C’est beau de mentir

C’est beau de mentir
Catherine Grive
Sarbacane (roman), 2023

Naissance dans un ascenseur

Par Anne-Marie Mercier

On peut être surpris par ce titre en forme de paradoxe. Mais Catherine Grive sait de quoi elle parle : elle creuse depuis quelques temps le sujet, soit directement, avec son album intitulé Le Mensonge (avec Frédérique Bertrand) paru aux éditions du Rouergue sous une couverture proche  – l’album a inspiré un spectacle qui sera créé en avril 2024 au théâtre de la Villette – soit indirectement, dans ses romans précédents, à travers les conséquences de mensonges ou de non-dits, notamment dans les familles.
Lucile (ou Hermione ?) va fêter ce jour-là ses quinze ans. L’appartement dans lequel elle invite ses amis (ou plutôt ceux qu’elle a souhaité afficher comme amis) n’est pas le sien, mais elle fait comme si : c’est plus beau que la petite chambre de bonne ou elle vit avec sa mère, et cela correspond mieux à la vie qu’elle s’est inventée pour être au niveau de ses camarades de lycée dans un quartier riche de Paris. Mais voilà, le destin veille et au milieu de ses préparatifs, elle se retrouve coincée dans l’ascenseur de l’immeuble (belle métaphore de l’ascenseur social dont elle rêve et qui jusqu’ici l’a, dans le réel, toujours fait descendre).
Elle est la narratrice du récit. Le temps de l’attente est long, cela lui permet de se remémorer ce qui l’a amenée à cette cascade de mensonges, à se gargariser de ses succès et se réjouir à l’avance de ce qui suivra, notamment avec le bel Octave qui l’émeut. Ce temps est d’autant plus long que la personne qui communique avec elle (on connaitra tout par la suite, il s’appelle Bertrand et semble ne rien avoir à cacher) prend son temps pour envoyer les secours. Bertrand lui parle pour la faire patienter et l’informer sur l’arrivée de l’équipe technique, mais plus encore pour tenter de la cerner et l’aider. Il semble avoir tout compris très vite et sans doute retarde sa libération tant qu’il ne la sent pas prête à affronter le réel. Cette voix au téléphone a des allures d’ange d’un film de Wim Wenders : humain, tellement humain qu’il en est surnaturel.
Les amis, réels ou fictifs, la mère, le père, la fée marraine, le chéri… les personnages secondaires sont attachants et divers. Grâce à eux et grâce à la voix de l’ascenseur, on assiste à la seconde naissance de Lucile, lucide cette fois. Ce beau roman parvient à ne pas condamner, juger, ridiculiser ses rêves : il fait d’abord rêver avec Lucile, dans des rêves convenus et formatés, parfois drôles : le mensonge c’est « une porte qui s’ouvre », comme la lecture. Puis, dans la seconde moitié il la conduit peu à peu vers des rêves plus personnels, plus difficiles aussi, d’autres portes à ouvrir, une aventure de vie assumée. Mais certaines resteront fermées à jamais : le mensonge a des conséquences aussi.
C’est un beau parcours de quête d’identité que Catherine Grive excelle à mettre en scène, comme dans Le bureau des objets perdus (2015) ; c’est  souvent « quand tout s’écroule autour de vous »  comme l’écrit Maryse Vuillermet à propos de La Plus Grande Chance de ma vie (2017) que tout s’éclaire.

 

 

