Le Livre affamé

Le Livre affamé
Nathalie Wyss & Bernard Utz – Laurence Clément
Helvetiq 2025

Livre de recette

Par Michel Driol

Huit enfants face à un livre, qu’on ne voit jamais, mais qu’on entend leur parler. Tout est vu à travers ses yeux. Il dit avoir faim, leur demande de préparer une soupe magique, qui aura le pouvoir de les transformer en ce qu’ils veulent. Les ingrédients ? Ceux, bien classiques, des soupes de sorcières, depuis la morve jusqu’aux yeux de poissons, tous plus ragoutants les uns que les autres. Pas très rassurés, les enfants, au moment de gouter… d’autant qu’il ne se passe rien. On ajoute alors ce qui manquait, du sel, et les voilà grenouilles, du poivre, et les voilà lapins, de la moutarde, et les voilà escargots…  tandis que le livre, qu’on voit enfin, ouvre sa grande bouche.

Voici un second opus des mêmes auteurs, qui fait suite au Livre perdu. On y retrouve le même principe : un livre maléfique qui guide un groupe d’enfants crédules, le même dispositif énonciatif et narratif, les mêmes recours à la magie. Cette fois-ci, l’album joue sur un comique de répétitions : répétition des formules magiques, répétition des situations avec le couple ingrédient ajouté – transformation effectuée. Le livre se fait d’abord tentateur, faisant miroiter une métamorphose de chacun, il encourage ensuite, à grand coup de phrases exclamatives, de compliments. Mais, entre deux compliments, il révèle sa vraie nature, déclare aimer les cuisses de grenouilles, le lapin en sauce, les escargots à l’ail… Mais cela, les enfants l’entendent-ils ? Peuvent-ils l’entendre maintenant qu’ils ont perdu toute forme humaine, et sont condamnés à ramper lentement…

L’humour et la force du livre viennent aussi des illustrations qui permettent d’identifier chacun des huit enfants initiaux à un détail, couleur des yeux, lunettes, coiffure, y compris au travers de leurs métamorphoses. Chacun est bien individualisé, et les illustrations sont très expressives jusque dans les détails. On peut ainsi suivre les parcours individuels de chacun, de son degré d’appréciation de la soupe à sa réaction aux transformations…Tout ceci constitue un ensemble drôle et réussi.

Toutefois, le livre affamé opère une inversion. On parle plutôt de lecteur affamé, boulimique de  lecture. Pas de livre affamé. Ces derniers sont censés pour les uns remplir une fonction précise, en donnant des recettes de cuisine, ce que fait bien notre livre, pour les autres, leur grande majorité, remplir des creux, combler des attentes des lectrices et des lecteurs. Est-ce à dire que le Livre affamé est un jeu gratuit ? Une incitation, comme le livre perdu, à se méfier des livres dangereux, nuisibles ? Ou peut-être, en arrière-plan, une incitation à se méfier des beaux parleurs, de ceux qui promettent monts et merveilles, se font « loups doucereux », comme l’écrit Perrault à la fin du Petit Chaperon Rouge, pour atteindre leur but.

Un album plein de rebondissements, drôle à souhait, qui fait du livre un héros malfaisant, manipulateur, dangereux pour le plus grand plaisir de ses lectrices et lecteurs.

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