Méduse
Jessie Burton
Gallimard Jeunesse 2024
Survivante, amoureuse, trahie…
Par Michel Driol
On est sur ile éloignée de tout, où vivent depuis 4 ans Méduse et ses deux sœurs. Méduse, la plus jeune, a refusé les avances de Poséidon, qui l’a violée dans le temple d’Athéna, avant de le détruire. Vengeance de la déesse, qui transforme les cheveux de Méduse en serpents, et lui donne le pouvoir de pétrifier les hommes. Mais lorsqu’arrive sur l’ile Persée, et qu’il discute avec Méduse, les deux adolescents comprennent que leurs histoires ont bien des points communs. Toutefois, Persée a une mission : rapporter la tête de Méduse… et Méduse sait qu’elle a le pouvoir de le détruire s’il la regarde…
Voilà une belle réécriture du mythe de Méduse. Ce personnage est surtout connu par l’iconographie monstrueuse, et le roman de Jessie Burton donne à lire un autre personnage, une jeune femme, humaine, tellement humaine. C’est elle qui est la narratrice, qui explique sa courte vie, et laisse percevoir sa détresse, ses sentiments, son désir d’amour. Elle est doublement victime, victime du désir de Poséidon, victime ensuite de la vengeance d’Athéna, qui s’en prend à elle, simple mortelle, et non au dieu coupable. Les serpents sur sa tête ont tous un nom, une personnalité. Ses deux sœurs sont très aimantes et protectrices à son égard, constituant une structure familiale qui supplée à l’absence des parents. On est donc très loin, avec ce personnage touchant, fragile, qui tente de se reconstruire son humanité, sa féminité, après la double violence d’un viol et d’une métamorphose qui l’a privée de la beauté et des espoirs de ses 14 ans. Quant à Thésée, il est aussi une victime des dieux, victime qui tente de préserver et de sauver sa mère du tyran Polydecte. Sans jamais le voir, Méduse tombe amoureux de lui, à travers leurs discussions. C’est un premier amour, est-ce un amour impossible ? Elle le comprend, et il semble la comprendre. Elle se sent enfin en confiance, éprouvant pour la première fois un sentiment amoureux, tout en ne révélant pas sa véritable identité, jusqu’au moment où Thésée lui annonce quelle est la tâche qu’il doit accomplir pour sauver sa mère. On perçoit alors tout le désarroi de la jeune fille…
Le roman parvient donc à proposer une relecture très féministe du mythe de Méduse, revisitant ainsi la mythologie, tout en restant fidèle à l’essentiel : les rapports entre des hommes et des dieux tout puissants, qui se jouent d’eux, la notion de destin, la mince ligne qui sépare l’humain du monstre. C’est aussi la question du récit qui est posée ici, lorsque Méduse apprend qu’elle est devenue la Méduse, et que d’une jeune fille on a fait un mythe monstrueux qui ne lui ressemble pas. Tout est affaire de discours, d’un logos qui nous échappe Ce roman s’inscrit dans tout un courant contemporain qui cherche à repenser la mythologie et le rôle qu’elle fait jouer aux hommes et aux femmes. On y voit des hommes et des dieux, violents, tout puissants, agresseurs sexuels des femmes dont ils font des victimes : une société où règne un patriarcat sans partage. Cette réécriture invite à trouver l’humain au sein de chacun et de chacune, à ne pas se fier aux apparences, mais à chercher une beauté intérieure. Ayant survécu à la violence des dieux, amoureuse d’un jeune homme qu’elle n’a jamais vu, Méduse sera pourtant trahie par lui, puisqu’on le voit arriver, tout armé, pour la tuer. Lui, il a fait son choix. Sans révéler la fin du roman, on précisera juste que l’autrice prend des libertés avec le mythe, ce dont on pouvait se douter en voyant le récit à la première personne, avec son incipit si révélateur.
Il fallait l’oser : faire de Méduse une victime, des Gorgones trois sœurs attachantes et parler ainsi des rapports homme-femme, de la violence faite aux femmes, de pédophilie… le tout avec beaucoup d’empathie pour les personnages, et de sensibilité. Et c’est réussi !