3 secondes pour plonger

3 secondes pour plonger
Jinho Jung
CotCotCot éditions 2025

Bon à rien ?

Par Michel Driol

Je ne suis bon à rien.. Ainsi commence cet album, traduit du coréen, qui montre un enfant au pied des marches d’un plongeoir, au bord d’une piscine. Page après pages, il s’élève le long de cet escalier interminable, labyrinthique, confessant toutes ses échecs : il n’est pas doué, quel que soit le sport,, lent, nul en maths. Arrive alors sa motivation profonde : il ne veut pas gagner, parce qu’alors quelqu’un doit perdre. 3 secondes suffisent pour plonger et éclater de rire ensemble.

Voilà un album qui conjugue un texte d’une grande simplicité avec un graphisme d’une grande complexité, tout en restant éminemment lisible et symbolique. C’est la symbolique de l’escalier, figure peut-être de l’ascenseur social, de la vie, des difficultés à surmonter. Cet escalier, réalisé avec des tampons bleus, envahit progressivement tout l’espace, à la façon des prisons de Piranèse,  des escaliers d’Escher, ou du décor de certains jeux vidéos dans lesquels le héros se déplace sur un parcours semé d’embûches. Il est oppressant, ce parcours, interminable, bien délimité par des barrières qui sont autant de grilles, composé de lignes, d’arcs, de voutes de plus en plus inextricables.  Il semble infini, cet escalier, sur lesquels on retrouve le narrateur d’abord tout en bas, puis au milieu, avant qu’il ne soit en haut. Il progresse donc, mais lentement. Chemin faisant, il rencontre d’autres personnages, silhouettes dessinées au crayon : le cuisinier impatient de la voir finir,  le prof de maths assénant un « C’est pourtant facile » devant un tableau rempli de calculs, ou encore le maitre de taekwondo  exécutant un parfait coup de pied circulaire. Autant d’adultes qui renvoient le héros à sa propre dévalorisation, à son sentiment d’infériorité, à sa mésestime de soi. Autant d’adultes qui le renvoient aux codes de la réussite enfantine, sportive, scolaire. Cet escalier conduit vers le haut autant qu’il emprisonne, comme le montre la dernière page avant d’arriver au sommet, une page qui joue à la fois sur la contre plongée et le graphisme d’un jeu (de l’oie) avec ses cases et son parcours. La vie doit elle être à l’image du jeu où, si l’on gagne, d’autres perdent ? Quelle place faut-il donner à la compétition poussée à l’extrême ? Rappelons ici que cet album est signé d’un auteur coréen, et que la Corée du Sud est réputée pour son système scolaire qui pousse à la compétition, et qu’un véritable système éducatif parallèle y oblige les enfants à des journées de quinze heures de cours, voire plus l

Au final, se héros apparait donc comme un résistant, qui ne se soumet pas aux codes sociaux admis, qui promeut d’autres valeurs : celle de l’égalité (en haut, le héros retrouve deux copains qui l’attendaient), celle du rire partagé, du plongeon (mouvement du haut vers le bas) qui s’oppose à l’ascension.  On comprend dès lors que les figures d’adultes rencontrées dessinées au crayon sont autant de fantômes, de fantoches, sans consistance, vite oubliées, autant d’obstacles vers le bonheur et la joie de vivre.

Un album qui touche juste, qui dit bien les blessures de l’enfance, les échecs et le sentiment de dévalorisation poignant qu’ils suscitent, mais qui promeut aussi d’autres valeurs, plus solidaires, plus liées au plaisir de l’instant présent, ne dût-il durer que 3 secondes… Enfin un album dont la construction graphique, très maitrisée, très symbolique, lui confère un aspect universel.

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