L’Adorable ours des neiges

L’Adorable ours des neiges
Lionel Tarchala
Sarbacane, 2023

L’amitié, envers et contre tout

Par Anne-Marie Mercier

Les deux héros de Lionel Tarchala poursuivent leur vie et leur amitié tumultueuse dans un beau récit pour l’hiver. Petit Homme Poilu (c’est ainsi que l’ours désigne le trappeur) appréhende de passer l’hivers seul, sans la compagnie de son seul ami, Grosse Bête Velue. En effet, celui-ci doit hiberner.
Ils se rencontrant une dernière fois avant de se séparer. Ils passent tout près d’une vraie rupture, chacun se retirant en colère avec le regret de n’avoir pas dit à l’autre « que quoi qu’il fasse il restera toujours son ami ». Réconciliations, rires, découvertes de nouveaux plaisirs (ils inventent la luge) et création de nouvelles occupations pour l’hiver (le Petit Homme va avoir du travail pour réparer ce qu’ils ont cassé).
Les illustrations sont drôles, dynamiques, évocatrices, et simples. Elles vont à l’essentiel et se contentent de quelques couleurs dans une dominante de bleus et de blancs sur fonds blancs.  Paquets de neige, plaisirs des glissades et du retour au coin du feu, c’est un très bel éloge de l’hiver et un joli renversement des clichés :  l’abominable (homme des neiges) devient l’adorable, les distractions urbaines sont renvoyées à leur vacuité et la solitude est le plus beau cadre pour l’amitié.
On voit ce duo prendre ici vraiment forme, très agréablement, développant ce que le premier volume de leur histoire, un peu mince, avait laissé en suspens : on souhaite longue vie et de nombreuses aventures à cette belle équipe.

Une Semaine dans la peau de mon frère

Une Semaine dans la peau de mon frère
Nadia Coste, Silène Edgar
Syros, 2023

Tout un programme

Par Anne-Marie Mercier

Après Trois jours dans la peau d’un garçon, ou dans celle d’un personnage de fiction, ou un jour (c’est sans doute assez…), Vendredi, dans la peau de ma prof, le duo formé par Nadia Coste et Silène Edgar propose un autre changement de point de vue. Il est moins radical a priori : les deux héros sont tous deux humains, ils sont de même sexe, ont un âge proche, appartiennent à la même fratrie et vont en classe dans le même collège.
Mais entre le geek et le sportif, le courant passe mal. Cette expérience va donc les obliger à considérer la vie de l’autre, le considérer, prendre grâce à lui confiance en soi et en l’autre, avancer, pour bien sûr revenir à l’étape précédente, en mieux.
Le système de narration alterné est un peu sportif, de même que les interversions de prénoms (Kilian devient Nolan et vice-versa, mais seulement extérieurement, vous suivez ?) mais un système d’icônes permet de s’y retrouver.
On parcourt tous les lieux et thèmes du collège : la cantine, la cour, les salles de cour, le stade, le trajet depuis la maison, le harcèlement, les leaders, la question des notes, les révisions, les copains qu’on perd de vue en changeant de classe. On aborde de ombreuses questions sur les relations entre parents et enfants (travail domestique, une chambre à soi, libertés…) et cette famille est bien normale, c’est reposant. C’est aussi plein de bons sentiments, de refus du sexisme et du suivisme. Les personnages sont courageux, ou le deviennent, chacun à leur tour ; le personnage de la fille, conseillère, amoureuse, amie, est un moteur pour l’un comme pour l’autre et les autres personnages secondaires sont bien campés. Le récit étant pris en charge par les deux frères alternativement, l’un en cinquième, l’autre en troisième, et les auteures ayant fait le choix d’imiter sans grande fantaisie la langue de leur âge et de leur temps, ce n’est pas de la grande littérature, mais c’est très lisible, à tous les sens du terme la typographie est très claire et aérée).
Sur le même thème on peut aussi revenir aux classiques (je ne note que ceux qui proposent un changement de sexe) : Le Merveilleux Pays d’Oz (2e volume du cycle de Frank Lyman Baum), le très merveilleux La Nouvelle Robe de Bill d’Ann Fine et, plus récents, Dans la peau d’une fille, (Aline Méchin, 2002), Le Jour du slip, et Je porte la culotte (Anne Percin et Thomas Gornet, 2013) qui proposent deux points de vue dans deux parties d’un même volume selon le principe de la collection Boomerang). Pour les plus âgés, le roman un peu violent de Lauren McLaughlin, Cinq jours par mois dans la peau d’un garçon (Cycler, 2008), et le très conceptuel et malin A comme aujourd’hui (David Levitan, 2012) qui propose des sauts brefs (une journée) dans de multiples identités : décoiffant !

 

La Fête des bêtes à cornes

La Fête des bêtes à cornes
Gilles Bizouerne, Thierry Manes
Didier Jeunesse, 2023

Qui a dit que chien et chat ne font pas bon ménage ?

