instant, le bonheur sans nuages du vivre ensemble cesse, pour faire place à autre chose. Ce qui caractérise ce moment de basculement, c’est l’irruption de la violence, violence d’un conflit mondial dont la plupart ne reviendront pas, violence gratuite d’une bande. Ce moment de basculement signe aussi la fin de l’enfance, de l’insouciance, et l’entrée dans le monde adulte de la complexité. Pour Lulu et Simone, dans Bal Perdu, c’est le monde de l’amour, où on fonde une famille, un monde de bonheur retrouvé où l’on danse jusqu’à ce que la dernière note s’éteigne, dans un bel happy end porteur d’espoir et de vie. Pour le narrateur de Des airs sauvages, c’est le moment d’un passage de relai, où il comprend que c’est à lui d’incarner désormais les valeurs pacifistes de Nino. Pas d’idée de vengeance, ou de haine, mais une solide détermination.

Des écritures et des univers bien différents pour rendre hommage à Jean Jaurès, mais aussi pour questionner sur l’absurdité de la violence toujours destructrice, et dire l’espoir d’un monde joyeux et apaisé, à l’image des couleurs pleines de vie du cahier central d’illustration.

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