Nos poils, Mon année d’exploration du poil féminin
Lili Sohn
Casterman, 2025
Une BD au poil !
Par Lidia Filippini
Notre corps est couvert, dès la naissance, de cinq millions de poils – soit, comme le précise Lili Sohn, l’équivalent de la population irlandaise. Mais pourquoi cette toison peut-elle s’épanouir librement sur le corps des hommes tandis que celui des femmes se doit, pour satisfaire aux canons de beauté, d’être glabre ? En a-t-il toujours été ainsi ? L’autrice se penche sur notre relation aux poils à travers les âges pour déconstruire les mécanismes qui poussent les femmes à s’épiler. « On pourrait croire [affirme-t-elle] que c’est un sujet léger, voire carrément anecdotique » mais il n’en est rien car quelle femme n’a pas un jour renoncé à porter une robe d’été ou annulé un rendez-vous parce qu’elle se trouvait trop poilue ? Pourtant, comme l’explique l’autrice, nous ne naissons pas avec l’envie de nous épiler. Cette envie, nous la développons peu à peu à force de voir des corps féminins lisses. Elle n’est autre qu’une injonction sociale qui pèse sur les femmes. L’épilation, coûteuse en argent et en temps, constitue une charge mentale de plus.
Forte de ce constat, Lili Sohn se lance dans un projet fou : ne pas s’épiler pendant une année. Elle qui, depuis l’âge de douze ans, traque sans relâche la moindre trace de pilosité sur son corps, espère ainsi parvenir à changer ses représentations, bref à aimer ses poils. De petites victoires en petits échecs, cette année est l’occasion pour elle et pour nous, lecteur.ices, de s’interroger sur les réactions des hommes – et des autres femmes – en présence d’aisselles ou de jambes poilues.
Lili Sohn, connue pour ses BD féministes et drôles, propose ici un format petit et épais qui rappelle ses précédents opus (Mamas, Vagin tonic). Comme dans ses autres ouvrages, elle se met en scène à travers son personnage principal, une jeune femme brune et souriante qui, cette fois, semble fière d’arborer son corps couvert de poils. Au dessin se mêlent parfois des photos ou des illustrations anciennes utilisées de manière décalée comme cette image où l’on voit deux soldats du début du siècle s’exprimer au sujet du tableau de Courbet La naissance du monde. « Oh regarde ! C’est la sexualité féminine ! », s’exclame l’un d’eux. « Mais chuuuut ! T’es fou ! Elle va te voir ! Elle est hyper dangereuse ! », répond son compagnon.
L’illustratrice française traite son sujet avec humour et auto-dérision tout en apportant des connaissances scientifiques, historiques et sociologiques. Elle ne cherche nullement à juger les femmes – qu’elles choisissent ou non de s’épiler – ni les hommes. Elle tente seulement de montrer que notre vision du poil est liée à la notion de patriarcat. Depuis l’Antiquité, en effet, le poil est symbole de pouvoir et de puissance. Le fait que l’idéal féminin occidental doive en être dépourvu dit quelque chose de nos sociétés. Savoir cela ne suffira peut-être pas à accepter nos jambes poilues, mais c’est peut-être un premier pas vers la libération.