Par Edith Pompidou Séjourné

Dans cette histoire, dès le début, il s’agit de Frère Chat et Frère Chien qui ont l’air de s’entendre à merveille. Mais quel rapport avec les bêtes à cornes me direz-vous ? Une fête organisée par un rhinocéros, avec un buffle, une antilope, un bélier et bien d’autres animaux aux cornes plus subtiles, comme l’escargot, qui s’y rendent et auxquels nos deux compères aimeraient bien se joindre. Mais Monsieur Taureau en guise de videur intransigeant, leur interdit l’entrée faute de cornes. Le thème de l’exclusion associé à celui de la fête et donc de la musique avec des personnages zoomorphes et beaucoup de bovidés nous rappelle forcément l’incontournable album de Geoffroy de Pennart : Sophie la vache musicienne.
Pour tenter de s’amuser coûte que coûte, chien et chat usent de multiples ruses pour pouvoir se joindre à la fête et l’album prend alors des airs de bande dessinée. L’espace de la page se divise souvent en plusieurs images avec un texte en majuscules et ponctué d’onomatopées ce qui donne du rythme aux saynètes et accentue leur côté burlesque. Ainsi défilent leurs cascades rocambolesques pour pénétrer par le toit en se catapultant d’une éolienne ou en sautant en rappel par la grange ou encore en se dissimulant dans des buissons pleins d’épines. Mais toutes leurs tentatives sont vaines. Pourtant, ils finissent par trouver une corne de chèvre en essayant de creuser un tunnel. Le chien décide d’entrer en premier en la fixant sur sa tête et promet de s’amuser un moment puis de venir la donner à son camarade pour que lui aussi puisse profiter de la fête… Le plan marche à merveilles car Monsieur Taureau prend le chien pour une licorne et le laisse entrer, la fête est fantastique et le chien s’amuse tellement qu’il en oublie son complice. Le pauvre chat qui attend depuis longtemps, finit par trouver une brèche dans un mur pour voir ce qui se passe et aperçoit celui qu’il prenait pour son ami en train de faire le fou comme s’il l’avait complètement oublié. Il décide de se venger en le dénonçant à Monsieur Taureau qui tire alors sur les cornes de chacun des animaux présents et finit par démasquer le chien déguisé.
Les deux amis se retrouvent fâchés mais pas pour longtemps car le chien entraîne le chat vers une nouvelle fête… celle des bêtes à plumes… Fin ouverte donc, avec une nouvelle mission pour nos deux compères, déjà parés de plumes comme des petits indiens. Avec ce chien et ce chat qui se ressemblent et tantôt s’entraident et tantôt se fâchent pour mieux se réconcilier, on pense aux deux lapins d’un autre classique, l’album La Brouille de Claude Boujon.
La Fête des bêtes à cornes est singulier et plein d’humour, tous les animaux y sont très anthropomorphisés même s’ils évoluent dans l’univers de la ferme. Les illustrations donnent de nombreux détails sur leur apparence : avec lunettes, rouge à lèvres, chapeaux et autres perruques mais aussi sur les expressions très symboliques des visages qui feront rire tout en questionnant sur les parallèles humains à établir. Enfin, une foule d’histoires parallèles se joue en coulisses quand on regarde d’un peu plus près les images : on retrouve notamment deux oiseaux qui jouent aux cartes puis qui se regardent dans la frontale du chien, restée allumée, ou une petite souris qui nargue régulièrement le chat.

 

Le vieux qui aplatissait les enfants

Le vieux qui aplatissait les enfants
Thomas Grand
Askip 2023

A la croisée des chemins

Par Michel Driol

Au fin fond de la forêt, un vieil homme aplatit les enfants à l’aide d’une presse pour les conserver entre les pages de ses livres. Jusqu’au moment où une petite fille le confronte à la monstruosité de son acte, le conduit à réhydrater les enfants, et tout le monde joue ensemble.

Ce premier album d’un illustrateur et graphiste suisse frappe par son originalité. S’il reprend tous les codes de nombreux contes et albums : la petite fille qui sauve les enfants (Zeralda), le vieil homme ronchon et bourru dans une cabane au milieu des bois, la cruauté envers les enfants (Hansel et Gretel), c’est pour les mettre à distance avec brio. D’abord en faisant du vieil homme le personnage principal et le narrateur de  cette histoire qui se présente comme sa confession, avec, dès les premières lignes, un ton plein d’humour désabusé qui fait penser aux meilleurs polars. Cette « voix off » dans les premières pages accompagne des images qui disent autre chose : une forêt en pleine nuit, et une fillette qui avance, lampe torche à la main, et qui découvre la scène d’horreur de l’autre côté de la fenêtre de la cabane. Ensuite, en motivant les actions du vieil homme. Celui qu’on a pu d’abord prendre pour un monstre, un avatar d’ogre, figure du mal absolu, qui tient des propos contradictoires (ne dit-il pas aux enfants aplatis qu’ils sont désormais à l’abri tout en leur souhaitant de faire de beaux rêves effrayants et bien bizarres) est en fait une victime. Un être hypersensible, seul et effrayé dans la jungle des villes, qui a trouvé refuge au cœur de la forêt, et n’a que ce moyen de se faire des amis. C’est en cela qu’il est inquiétant, monstrueux et quelque peu psychopathe : Se faire des amis, se les attacher, est-ce les conserver comme des feuilles séchées sous le fallacieux prétexte de les mettre à l’abri du monde ? L’enfer n’est-il pas pavé des meilleures intentions ? C’est bien là toute l’ambiguïté de ce personnage et de cet album qui n’a rien de simpliste. Rencontrer la petite fille qui ose s’opposer à lui le conduit à se remettre en question, à redéfinir implicitement ce qu’est l’amitié et à éprouver enfin la joie de vivre.

Les illustrations – aquarelle et crayon de couleur – nous conduisent symboliquement de l’univers sombre de la nuit à la clarté du jour. Elles sonnent ici comme un hommage, dans leur facture, à Tomi Ungerer ou à Quentin Blake. On y cherchera avec soin un personnage muet et récurent, une sorte de pintade, cachée, montrée, qui à la fin s’observe dans le miroir comme la reine dans Blanche Neige, comme une façon de clore avec ironie et de façon décalée ce récit.

Cette histoire poétique et inquiétante d’une rencontre salvatrice parle de folie, de solitude, mais aussi d’espoir et d’amitié avec humour et tendresse.

Amis-amis

Amis-amis
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2023

« Un ami qui me ressemble » (Ami-Ami, Rascal) ?

Par Anne-Marie Mercier

Comment se faire des amis ? C’est la question que se posent tous les enfants arrivant dans un nouvel environnement, et pas seulement les enfants d’ailleurs, même si cela est affiché moins directement par les adultes. Ce petit album carré à l’allure  simple trace bien des chemins.
Une petite hérissonne part avec cette question ; elle rencontre des porcs-épics, pas trop différents d’elle. Elle leur emprunte leurs longues piques. Avec cette allure, rencontrant d’autres petits animaux avec des moustaches tombantes et presque sans poils, la voilà glabre avec les mêmes moustaches. Puis devant des chiens à poils longs, des poils lui poussent, devant un cheval, un flamand rose… à chacun elle emprunte quelque chose… Mais elle ne correspond jamais au prochain qu’elle rencontre et finit par ne plus ressembler à rien ni à personne et désespère jusqu’à ce que, miracle ! tous les animaux viennent l’appeler pour être ses amis, malgré (ou à cause de ) son allure bizarre et composite.
Quelle leçon donne cet album ? Il décrit d’abord le processus du désir d’ami : l’envie être comme lui/ elle/eux. Puis la difficulté du « comme eux » qui exclut aussi bien le « je » que le « nous » et tous les autres… La conclusion qui semble dire que du composite nait le succès est un peu discutable, tant cette petite hérissonne à l’air de s’être perdue, mais cela reste un point de vue intéressant, dédramatisé par la fantaisie du trait et le comique des situations.

L’œuf

L’œuf
Émilie Chazerand, Christine Roussery
Sarbacane, 2023

Je, tu, nous, on : une grammaire de l’amitié

Par Anne-Marie Mercier

Du côté de l’histoire, c’est simple : un enfant trouve un œuf ; une autre arrive, qui suggère de lui faire un nid, puis un autre qui dit qu’il faut le mettre à l’abri. Une quatrième a une idée, un autre une autre… jusqu’à la conclusion.
Œuf de varan ? œuf de tortue des Galapagos ? Ce qui importe ici c’est la création d’une micro-communauté qui réunit des enfants qui se connaissent à peine, n’ont pas le même âge, dont certains ne s’intéressent d’ailleurs pas tellement à cet œuf et qui arrivent pourtant à se rapprocher.
La communauté se crée par le langage : le premier enfant utilise un « on » :

« Quelle chance on a d’avoir trouvé un œuf de varan ici, s’exclama la petite fille. Sam nota que Zora avait dit « on ». On, c’était elle + lui. Sam adora ce « on ».

Chaque rencontre répète la magie du « on » qui réunit. Si bien qu’à la fin de l’histoire, après bien des étapes, la plus jeune pourra conclure que cet œuf était un « œuf d’amitié ».
Ces enfants dotés de grands yeux par l’illustratrice évoluent dans un monde simple et coloré : herbes sur lesquelles s’asseoir, barrière où ne pas poser son vélo, chemins qui relient les maisons, ballon qui rebondit, cabanes, mer au loin, îles…

 

Ma famille, mon voisin loufoque et moi

Ma famille, mon voisin loufoque et moi
Lucie Lindemann
Amaterra 2023

Quand Jeanne rencontre André…

Par Michel Driol

Quand les parents de Jeanne se disputent – ce qui arrive souvent – c’est la voisine qui vient dire que cela fait trop de bruit. Mais quand la voisine est morte, que le père de Jeanne est parti, vient s’installer un nouveau voisin, steward, André. La rencontre avec ce nouveau voisin – bien plus âgé qu’elle – va changer la vie de Jeanne.

Voici d’abord un roman d’apprentissage : Jeanne va rencontrer l’amour, alors qu’elle n’y croit plus quand elle voit ses parents se disputer et sa sœur ainée aller d’échec en échec. Premier amour donc pour Jeanne, celui d’Ambroise, un garçon de son âge, et l’évolution de la relation entre les deux est particulièrement bien décrite, entre évitements et désirs. Mais c’est surtout la façon dont André, le voisin loufoque du titre, va redonner le gout de la vie à Jeanne qui est intéressante. Voilà un roman qui aborde un thème rare en littérature de jeunesse : celui de l’amitié entre une adolescente et un homme mûr, amitié sans aucun sous-entendu, amitié décrite depuis son commencement. Le hasard joue un grand rôle dans ce roman : oubli de clés, tempête de neige, coïncidences qui permettront à André de venir en aide à Jeanne, puis à Jeanne de soutenir André lors d’un moment difficile. Ce roman d’apprentissage est aussi un feel-good roman, dans lequel finalement à la fin tout le monde sera plus heureux qu’au début dans sa vie privée. Tout le monde – ou presque – y (re)trouve l’amour. Alsacienne, l’autrice ne manque pas de faire figurer quelques plats et desserts de sa région, donnant à ce récit un côté épicurien bien sympathique.

Un roman de découverte de la vie, de soi, des relations extra-familiales et familiales, dans lequel la narratrice, pleine de sincérité dans son récit, commence par chercher chaque jour trois choses positives à noter sur son carnet et finit par en trouver beaucoup !

Petit Museau parmi les mots

Petit Museau parmi les mots
Gilles Tibo – Soufie Régani (illustrations)
D’eux 2023

Les nuits de la lecture

Par Michel Driol

Se rendant à la bibliothèque où il travaille comme gardien de nuit, M. Laliberté découvre un petit chien qui sait se faire adopter et se rendre utile en ramassant tout ce qui traine. Lorsqu’il trouve une paire de lunettes, il se lance dans l’exploration des livres, découvre le rayon jeunesse et ses albums. Et lorsqu’il pousse un livre vers M. Laliberté pour qu’il le lui lise, celui-ci avoue ne pas savoir lire, mais jure d’apprendre !

Rien de très original dans le thème abordé par les premières pages : l’amitié d’un homme et d’un animal, mais un traitement, dans le texte, dans les illustrations tout à fait touchant. La solitude de M. Laliberté n’est jamais dite, mais elle est montrée partout : dans sa cuisine, où il fait la vaisselle, dans la rue, où il débat contre le vent et la pluie avec son parapluie, dans la bibliothèque où il est seul encore. On comprend dès lors que Petit Museau devient son seul ami, le seul à qui il parle. Quant à Petit Museau, il devient vite la figure dans l’histoire de l’enfant lecteur : petit, sympathique, joueur, curieux… Le thème de l’analphabétisme, que la seconde partie de l’album aborde, est plus original et traité avec une grande sensibilité. L’aveu s’accompagne de larmes, par une nuit pluvieuse. Puis tout s’éclaire lorsque la décision d’apprendre à lire est prise.  Apprendre à lire non pas pour soi, car, visiblement, M. Laliberté s’en tire très bien, est intégré, a un métier… mais pour l’autre, fût-il un chien. La lecture devient ainsi un moyen de partage autant que de découverte. Les illustrations de Soufie Régani, tout en douceur campent deux personnages attachants, avec un petit clin d’œil, parmi les livres lus par les deux amis, à Petit Museau parmi les mots, dont on voit la couverture.

L’histoire d’une rencontre qui parle de l’intérêt d’apprendre à lire et de la souffrance que cela représente de ne pas le savoir, racontée avec beaucoup d’empathie pour ses deux personnages positifs, un homme bien seul et un petit chien bien curieux. A noter que cet ouvrage est sélectionné dans la catégorie 0-5 ans du Prix des libraires du Québec.

Une Chose formidable

Une Chose formidable
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2023

A la recherche du souvenir perdu

Par Laure-Hélène Davoine

Dans cet album, on retrouve Jacominus Gainsborough, cet adorable lapin, dont nous avions déjà suivi les aventures dans Les riches heures de Jacominus Gainsborough, Midi pile et Une toute petite seconde.
Jacominus a jardiné toute l’après-midi et il s’autorise une petite sieste dans l’herbe, avant la venue de son ami de toujours, Policarpe. Juste avant de s’endormir, un souvenir enfoui, le souvenir d’une chose formidable, surgit tout à coup de sa mémoire, mais à son réveil… impossible de le retrouver ! Jacominus et Policarpe vont alors partir à la recherche de ce souvenir formidable. A force de réflexion et de concentration, ils extirperont cinq souvenirs de leur mémoire, des souvenirs qui leur permettront de retracer ensemble le chemin de leur belle amitié. Puis ils parviendront enfin à retrouver le souvenir ultime et insaisissable… le secret qui scelle le début de leur histoire.
L’histoire peut aussi s’écouter, car l’album est accompagné d’une version lue par l’auteur (CD ou QR code à scanner) et mise en musique et en bruitages. Comme le dit Rébecca Dautremer, dans le prologue qui s’adresse au lecteur « tu percevras ainsi la musique des souvenirs de Jacominus et de son ami, Policarpe ». Et c’est vrai que ces souvenirs ont une musique particulière, musique que l’on peut retrouver illustrée dans les 6 grandes double pages de l’album. Des images un peu déformées, décalées, oniriques comme des images oubliées, cachées, enfouies, qui peinent à retrouver une réalité.
Les illustrations sont magnifiques. Des couleurs vives pour les images du présent dans le jardin (Quelle merveille que ce cerisier en fleurs !) puis des teintes plus sépias pour les images qui suivent et plongent plus profondément dans le passé et les souvenirs lointains. Une magnifique palette !  On retrouve rapidement un rythme dans les pages de l’histoire, rythme qui aide l’enfant à tourner les pages de son livre, en en écoutant la version audio.  Sur fonds blanc, Jacominus et Policarpe, assis, se concentrent ensemble sur ces souvenirs qui leur échappent, se questionnent pour aider à définir le souvenir manquant. Une image en double page apparait ensuite, comme la pensée brouillonne de ce souvenir qui peine à émerger de leurs esprits connectés (dans le CD, il s’agit de plages musicales). Puis vient le récit du souvenir retrouvé, accompagné de l’image du moment évoqué, précis, réel. On recule avec Jacominus et Policarpe dans leur histoire, on les suit dans les moments forts de leur passé.
C’est une belle promenade dans les souvenirs que nous propose ici Rébecca Dautremer ainsi qu’un joli regard sur l’amitié. Un album complet, ravissant les yeux et les oreilles, qui nous invite à la réflexion et à la rêverie.
Pour écouter son interview sur France Culture à propos de cet album